Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 2 décembre 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord vous rappeler le contexte. Sur la base d'un amendement voté à l'unanimité par la Commission, conforté par les débats en séance publique tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, un nouvel article 4-1 a été inscrit dans la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Cet article prévoit ceci : « L'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l'état d'urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures ».

Cet article confère au Parlement un pouvoir de contrôle précis et constant des mesures adoptées et appliquées par l'exécutif durant trois mois. C'est la marque de nos débats, concrétisant une intention avancée lors des emplois précédents de la loi de 1955, à savoir en janvier 1985 puis en novembre 2005, mais jamais matérialisée.

Le vote unanime du Parlement renforce notre détermination collective à démontrer que l'état d'urgence est partie intégrante de l'état de droit puisqu'il ne suspend pas l'application des autres lois.

Il nous faut maintenant organiser les modalités d'exercice de ce pouvoir afin qu'il soit effectif, permanent et efficace. À cet égard, permettez-moi de citer Guy Carcassonne qui écrivait dans la préface d'un ouvrage d'un de nos collègues présents dans cette salle : « Il ne suffit pas de donner des pouvoirs à l'Assemblée, encore faut-il que les députés les exercent ». Nous allons exercer ces pouvoirs.

Quels objectifs allons-nous poursuivre ? Sans préjudice du travail classique a posteriori de l'action du Gouvernement qui nous conduira, le moment venu, à en dresser le bilan, il nous faut mettre en place une veille parlementaire continue tout au long de la durée de l'état d'urgence.

Quoique concomitante de l'action des pouvoirs publics, il s'agira donc de favoriser, en temps réel, le regard de l'Assemblée nationale sur les services auxquels ont été consentis temporairement des pouvoirs particuliers, d'évaluer la pertinence des moyens mobilisés et ainsi signaler, le cas échéant, tout risque d'abus.

Ce mode opératoire permettra ainsi à la commission des Lois d'évaluer l'application de l'état d'urgence en délivrant une analyse technique et statistique complète ainsi qu'objective des procédures mises en oeuvre. Notre but étant qualitatif et pas seulement quantitatif, nous allons tenter d'évaluer les bénéfices retirés de ces mesures exceptionnelles en termes de sécurité publique, de procédures judiciaires et de collecte de renseignements. Cela nous amènera, le cas échéant, à adresser au Gouvernement des préconisations dans le but, soit de conforter l'efficacité du dispositif, soit de mieux garantir les libertés individuelles et collectives.

Le contrôle conjuguera un suivi de données relatives à la mise en oeuvre de l'état d'urgence et une réflexion plus approfondie sur certaines thématiques et certains faits. Ainsi, dès l'entrée en vigueur du dispositif, vendredi prochain, différents tableaux de bord seront institués et actualisés chaque semaine, grâce à une remontée quotidienne d'informations. Ils intégreront le suivi des procédures exceptionnelles de l'état d'urgence. Nous aurons ainsi des indicateurs détaillés sur les différentes mesures possibles : bien sûr, les assignations à domicile ou les perquisitions à domicile de jour et de nuit, ou encore les remises des armes de catégorie A à D dont le ministre évoque régulièrement les résultats, mais aussi toutes les autres mesures possibles dans le cadre de l'état d'urgence, c'est-à-dire les interdictions de la circulation des personnes ou des véhicules, la dissolution d'associations ou de groupements, les interruptions de sites internet, les fermetures provisoires des salles de spectacles, débits de boisson et lieux de réunion. Il existe sept articles dans la loi de 1955 qui prévoient treize mesures possibles. Nous nous intéresserons à la totalité de ces treize mesures. Ensuite, nous procéderons à un recensement des éventuelles suites judiciaires ou administratives, les recours intentés contre elles ou contre leurs suites.

En complément de ce suivi hebdomadaire et grâce aux données ainsi collectées, le contrôle sera complété par un travail d'enquête et d'information portant sur plusieurs thématiques déterminées en fonction des premières analyses des données fournies. Tous les outils de travail habituels seront alors mobilisés : auditions, demandes de pièces, contrôles sur place, déplacements sur certaines zones, envois de questionnaires.

Quels outils allons-nous mobiliser pour concrétiser ces intentions ? La semaine dernière, j'ai appelé le défenseur des droits, Jacques Toubon. Je lui ai fait part de mon souhait de mobiliser les 397 délégués territoriaux afin de transmettre à la Commission les informations qu'il jugera utiles. Une circulaire du défenseur des droits a déjà été envoyée. Ces délégués recevront les éventuelles réclamations des citoyens concernés par une mesure et communiqueront les éléments indispensables à une exploitation. Parallèlement, j'ai appelé Christine Lazerges, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme afin de conduire un travail de sensibilisation auprès des associations représentées en son sein pour, là encore, faire parvenir aux rapporteurs tous les éléments qu'elles pourraient juger utiles.

De plus, les parlementaires – et pas uniquement ceux de la commission des lois – qui, comme l'a décidé le ministre de l'intérieur, seront régulièrement informés par les préfets de ce qui se passe dans les départements, auront la faculté, et même le devoir de faire remonter des observations.

Mais surtout, je vous propose d'utiliser pour la première fois sous la Vème République l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Cet article permet à une commission permanente de se doter, en plus de ses pouvoirs traditionnels, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Ainsi, elle disposera de moyens d'action non négligeables, et d'abord de pouvoirs de contraintes. Toute personne dont nous jugerons l'audition utile sera tenue de déférer à notre convocation. En cas de faux témoignage, les articles du code pénal prévoyant des peines d'emprisonnement et d'amende seront applicables. La Commission disposera aussi de pouvoirs d'enquête. Je vais vous proposer de me désigner rapporteur de ce travail et de nommer Jean-Frédéric Poisson co-rapporteur d'application, afin de mener des investigations sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter notre mission devront nous être fournis. Nous serons ainsi habilités à nous faire communiquer tous les documents de service. À cette fin, trois administrateurs de la Commission des lois se consacreront à ces tâches pendant les trois mois à venir.

Enfin, j'ai naturellement informé le Gouvernement de ces intentions. Je me suis assuré de la disposition d'esprit du ministre de l'intérieur. Il a adressé hier un courrier à la Commission dans lequel il indique son intention de contribuer très activement à l'effectivité de ce contrôle et que nous pouvons compter sur sa diligence et celle de ses services à qui il a transmis des consignes de coopération d'une grande clarté pour que nous élaborions ensemble un dispositif de contrôle inédit sous la Vème République.

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