Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Le projet de loi pour une République numérique a fait l'objet d'un long travail préparatoire, selon une méthode originale, et même inédite : il a d'abord, en effet, été alimenté par une consultation publique lancée par le Conseil national du numérique, ce qui a permis à un très grand nombre d'acteurs concernés par ce sujet de s'exprimer. Cette consultation a duré six mois, et des réunions publiques ont été organisées dans plusieurs régions. Le Conseil national du numérique a ensuite rendu un rapport, qui a été à l'origine de la stratégie numérique du Gouvernement. Le projet de loi a ensuite été rédigé puis soumis à l'ensemble de nos concitoyens grâce à une plateforme en ligne, en toute transparence. Cette étape a permis d'apporter au texte des modifications très substantielles — plus de quatre-vingt-dix changements ont été opérés, et cinq articles ont été ajoutés. C'est donc d'une véritable co-construction de la loi qu'il s'est agi. Le texte a été vraiment enrichi. Je forme le voeu que cette méthode soit reprise dans le futur.

Le projet de loi a ensuite été soumis pour avis à l'ensemble des autorités administratives qui devaient être saisies conformément à la loi. Il a enfin été envoyé au Conseil d'État, et présenté en Conseil des ministres le 9 décembre dernier.

Il se compose de trois titres, que l'on peut résumer de façon très rapide en un volet économique, un volet sociétal et un volet social. Mais je précise tout de suite que ces trois catégories se mêlent. Ainsi, il est bien difficile de traduire en français la notion de privacy : on peut parler de respect de la vie privée ou de contrôle des données personnelles. Or ces données ont aujourd'hui – le modèle de tous les géants de l'internet le montre – une immense valeur économique.

La donnée est au coeur de l'essor du numérique dans l'économie et dans la société : ce projet de loi veut donc construire le socle juridique de son traitement, dans un sens d'ouverture, de libre circulation et de rediffusion, notamment des données publiques, et cela dans un environnement qui conforte la confiance des utilisateurs. Il n'y a pas de numérique sans confiance.

Le titre Ier est consacré à la circulation et à la diffusion des savoirs, des connaissances et des données. Il porte notamment sur la politique de l'open data, c'est-à-dire de l'ouverture des données : les données publiques seront désormais ouvertes par défaut. Cela nécessitera un changement culturel au sein de l'administration : les données doivent non seulement être ouvertes pour garantir la transparence de l'action publique, donc pour renforcer la démocratie, mais aussi pour promouvoir l'innovation, puisque ces données peuvent être utilisées par les entreprises pour créer de nouveaux produits et proposer de nouveaux services. Nous créons aussi une nouvelle mission de service public : la mise à disposition et la publication des « données de référence » en vue de faciliter leur réutilisation – ces données de référence devant être publiées dans des formats déterminés à l'avance. Les administrations devront donc mettre en place de véritables stratégies d'utilisation de leurs données – qui n'étaient pas jusqu'ici utilisées au mieux.

Nous créons également une nouvelle catégorie juridique, les « données d'intérêt général ». En effet, certaines données ne sont ni purement publiques, au sens où elles seraient produites par des administrations, ni complètement personnelles, rattachées à des individus, ni entièrement privées ou commerciales, même si elles le sont peut-être au départ. Ces données, il est pourtant de l'intérêt de tous qu'elles soient partagées avec la puissance publique, dans la mesure où leur contrôle par les seules entreprises privées qui ont signé des contrats avec l'État – sous forme de convention, de délégation de service public… – ne permet pas qu'elles soient utilisées de façon optimale.

Concrètement, aujourd'hui, une collectivité locale n'a pas toujours accès à toutes les informations sur l'exploitation de son service public de l'eau : elle ne peut donc pas les utiliser pour définir ses politiques publiques. Cet outil nouveau sera très important, en particulier pour les collectivités territoriales qui doivent faire des choix en matière de transport, d'énergie…

D'autres dispositions portent sur la possibilité laissée aux chercheurs de publier leur recherche de manière libre et ouverte : à l'issue d'un délai d'embargo, l'exclusivité signée avec un éditeur commercial sera levée. C'est l'une des conditions de la diffusion et du rayonnement international de la recherche française : nous accédons là à une demande très forte des chercheurs. C'est l'esprit de la culture numérique, puisqu'il s'agit de partager les savoirs de façon aussi large que possible, afin, entre autres, d'assurer la diversité de l'expression de ces savoirs sur la toile.

Le titre II crée de nouveaux droits pour nos concitoyens, en se fondant sur la notion de confiance. Nous introduisons pour la première fois dans notre législation la notion de neutralité de l'internet : il s'agit de garantir un accès ouvert et non discriminatoire au réseau. Nous introduisons également le principe de libre disposition des données personnelles, ce qui constitue un renversement de la logique de la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 : celle-ci posait des principes en fonction du traitement réservé aux données personnelles, l'accès et la rectification se faisant auprès de tiers qui devaient être enregistrés auprès de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Ici, nous remettons l'accent sur le particulier, l'individu, qui doit être souverain sur l'usage de ses données personnelles. L'actualité a pu, ces dernières années, faire douter de la réalité de la protection de la vie privée sur internet, avec une multiplication des fuites de données personnelles en raison de failles de sécurité et de cyberattaques, comme il y en a eu beaucoup après l'attaque contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo. Il faut donc rétablir la confiance : le renforcement du régime juridique des données personnelles y contribuera.

Le principe général de libre disposition des données personnelles se décline de plusieurs façons : portabilité des données, mort numérique, droit à l'oubli pour les mineurs…

Le titre III, enfin, concerne l'accès au numérique. Le Gouvernement a toujours considéré le numérique comme un objet politique : il n'y a pas de République numérique sans un numérique pour tous nos concitoyens, et particulièrement pour ceux qui sont en situation de handicap. C'est pourquoi plusieurs dispositions portent sur l'accessibilité des sites internet des administrations, sur les services après-vente en ligne des grandes entreprises, sur les services de téléphonie mobile.

D'autres dispositions portent sur un sujet qui concerne tout particulièrement les députés : le numérique dans les territoires. Chacun a conscience qu'il est urgent d'accélérer le déploiement du numérique, afin que les services publics, les particuliers, les entreprises puissent en disposer : le projet de loi prévoit des outils qui doivent permettre cette accélération. Ces outils doivent aussi permettre aux collectivités locales de se préoccuper non seulement des tuyaux, mais aussi du contenu et des usages, afin que nos politiques publiques soient autonomes en la matière. Nous voulons encourager l'e-médecine, l'e-éducation, l'e-gouvernance ou l'e-administration. Nous permettons donc aux collectivités locales d'étendre leurs schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) par un volet relatif aux usages.

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