Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 2 décembre 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Je remercie l'ensemble des députés qui viennent d'intervenir pour la qualité et la densité de leurs observations. Depuis le vote de la prolongation de l'état d'urgence, Jean-Frédéric Poisson et moi-même avons cherché à inventer un dispositif, le Parlement n'ayant strictement aucune expérience en la matière. Si c'est la septième fois que notre pays connaît l'état d'urgence, jamais en effet aucune chambre ne s'était lancée dans un travail d'investigation. Au regard de l'ampleur des mesures prises – l'état d'urgence ayant été proclamé sur la totalité du territoire, ce qui n'était le cas ni en 2005 ni en 1985 –, il était indispensable que le Parlement se hisse à la hauteur des responsabilités qui lui sont conférées par l'article 24 de la Constitution : celles de l'évaluation et du contrôle de l'action gouvernementale. C'est pourquoi nous avons cherché à bâtir un dispositif exemplaire, fondé sur la recherche d'une efficacité durable. Cela explique que nous ayons pris le temps d'y réfléchir : le temps de la Commission n'est pas celui de la fébrilité. Nous ne sommes pas dans la réactivité à l'immédiat.

Le dispositif que nous vous proposons s'appuie sur quatre convictions.

Tout d'abord, pour contrôler, il faut savoir. Il est donc nécessaire de bénéficier du plus grand nombre possible d'informations. Qu'il y ait eu cette nuit 106 perquisitions, qu'au total, depuis le début de l'état d'urgence, celles-ci s'élèvent à 2 235, est un fait. Mais cela n'est pas suffisant. Nous avons besoin de savoir où elles se sont produites, dans quels locaux, à quelle heure, qui étaient les personnes présentes, s'il y avait notamment un officier de police judiciaire, si des biens ont été détruits, si des infractions ont été constatées et si des saisies informatiques ont été effectuées.

Nous avons donc bâti un dispositif tenant compte des treize mesures – et j'insiste sur ce point – que permet potentiellement de prendre l'état d'urgence. Toutes n'auront certes pas la même ampleur quantitative. Les dissolutions d'associations ou de groupements ne pouvant résulter que d'une décision prise en Conseil des ministres, je ne pense pas qu'on y ait beaucoup recours. J'ignore si la disposition votée à l'initiative du président Schwartzenberg concernant le blocage des sites internet sera utilisée mais il me semble nécessaire que le Parlement sache sur quelles bases juridiques elle le sera : celles de la loi de 1955, comme nous en avons ouvert la possibilité, ou celles de la loi de novembre 2014 – je rappelle que quatre-vingt-dix sites ont été bloqués depuis lors.

Je souhaite que les informations qui nous seront communiquées – nous étions, ce matin encore, Michel Mercier et moi-même, en réunion de travail avec le ministre de l'intérieur –, et que je veux mettre à la disposition du Parlement, soient quotidiennes. Si vous validez le dispositif proposé, nous donnerons, cet après-midi à quinze heures dans le cadre d'une réunion prévue avec des représentants de l'Intérieur, la totalité des exigences statistiques de notre Commission.

D'abord savoir. Ensuite, connaître. C'est la raison pour laquelle le contrôle ne se fait pas seulement à l'Assemblée nationale : la capacité des parlementaires à écouter les élus locaux apportera des informations. Nous ne pourrons exercer un contrôle que si celles-ci n'émanent pas toujours de la même source. Les faits que je lis comme vous dans les coupures de presse viennent d'une parole qui n'est pas nécessairement la plus objective et qui, en tout état de cause, a besoin d'être confrontée à d'autres points de vue. Je suis d'accord avec Olivier Marleix : une perquisition administrative n'aboutit pas nécessairement au constat d'une infraction. La saisine d'un ordinateur nécessite le temps d'examiner le contenu de celui-ci. Si la perquisition est de nature administrative, c'est précisément parce que la procédure n'est pas « judiciarisable ».

Savoir, connaître, puis interroger. C'est pourquoi – je le précise car cela n'était sans doute pas clair dans mon propos liminaire – la commission des Lois ne devient pas une commission d'enquête : elle s'en donne les pouvoirs, ce qui est fort différent. Cette faculté n'a encore jamais été utilisée ; je m'en suis évidemment entretenu avec le Président Bartolone et la garde des sceaux qui, selon les formes, doit nous confirmer qu'aucune poursuite judiciaire en cours ne s'y oppose.

Savoir, connaître, interroger pour évaluer. Ne nous trompons pas : le Parlement a une responsabilité particulière. Nous ne sommes pas une autorité judiciaire donc nous ne jugerons pas. Nous ne sommes pas une voie de recours dans des procédures juridictionnelles. Nous sommes uniquement ici pour contrôler l'application des mesures prévues – raison pour laquelle je suggère que nous ne nous dispersions pas. Nous ne devons avoir qu'un seul interlocuteur : le ministre de l'intérieur, seul responsable de son administration comme le prévoit la Constitution. Sinon, si l'on s'adresse à tel corps, à tel groupement, à telle direction départementale de la sécurité publique, à telle section de recherche, à tel service central du renseignement territorial, à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), nous risquons d'être submergés.

Il est évident que tout cela sera public. J'aurais dû commencer par là – pardon pour cet oubli ! Nous allons donc ouvrir, dès cet après-midi, sur le site de l'Assemblée nationale une page dédiée au contrôle parlementaire qui fera état des données statistiques que nous publierons, des remontées obtenues et des manques constatés – si nous n'obtenons pas les renseignements que nous avons demandés. Cette page sera actualisée autant que nécessaire – et au moins de façon hebdomadaire. Toutes les trois semaines, je suggère que la Commission ait un débat sur ce sujet de façon à répondre aux interrogations évoquées par Alain Tourret, Marc Dolez et Jean-Christophe Lagarde. Il ne s'agit en aucun cas – bien au contraire ! – d'écarter quiconque du contrôle exercé dans le cadre de la commission des Lois. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas pris le chemin choisi par nos collègues du Sénat, qui ont simplement désigné un rapporteur spécial. Pour moi, toute la Commission est engagée dans ce travail : l'information qui parviendra au rapporteur sera destinée à tous ses membres. La tenue d'un débat toutes les trois semaines permettra du reste de combler le manque d'information des uns et des autres.

De même, il est évident qu'à l'issue de l'état d'urgence, à la fin du mois de février, un rapport sera publié. Celui-ci n'aura pas seulement vocation à être adopté par la commission des Lois mais devra faire l'objet, selon moi, d'une séance publique de contrôle dans l'hémicycle. Là encore, en effet, il ne s'agit pas d'informer la seule commission des Lois – même si celle-ci est le bras armé de notre assemblée : tous les parlementaires sont concernés par l'état d'urgence puisque tous l'ont voté. Et dans cette affaire, je ne crois pas que nous puissions agir par délégation. Ce bilan, présenté lors d'une séance de contrôle, nous permettra de disposer des éléments que vous imaginez.

S'agissant des correspondants, nous devons faire évoluer la position prise au moment où cette note a été rédigée. Ce qu'a dit Georges Fenech est frappé au coin du bon sens : comme nous avons besoin d'informations, il faut viser celui qui, à la Chancellerie, les donne – probablement un correspondant à la direction des affaires criminelles et des grâces. En citant le parquet de Paris dans ma note, c'est à cela que je pensais. Il ne s'agit nullement de bafouer le principe de séparation des pouvoirs, alors que nous en sommes tous les défenseurs, en allant nous immiscer dans la procédure judiciaire.

Naturellement, si la Commission le décide, le Gouvernement assistera à nos travaux. Le ministre de l'intérieur, la garde des sceaux et le Premier ministre ont d'ailleurs dit depuis le début qu'ils souhaitaient que nous soyons pleinement associés à la procédure. Effectivement, monsieur Le Bouillonnec, nous pouvons d'ores et déjà nous féliciter que le Gouvernement nous informe. Dès le dimanche 15 novembre, le Président de la République a réuni quelques-uns d'entre nous à l'Élysée. Peu de temps après, le ministre de l'intérieur a fait de même, puis le Premier ministre cette semaine. Le Gouvernement informe : c'est à son honneur et c'est sa responsabilité. Le Parlement, lui, doit contrôler. Il ne s'agit donc pas ici de marcher sur des platebandes qui ne nous sont pas communes.

Qu'allons-nous contrôler ? Là est la difficulté. Il n'y a pas de solution toute prête. Comment mesurer l'efficacité des mesures prises par le Gouvernement ? C'est dans le travail collectif que nous parviendrons à le déterminer. Comment évalue-t-on l'efficacité d'un renseignement obtenu ? Chacun d'entre nous aura une culture nourrie de l'expertise que nous pourrons forger au fur et à mesure

Monsieur Glodberg, si nous nous dotons des pouvoirs d'une commission d'enquête, c'est justement pour permettre à Jean-Frédéric Poisson et à moi-même de nous rendre dans les départements – non seulement de jour mais aussi de nuit afin de vérifier sur pièces et sur place la manière dont les mesures autorisées par le Parlement sont appliquées.

Quant à savoir si le secret sera opposé, je considère que les débats de la Commission doivent être publics : ils l'ont toujours été et le sont toujours. Nous n'avons demandé qu'une fois le huis clos pour une audition du directeur général de la sécurité intérieure. Je ne crois pas que quiconque ait à gagner à ce que nos débats deviennent secrets en période d'état d'urgence – bien au contraire. Comme vous le savez, je suis un adepte du philosophe libéral Jeremy Bentham qui considère que l'oeil du public rend l'homme d'État vertueux. Je pense donc que nos débats doivent rester publics. Cela étant, certaines règles s'appliquent : je vous renvoie à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui prévoit dans quels cas le secret est levé ou opposable. Ainsi, le secret défense est opposable dans le cadre d'une commission d'enquête. Naturellement, nous respecterons le cadre légal, personne n'ayant proposé à ce stade de le faire évoluer.

Un dernier mot pour vous dire que le contrôle a commencé depuis vendredi : j'ai adressé quotidiennement, sur la base d'informations qui m'ont été transmises, vingt-quatre courriers au ministre de l'intérieur, concernant des cas précis. Treize d'entre eux me sont revenus pour le moment. Nous publierons sur le site de l'Assemblée nationale le taux de réponses obtenu. Il ne s'agit pas de publier ces courriers – chacun le comprendra. Mais à partir d'informations entendues, relevées et lues, il est de notre responsabilité d'interroger le Gouvernement et de la sienne de nous répondre. Le public, quant à lui, doit savoir si nous avons obtenu réponses ou pas. Ce que nous en ferons figurera dans le rapport que nous publierons. Je crois ainsi que nous n'aurons pas été en deçà de ce qu'il était légitime d'attendre de notre part en termes de capacité à inventer un dispositif exigeant et robuste.

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