Intervention de Joëlle Huillier

Séance en hémicycle du 8 décembre 2015 à 15h00
Information de l'administration et protection des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoëlle Huillier :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis, depuis plusieurs années, élue de Villefontaine, commune du nord de l’Isère comptant environ 18 000 habitants, et qui est sortie, en mars, de son relatif anonymat suite à l’affaire d’abus sexuels perpétrés sur des enfants de six et sept ans par le directeur de l’une des écoles de la ville. Celui-ci avait, l’année précédente, sévi dans une école de Saint-Clair-de-la-Tour, autre commune de ma circonscription.

Ces faits horribles ont meurtri les enfants, dévasté les parents, choqué le personnel communal des écoles et le corps enseignant, dont le professionnalisme ne doit pas être remis en cause par le crime de l’un d’entre eux. Ils ont aussi blessé une ville, ses habitants, ses agents, ses élus qui se sentent, bien sûr, profondément touchés par cette affaire, mais qui doivent aussi lutter désormais contre l’image donnée de leur commune, notamment dans les médias.

Et parce que les faits commis à Villefontaine ne sont ni plus ni moins graves que ceux, similaires, qui ont été – hélas – commis ailleurs en France, je forme le souhait qu’après le « scandale Villefontaine », on ne parle pas de « loi Villefontaine », mais plutôt de loi pour la protection des mineurs.

Vous me pardonnerez une digression qui peut paraître décalée, mais je tenais à relayer la demande des nombreux Villards et Villardes qui m’ont, ces dernières semaines et ces derniers mois, fait part de leur volonté de ne pas voir leur ville stigmatisée.

Cette affaire, ainsi que bien d’autres, a révélé les défaillances qui peuvent exister au sein de l’institution scolaire et le défaut anormal de communication entre la justice, qui dispose d’informations utiles, et l’éducation nationale, qui en a besoin.

En effet, ces enseignants – à Villefontaine, à Orgères, pour citer les exemples les plus récents – avaient été condamnés des années auparavant pour avoir détenu ou visionné des images à caractère pédopornographique, mais l’information n’avait pas été transmise à l’éducation nationale et ils avaient donc pu continuer à exercer leur métier au contact de mineurs.

Le Gouvernement s’est engagé à tout faire pour qu’il n’y ait plus d’affaire de pédophilie de ce type dans les écoles, et je veux saluer sa réactivité. Il y a d’abord eu l’enquête conjointe des inspections générales des services judiciaires et de l’éducation nationale, qui a permis d’identifier les failles dans la relation entre les deux institutions et de proposer des améliorations juridiques et organisationnelles pour une meilleure information des établissements recevant des mineurs.

La réponse administrative a été mise en place dès la rentrée de septembre, à travers la circulaire du 16 septembre 2015 destinée à renforcer le partenariat entre les deux ministères et l’installation de référents « justice » dans chaque académie et de référents « éducation nationale » dans chaque tribunal de grande instance, pour garantir les échanges d’information.

Quant à la réponse législative, le Gouvernement a pris la responsabilité de déposer, l’été dernier, un amendement au projet de loi relatif à l’adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne qui prévoyait la transmission, par le procureur de la République, d’informations facultatives, dès l’ouverture d’une enquête préliminaire, sur une personne mise en cause pour certaines infractions.

Les dispositions que nous avons votées ont été censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles constituent des cavaliers législatifs. Même si le véhicule législatif ne s’est, finalement, pas révélé être le bon, on ne peut pas reprocher au Gouvernement d’avoir voulu agir rapidement, dans l’intérêt des enfants.

Nous avons aussi voté, la semaine dernière, en première lecture, la proposition de loi de notre collègue Claude de Ganay, qui vise à rendre plus systématique la peine complémentaire d’interdiction d’activité auprès des mineurs pour les personnes condamnées pour infractions sexuelles sur des enfants.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui reprend les dispositions votées cet été ainsi que la proposition de notre collègue, et respecte la ligne de crête proposée le Conseil d’État. Ce dispositif ne doit pas, en effet, remettre en cause la présomption d’innocence ou apparaître en contradiction avec nos normes constitutionnelles et nos engagements internationaux.

Rien dans la loi, à ce jour, n’oblige les services de la justice à transmettre aux administrations compétentes des informations sur les condamnations ou interdictions professionnelles qui concernent leurs agents. Il existe bien des circulaires, comme celle du 11 mars 2015, mais elles sont difficilement applicables car entrant souvent en contradiction avec les dispositions législatives et l’article 11 du code de procédure pénale sur le secret de l’enquête et de l’instruction.

Je me réjouis donc que l’article 1er du texte propose d’obliger le parquet à transmettre l’information en cas de condamnation ou de placement sous contrôle judiciaire des professionnels ou bénévoles exerçant habituellement auprès des mineurs, pour des faits d’infractions sexuelles, de violence ou d’exhibition.

Je me félicite également que l’article 3 permette d’écarter un individu définitivement condamné pour des délits sexuels de la direction ou de l’exercice d’une activité au sein d’un établissement social ou médico-social accueillant des mineurs ou relevant de l’aide sociale à l’enfance.

Ces dispositions sont conformes à l’avis du Conseil d’État qui a estimé que la transmission d’une information relative à une condamnation pénale, même non définitive, ne portait pas atteinte à la présomption d’innocence ou au respect de la vie privée dès lors que cette condamnation a été prononcée publiquement.

Le juge administratif suprême a aussi admis les cas de transmission obligatoire lorsqu’ils sont liés à une liste spécifique d’infractions, ce que prévoit le projet de loi.

La possibilité, et non l’obligation, pour la justice, de transmettre à l’administration des informations sur les cas de personnes condamnées ou poursuivies, sans contacts habituels avec des mineurs, répond aussi à une préconisation du Conseil d’État.

En effet, celui-ci considère que la transmission d’informations, dans ces cas-là, doit être justifiée par des impératifs comme le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes ou des biens ou le bon fonctionnement du service public. Il ne saurait être question de généraliser l’obligation à tous les cas et à tous les stades de la procédure, au risque de fragiliser la constitutionnalité du texte et d’attenter aux droits de l’homme et à la vie privée.

C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons accepter les amendements qui veulent imposer une obligation dans tous les cas. La transmission de l’information doit rester facultative dans certaines situations et son opportunité laissée à l’appréciation du procureur de la République, comme le propose la juridiction administrative suprême.

D’ailleurs, le projet de loi apporte les garanties préconisées par le Conseil d’État : la transmission se fera par écrit, la personne concernée en sera avisée et l’autorité destinataire connaîtra l’issue de la procédure engagée afin d’agir en conséquence. Dans le cas d’une non-culpabilité, l’information sera effacée du dossier afin de préserver l’honorabilité de la personne mise en cause.

Le dispositif proposé aujourd’hui permet donc de mieux protéger les enfants, tout en garantissant la présomption d’innocence. Il n’est pas contradictoire avec la Constitution ni avec nos engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme.

Mes chers collègues, il n’y a plus de temps à perdre. Trop de drames se sont succédé ces dernières années et certains auraient été évités grâce aux mesures qui nous sont présentées aujourd’hui. L’incompréhension et la colère des familles nous commandent de réagir très rapidement. C’est ce qu’a fait le Gouvernement, c’est ce qu’il nous revient de faire aujourd’hui au Parlement.

Je veux saluer l’esprit de responsabilité qui a présidé sur tous les bancs de cet hémicycle, au regard du faible nombre d’amendements déposés sur ce texte, en commission des lois comme en séance publique. Cela traduit la solidité juridique et technique du dispositif proposé, mais aussi l’ardente volonté de chacune et chacun d’entre nous d’agir vite et efficacement pour protéger nos enfants et faire en sorte que ces horreurs et ces erreurs ne se reproduisent plus.

Le groupe socialiste, républicain et citoyen apportera bien entendu son plein soutien à ce texte.

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