Intervention de Luc Belot

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLuc Belot, rapporteur :

Madame la secrétaire d'État, je reviens sur quelques-uns des sujets que vous venez d'aborder. Open data, open access, data mining, plateformes, neutralité du net… Voilà des termes qui ne sont pas fréquemment entendus au Parlement, alors qu'ils occupent largement les discussions économiques et les négociations internationales, voire l'actualité — ainsi, le principe de la sphère de sécurité (safe harbor) a été annulé par la Cour de justice de l'Union européenne il y a quelques semaines. Je pourrais en citer d'autres, qui apparaissent dans ce projet de loi : le e-sport, le droit à l'oubli pour les mineurs… Nous avions nous-mêmes, à l'occasion de l'audition du vice-président du Conseil d'État, évoqué le droit à l'autodétermination informationnelle dont le Conseil traitait dans son étude annuelle 2014. Mais nous abordons peu ces sujets et, à bien des égards, le monde numérique semble échapper aux réglementations, aux codes, aux lois.

Aussi l'enjeu de ce texte n'est-il rien moins que la confiance. Le Parlement a voté, en 2004, une loi pour la confiance dans l'économie numérique ; ce projet de loi doit établir la confiance dans la société numérique. Chaque citoyen, en France comme en Europe, doit pouvoir avoir confiance dans les acteurs numériques français, européens, mondiaux.

On parle souvent d'incapacité à réguler et à encadrer le monde numérique. Le fait est que le Parlement a souvent très mal légiféré. J'évoque régulièrement la loi anti-Amazon, qui visait à interdire à cette entreprise d'accorder à tous ses clients la gratuité de la livraison, afin d'assurer le respect de la réduction maximale de 5 % sur le prix d'un livre. La livraison gratuite s'est transformée en livraison à un centime, et cette loi – que nous avions pourtant passé du temps à écrire – a perdu toute portée, parce qu'elle ne visait qu'à réguler une seule plateforme. C'est certainement le travers dans lequel nous tombons le plus souvent : viser un seul acteur. Il me semble que c'est également le problème que présente la loi relative aux taxis et aux voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), qui me semble difficilement applicable.

Rien ne justifie que les pouvoirs publics renoncent à intervenir dans le monde numérique. Mais cette intervention doit être adaptée. Vous avez su, madame la secrétaire d'État, ne pas céder à la tentation d'un simple rattrapage fiscal pour des opérateurs mondiaux, le plus souvent américains, qui ne paient pas d'impôts : certains voudraient pour cette raison prévoir des règles supplémentaires, des obstacles, des blocages. Ce n'est pas l'esprit de ce texte, et c'est un point que je salue.

Cela n'enlève rien à la portée réelle du projet de loi. Vous travaillez sur la réalité des droits des citoyens, sur leur capacité à exister dans ce monde numérique, à disposer librement de leurs données personnelles au lieu de n'être que les jouets de grandes entreprises : c'est bien l'angle d'attaque le plus pertinent.

Je veux remercier ici tous ceux de nos collègues, nombreux, qui se sont investis dans le travail de préparation de ce texte et qui ont assisté aux auditions – nous avons commencé à entendre différents acteurs dès que le texte a été soumis au Conseil d'État, c'est-à-dire que ces auditions durent déjà depuis près de quatre semaines. Nous avons travaillé avec les commissions des affaires sociales, des affaires européennes, des affaires économiques, des affaires culturelles – avec cette dernière, nous avons établi un véritable partenariat, notamment sur les questions relatives aux universités et à la recherche, principalement l'open access et le data mining. Le lobby de l'édition peut être très puissant : il faut pouvoir entendre le point de vue des uns et des autres et conserver cette volonté de partir du citoyen et de ses droits. C'est ce qu'a su faire ce texte. La confiance se construit, elle ne se décrète pas : il faudra beaucoup expliquer, et beaucoup rassurer. Je ne doute pas que la commission des Lois saura répondre aux inquiétudes.

La semaine dernière, en séance publique, nous avons voté le projet de loi de transposition de la directive dite « ISP » – Informations du secteur public – de 2013, qui porte notamment sur l'open data et la gratuité des données publiques. Nous devrons revenir sur ce sujet. J'invite notamment la Commission à se pencher sur l'article 106 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), dont bon nombre de collectivités locales n'ont pas encore perçu tout l'intérêt et toutes les conséquences. Nous devrons aussi traiter des plateformes, de la loyauté et de la portabilité, voire prévoir un encadrement.

Ce texte est donc très large. J'ai cité l'accessibilité et la recherche, je n'ai pas encore cité la mort numérique et la question patrimoniale ou pseudo-patrimoniale : que deviennent nos données après notre mort ? Les données personnelles font-elles partie de la succession ? Les auditions sur ce point ont été particulièrement riches.

Madame la secrétaire d'État, ce texte très attendu s'est longtemps appelé « loi numérique » : certains observateurs s'attendaient à un texte traitant aussi des écosystèmes numériques, des start-up, de leur financement, de leur fiscalité. Ce n'est pas le cas, et vous avez choisi un titre plus précis. Cette question du titre reviendra à coup sûr dans nos discussions, mais pouvez-vous expliquer les raisons de ce choix ?

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. On comprend bien la nécessité d'une application rapide de ses dispositions. Néanmoins, eu égard à l'ampleur des sujets traités, au grand nombre de codes modifiés, à la nécessaire précision de ce texte, écartez-vous totalement l'idée d'une deuxième lecture ?

S'agissant de l'open data, un débat s'est ouvert sur la gratuité des données publiques. Quelle est aujourd'hui votre position ? Nous avons évoqué en séance publique, lors des débats sur la transposition de la directive ISP, le modèle de freemium, où les données sont d'abord gratuites puis deviennent payantes en fonction de l'importance des données utilisées, de leur qualité ou de la fréquence de leur mise à jour, par exemple. Mme Valter, secrétaire d'État chargée de la réforme de l'État et de la simplification, avait pris, en séance, l'engagement que le Gouvernement retravaillerait sur ce sujet.

S'agissant de la loyauté des plateformes, vous avez choisi d'inscrire ce texte dans le cadre du droit de la consommation. J'y vois un avantage certain : le texte s'appliquera aux acteurs nationaux, mais aussi internationaux, notamment les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon. Mais cela limite aussi la portée du texte au business to consumer, le business to business étant finalement peu concerné, alors qu'il constitue un véritable enjeu, dans le domaine par exemple des moteurs de recherche et des classements que ceux-ci proposent.

Comment, enfin, ce projet de loi s'articule-t-il avec les textes européens en cours d'élaboration, et attendus dès le début de l'année prochaine ? Nous avons appris hier que le projet de règlement général sur la protection des données pourrait par exemple permettre d'interdire l'accès des réseaux sociaux aux enfants de moins de seize ans.

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