Intervention de Sergio Coronado

Réunion du 15 décembre 2015 à 17h00
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Le débat sur la pénalisation de l'achat de tout acte sexuel nous occupe depuis vingt-quatre mois. Vous connaissez la position du groupe Écologiste : une très grande majorité de ses membres est opposée à la pénalisation des clients. Au cours des débats, nous avons aussi condamné la pénalisation du racolage ; la sénatrice Esther Benbassa avait d'ailleurs déposé dès 2012 une proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à supprimer le délit de racolage.

Je salue la qualité du débat qui a eu lieu au sein de la Commission. Nous n'étions pas toujours d'accord et les discussions ont été parfois tendues, mais les accusations de promotion de la prostitution que l'on avait pu entendre au début n'ont pas été réitérées. Peut-être avons-nous simplement appris à nous connaître et à respecter les arguments de chacun ; et puis les intervenants ont changé…

L'opposition des écologistes se fonde notamment sur le fait que les arguments aujourd'hui mobilisés pour défendre la pénalisation sont similaires à ceux que l'ancienne majorité avançait en 2003 à l'appui du délit de racolage. À l'époque, déjà, on promettait de démanteler les réseaux de proxénétisme et de traite. Plus de dix ans après, le constat est malheureusement sans appel : loin d'atteindre cet objectif, la disposition a eu pour principal effet d'aggraver la précarité et la stigmatisation des travailleuses et des travailleurs du sexe.

Si nous sommes opposés à cette mesure, c'est aussi que nous ne partageons pas la philosophie qui l'anime. À la suite de l'instauration de ce délit, les forces de police ont accru leur pression sur les personnes prostituées, alors que les réseaux de proxénètes ou de traite n'ont pas eu à souffrir de leur action. Nous l'avons suffisamment rappelé tout au long de nos débats.

Enfin, outre ses conséquences sur la santé publique, la pénalisation ne permet pas de contenir le développement de la prostitution, comme l'ont montré de nombreuses études et comme l'a notamment rappelé la Commission mondiale sur le VIH et le droit, affiliée à l'Organisation des Nations unies, à la lumière de l'exemple suédois.

En ce qui concerne la lutte contre le proxénétisme, le texte comporte quelques mesures qui méritent d'être saluées mais qui restent tout à fait insuffisantes. Je le dis d'autant plus volontiers que certaines d'entre elles sont inspirées d'amendements que j'ai défendus et que vous avez bien voulu voter.

Ainsi, le dispositif permettant de régulariser les victimes du proxénétisme en échange de leur témoignage fait partie des points dont nous avons débattu et sur lesquels nous sommes tombés d'accord, même si nous ne placions pas le curseur au même endroit.

L'article 1er ter, qui organise l'accompagnement des victimes grâce à une identité d'emprunt et à un suivi au long cours afin d'échapper aux réseaux, s'inspire de deux amendements du groupe Écologiste sur la domiciliation et l'identité d'emprunt. J'ai eu l'occasion de le dire au cours des débats, cela témoigne de la qualité de l'écoute qui a parfois prévalu au sein de notre Commission – d'autant plus notable qu'elle n'a pas toujours été la règle.

S'agissant du parcours de sortie de la prostitution, la formulation du Sénat me paraît plus réaliste que celle de l'Assemblée ; je regrette donc votre amendement visant à la supprimer. Nous en avons plusieurs fois discuté, il faut avoir conscience du fait que l'on n'arrête pas la prostitution du jour au lendemain ; dès lors, il est délicat de subordonner le bénéfice du parcours de sortie à la cessation définitive de cette activité. Il est dommage que vous n'ayez pas changé d'avis sur ce point alors que le Sénat avait opéré quelques avancées.

En ce qui concerne l'admission au séjour des étrangers victimes de la traite et du proxénétisme, le Sénat a également apporté plusieurs modifications substantielles à l'article 6. Sur ce point également, nous avons eu quelques désaccords. Là encore, le Sénat m'a semblé plus réaliste que notre commission spéciale lorsqu'il a porté de six mois à un an la durée de l'autorisation provisoire de séjour. Sur la question de la sortie de la prostitution également, nos collègues sénateurs, même s'ils ont buté sur la proposition très polémique et doctrinaire que vous portiez, ont peut-être su faire preuve de davantage de réalisme que notre commission spéciale.

Je m'étonne enfin que, s'agissant des dispositions de l'article 1er concernant le blocage administratif des sites Internet, dont vous faisiez la pierre angulaire de la lutte contre les réseaux de proxénétisme et de traite, vous persistiez dans l'erreur alors que vous avez déjà dû faire marche arrière en séance, à la suite d'un amendement de suppression du Gouvernement. Je vous avais invités à le faire dès l'examen en Commission, mais vous vous y étiez refusés. J'avais également dû en appeler à la commission des Finances puisque vous vous étiez affranchis de l'article 40 de la Constitution malgré les avertissements qui vous avaient été adressés.

Le débat doit se concentrer désormais sur l'accompagnement et sur la sortie de la prostitution. Sur la pénalisation, nous ne tomberons pas d'accord. Nous ne voterons pas ce texte. Je vous l'ai dit au début de la discussion, voici vingt-quatre mois : cette position est idéologique, doctrinaire, elle fait fi des travaux des associations qui accompagnent sur le terrain celles et ceux qui vivent de la prostitution et de ceux qui sont menés en sciences humaines – il est vrai que c'est à la mode de s'asseoir sur ces outils de compréhension et d'analyse du réel, si l'on en croit certaines déclarations des plus hautes personnalités de l'État ! Mme la rapporteure s'inscrit bien dans cette tendance. Pour ma part, ce qui m'intéresse, c'est bien de comprendre le réel.

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