Intervention de Gilles Savary

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary, rapporteur :

Cette proposition de loi a connu un parcours un peu chaotique. Elle a commencé à être élaborée à la demande de la SNCF et de la RATP sur le thème de la lutte contre la fraude, qui atteint 300 millions d'euros à la SNCF, 180 millions à la RATP, et prend un tour chronique, c'est-à-dire comportemental : elle ne touche pas uniquement les nécessiteux et les gens en difficulté qui eux, sont couverts, par plus de 500 millions d'euros de compensations de service public. Cette fraude prend aussi un tour très organisé puisque des réseaux de fraudeurs s'organisent désormais systématiquement pour ne plus payer les transports publics. Or, même si ces services publics n'ont pas de prix dans l'esprit de nos concitoyens, ils ont un coût particulièrement élevé : les transports publics s'apparentent à cet égard à de l'industrie lourde… On assiste de plus en plus à un découplage entre le coût et les recettes d'exploitation, quel qu'en soit d'ailleurs le succès. Et cet écart en vient à menacer l'équilibre de nos systèmes de transports – que ce soit en termes de réinvestissement, d'entretien ou de maintenance.

Notre travail sur ce sujet a commencé en avril, avant d'être percuté de plein fouet par les événements du 21 août dernier : l'attentat miraculeusement manqué – si je puis dire – du Thalys, qui m'a amené à retarder le dépôt de cette proposition de loi que j'avais travaillée tranquillement mais de façon très approfondie, à grand renfort de visites de terrain et d'auditions. Nous avons alors réorienté la proposition de loi vers la lutte contre les actes terroristes et le renforcement des mesures de sûreté.

Il en découle un texte organisé en deux titres dont le premier, essentiellement relatif aux mesures de sûreté, a finalement pris la plus grande place. Nous avons hésité à y associer la fraude : il pouvait paraître inconvenant de donner l'impression de profiter des drames que nous avons vécus pour nous faire les poches… J'ai finalement proposé de conserver ces dispositions de lutte contre la fraude, pour plusieurs raisons.

D'abord, on s'aperçoit que la systématisation de la fraude crée des incivilités et génère très souvent de violents dérapages conduisant de plus en plus de contrôleurs à exercer leur droit de retrait. La frontière était donc ténue entre la fraude systématique et la menace contre l'ordre public – sans aller jusqu'au terrorisme.

Ensuite, la lutte contre la fraude vise aussi à trouver des moyens pour financer la sûreté. Il serait extrêmement choquant que le financement de la sûreté – qui n'est pas l'objet de ce texte mais qui devient un sujet obsédant pour les compagnies de transport et qui représente un coût considérable en vidéosurveillance, en réorganisation de flux dans les gares, en portiques, en recrutements nouveaux, en formation et en équipements des personnels – ne soit assuré que par ceux qui consentent à payer.

Malgré les objections de certains collègues, la lutte contre la fraude et le renforcement de la sûreté ainsi que la prévention des actes terroristes me semblent des sujets complémentaires, sans être tout à fait identiques.

Le titre premier, qui est peut-être le plus important, prévoit une série de dispositions juridiques nouvelles permettant d'améliorer les capacités d'action des services de sûreté. Au tout début, d'ailleurs, ce texte était très axé sur la région parisienne. Mais je pense qu'il n'est pas possible de considérer que des Lyonnais en danger sur leur réseau ne doivent pas être traités de la même manière par la loi que des Parisiens en danger sur le leur. La réflexion doit porter sur l'ensemble des réseaux de transports. J'espère d'ailleurs que la sûreté sera une compétence supplémentaire pour les collectivités locales et je regrette que, pour des raisons que je ne comprends guère, plusieurs amendements de M. Gérald Darmanin aient été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution.

Je voudrais aussi préciser les lignes directrices qui ont présidé à cette proposition de loi.

Première ligne directrice, on ne part pas de rien, il faut le dire et le répéter. D'énormes moyens sont déployés pour assurer la sûreté des voyageurs. D'abord les 2 000 gendarmes et policiers spécialisés de la police ferroviaire nationale, avec un savoir-faire spécifique, qui peuvent faire appel au besoin à la gendarmerie classique et à des unités mobiles pour des missions ponctuelles. Ce à quoi il faut ajouter 1 200 agents au sein d'une sous-direction de la préfecture de police de Paris, pour l'Île-de-France, et 2 800 agents de la Sûreté générale (SUGE) c'est-à-dire du service de sûreté de la SNCF. Viennent enfin les 1 250 agents du Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR), que vous voyez en tenue dans les couloirs du métro, sans parler des douanes et de la police de l'air et des frontières qui elles peuvent intervenir. Telles sont les forces de l'ordre dédiées à la sécurité de nos transports collectifs – essentiellement les réseaux ferrés, mais également les bus et les tramways. Je ne compte évidemment pas les agences de sécurité privées auxquelles peuvent aujourd'hui recourir les réseaux de province, agences contrôlées par le ministère de l'intérieur via le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS).

Enfin, il y a l'aspect matériel des choses : on compte, par exemple, 510 caméras dans la seule gare du Nord. Des caméras ont été installées dans la plupart des gares fréquentées par plus de 30 000 personnes – seules les toutes petites gares de province ne sont pas équipées. Paris dispose d'un centre opérationnel absolument remarquable, que je vous invite à aller visiter à la RATP, dans lequel sont réunis les services de sûreté de la RATP, les services de sûreté de la SNCF et la police ferroviaire, ce qui leur permet d'intervenir très rapidement. Ayant eu l'occasion d'assister « en direct » à des agressions sur un quai de banlieue, j'ai pu noter la rapidité d'intervention et de mobilisation des services présents sur place.

Autrement dit, ce n'est pas rien. Mais on peut faire mieux. Au-delà des moyens précités, améliorer la sûreté suppose de recourir à la loi pour accroître les possibilités juridiques des différents acteurs de terrain, mais aussi par des moyens supplémentaires, ce qui ne relève pas directement de la loi. On m'a notamment demandé si nous allions autoriser les portiques dans la loi. Il est toujours possible d'en installer où et quand on veut : ce n'est pas une question de loi mais de moyens, de politique ferroviaire et de politique de sûreté.

On va tenter d'installer des portiques dans le Thalys. Rappelons à ce propos, même si c'est trivial, qu'un train n'est pas un avion et qu'une gare n'est pas un aéroport. La gare du Nord accueille 201 millions de personnes par an et la gare Saint-Lazare, 102 millions. Le total des voyageurs en avion par an en France s'élève à 140 millions, tous aéroports confondus ; pour les voyages en train, c'est 2,5 milliards… Les proportions sont donc radicalement différentes. Quand on prend l'avion, on part loin si bien que l'on accepte de passer par une salle d'embarquement après un filtrage qui suppose des files d'attente. Les 7 millions de personnes, dont 5,5 à 6 millions en Île-de-France, qui voyagent dans les trains du quotidien, ont besoin de pouvoir sauter d'un train à l'autre. On se lève déjà très tôt pour aller au travail ; on n'a pas le temps de passer par trois salles d'attente parce qu'on a trois correspondances… L'essentiel réside donc dans les moyens humains et la vidéosurveillance. Jamais on ne pourra faire de nos gares des aéroports, sinon les trains du quotidien deviendront un enfer : il faudra se lever à deux heures du matin pour arriver à huit heures à son travail et rentrer chez soi à vingt-trois heures ! C'est déjà compliqué pour les Parisiens ; comment pourront-ils faire autrement ? Il faut donc savoir raison garder.

N'oublions pas non plus un autre principe : pour une masse de gens, le transport, c'est la vie quotidienne. Le risque zéro n'existera jamais, à moins de renoncer à vivre. J'ai entendu beaucoup de surenchères : certains en veulent toujours plus comme si l'on pouvait faire croire que demain, grâce à la loi, il n'y aura plus aucun risque, même en état de guerre. C'est comme si on expliquait qu'il est possible d'intervenir en Irak ou en Syrie avec zéro bombardement… On sera toujours exposé mais ce texte vise – comme les expérimentations menées sur le Thalys et les recrutements supplémentaires en cours à la RATP et à la SNCF – à faire en sorte de resserrer les mailles de notre filet de sûreté et de prévention, de créer de l'insécurité pour ceux qui voudraient nous mettre en insécurité en multipliant les dispositifs aléatoires et les possibilités d'intervention sur renseignement, pour les services de sûreté mais aussi pour les forces de maintien de l'ordre.

Deuxième ligne directrice : nous ne cédons pas à la tentation de transformer d'un coup de baguette magique tous les agents de sûreté du pays en policiers et en gendarmes. Il y a dans une démocratie une ligne rouge entre les forces de l'ordre, qui ont une formation, une éthique et des modalités d'intervention particulières, sous le contrôle du juge, et les forces de sûreté. Nous maintenons donc nos forces de l'ordre dans le champ du maintien de l'ordre et nos forces de sûreté dans celui de la sûreté, même si nous conférons à ces dernières des prérogatives plus importantes qu'actuellement.

Voilà les quelques principes qui ont présidé à l'élaboration de ce texte important qui devrait pouvoir être appliqué rapidement, raison pour laquelle la procédure accélérée a été choisie.

Ce texte comporte neuf articles.

L'article 1er autorise les agents de sûreté de nos réseaux de transports publics – et par extension, je l'espère, les agents de sûreté des réseaux de transports locaux – à procéder à des palpations de sécurité, des fouilles de bagages et des inspections visuelles de façon aléatoire et générale, autrement dit en dehors d'opérations ponctuelles. Ils pourront le faire partout où ils se trouveront, y compris sur signalement évidemment, comme le font la douane auprès des voyageurs débarquant en gare du Nord du Thalys ou encore le GPSR de la RATP derrière les portiques. Ces agents pourront intervenir à tout moment. C'est là une extension de compétences extrêmement importante.

L'article 2 renforce en contrepartie le contrôle exercé sur ces agents, que nous plaçons sous l'autorité de la police et de la gendarmerie, autrement dit du ministère de l'intérieur, qu'il s'agisse de leur formation ou du suivi de leur entraînement. C'est une nouveauté car jusqu'à présent, ces services étaient autonomes. Sébastien Pietrasanta, rapporteur pour avis de la Commission des lois, rappelait ce matin que les services de sûreté des chemins de fer ont précédé la création de la SNCF : ils existaient dès la fin du XIXe siècle alors que la SNCF n'a été créée qu'après 1937. Il s'agit donc de services maison très anciens ayant une formation très étendue, généralement encadrée par des policiers ou anciens policiers – souvent des commissaires de police : il ne faut pas croire que ces services soient totalement hors sol. Mais nous pensons qu'il est important d'introduire de la rigueur dans leur tutelle. C'est pourquoi ils dépendront du ministère de l'intérieur.

L'article 3 permet aux agents d'exercer leur mission en dispense du port de la tenue réglementaire. Il s'agit là de reprendre une disposition supprimée en 2005, car les agents peuvent être très efficaces en civil avec port d'arme, en particulier sur des lignes « turbulentes » qui connaissent un grand nombre d'agressions. Dans ce cadre, sur proposition de collègues ici présents, nous allons vous proposer plusieurs amendements visant à lutter contre le harcèlement, en particulier sexuel, dont sont victimes les femmes dans les transports. Quinze jours ou trois semaines d'intervention en civil peuvent considérablement assainir la situation sur des lignes où sont constatées des tensions particulières. Cela peut concerner des lignées ciblées, mais aussi les emprises des gares.

L'article 4 élargit aux agents de police judiciaire – gendarmes, douaniers et policiers – la possibilité de constater par procès-verbaux les infractions à la police des transports. Ainsi, s'ils constatent occasionnellement une infraction susceptible de porter atteinte à la sécurité des biens et des personnes, ces agents pourront désormais intervenir même si la police des transports ne fait pas partie de leurs champs de compétences.

L'article 5 introduit une simplification des règles de compétence territoriale des procureurs en matière de contrôles, de vérifications et de relevés d'identité, grâce à la désignation d'un procureur unique pour un trajet traversant plusieurs juridictions. À l'heure actuelle, le procureur compétent est celui du département où se produit la voie de fait, ce qui complique les choses lorsqu'il s'agit de trains à grande vitesse. Le procureur compétent sera désormais celui du ressort dans lequel se situe la gare de départ ; si la gare de départ se situe hors du territoire national, c'est le procureur de la gare d'arrivée qui sera compétent.

L'article 6 permet à la police judiciaire de procéder, en vue de prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens, à l'inspection visuelle des bagages à main et à leur fouille, avec l'accord du possesseur ou à défaut sur instruction du procureur de la République. Les services de sûreté peuvent procéder à des fouilles, mais ne peuvent l'imposer à un passager sans son consentement : c'est toute la frontière entre les forces de l'ordre et les services de sûreté, qu'il ne faut surtout pas franchir si nous ne voulons pas que notre État de droit se transforme un État de cow-boys… Mais nous avons introduit par amendement une disposition prévoyant qu'à défaut de consentement, l'exploitant peut interdire l'accès au train. Ainsi, cet article permettra d'interdire l'embarquement d'un passager refusant des palpations, fouilles ou inspections visuelles, comme cela existe dans le transport aérien. Reste à savoir comment réagira le Conseil constitutionnel… Interdire l'accès au train, c'est beaucoup plus lourd au regard des libertés que d'interdire l'accès à un avion.

Les trois articles du titre II concernent la fraude. L'article 7 permet aux agents de sûreté de la SNCF et de la RATP de constater par procès-verbaux le délit de vente à la sauvette lorsque celui-ci est commis dans les gares et les dépendances du domaine public ferroviaire. La vente à la sauvette concerne le trafic de billets, y compris de faux billets.

L'article 8 propose d'abaisser de dix à cinq le nombre d'infractions sur une période inférieure ou égale à douze mois caractérisant le délit d'habitude, sévèrement réprimé.

L'article 9 instaure un droit de communication entre les exploitants de transports publics et les administrations publiques, afin de faciliter la recherche des adresses communiquées par les contrevenants et d'améliorer le recouvrement des amendes. Actuellement, ce taux de recouvrement est de 14 %. Autrement dit, les contrôleurs pédalent à vide… Ils travaillent beaucoup, en tout cas ceux qui l'acceptent, pour peu de rendements. Ce qui explique, en plus des petites violences dont ils sont quotidiennement victimes, leur faible motivation. La communication des données personnelles se fera sous l'autorité de l'État et dans le respect des prescriptions de la CNIL. Les entreprises de transport n'auront pas un accès direct aux données personnelles, c'est une structure intermédiaire placée sous le contrôle du ministère de l'intérieur qui, à la demande de ces entreprises, s'emploiera à identifier l'adresse en vue du recouvrement.

Telles sont, mes chers collègues, les principales dispositions de cette proposition de loi, que vos nombreux amendements permettront d'améliorer substantiellement, ce qui en fera un texte de très bonne tenue.

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