Intervention de Valérie Boyer

Réunion du 25 novembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Boyer, rapporteure :

Le texte de 2011 – qui n'a rien à voir avec celui que nous examinons aujourd'hui – a été voté par l'Assemblée nationale, puis le Sénat. Pendant que nous l'examinions, des manifestants étrangers clamaient que nous, députés et sénateurs français, n'avions pas le droit de traiter de certains sujets, nous envoyant courriers et menaces. En même temps, des chercheurs de l'université de Galatasaray travaillaient à démonter les arguments que nous avions employés. Chacun jugera de la pertinence d'une telle ingérence dans les affaires intérieures d'un pays, alors même que le texte voté ne mentionnait ni le mot « turc », ni le mot « arménien ».

Monsieur Molac, je partage vos préoccupations : il faut être humble et prudent. C'est pourquoi je souhaite que nous examinions attentivement l'amendement proposé afin de l'améliorer et de le sécuriser.

Monsieur Bompard, je comprends également les objections que vous avez soulevées. Mais mon amendement correspond précisément à une volonté de faire prévaloir l'égalité devant la loi pénale. Le fait de confier au juge la qualification du crime de génocide sécurise la proposition de loi.

Monsieur Collard, je prends acte de vos remarques. Mais mon travail vise justement à éviter la concurrence entre les victimes et les mémoires. Je partage totalement l'avis de Patrick Devedjian sur les lois mémorielles, et de surcroît, en l'occurrence, le texte n'en est pas une. Pour vous en convaincre, il suffit de l'examiner. C'est notre droit actuel qui organise la concurrence des victimes et des mémoires : la loi Gayssot s'attache aux crimes de génocide du XXe siècle et porte un dispositif de pénalisation du négationnisme, faisant suite au procès de Nuremberg ; mais l'autre génocide reconnu par la loi française ne bénéficie pas d'un dispositif comparable. Les victimes des deux génocides ne sont donc pas mises à égalité. C'est ce que je souhaite corriger afin que les victimes de crimes contre l'humanité ou de génocides reconnus par le droit français, et leurs descendants, ne soient pas mis en concurrence. Je vous signale par ailleurs que la jurisprudence dans ce domaine est très claire ; le fameux arrêt Perinçek de la CEDH – que je vous invite à lire – est strictement circonscrit à la Suisse. Lorsqu'il cite la France, c'est pour souligner que la situation peut y être différente.

Monsieur Coronado, il ne s'agit pas – je l'ai dit – d'une loi mémorielle. J'espère que son dispositif est solidement rédigé, mais je suis venue dans cette commission pour que l'on y travaille ensemble. Ce n'est pas un texte partisan, sa genèse le prouve. Lorsqu'en 2012, le texte que j'avais déjà déposé a été censuré par le Conseil constitutionnel, je me suis attachée à y retravailler. J'ai déposé une nouvelle proposition de loi en 2014 et je l'ai adressée à l'ensemble des groupes parlementaires et des groupes d'amitié France-Arménie, en précisant que j'étais ouverte à tout contact. J'ai recommencé la démarche lorsque mon groupe a décidé que ce texte pouvait être inscrit dans une « niche ». Je sais que tous les groupes politiques sont partagés sur cette question ; mais bien des avis convergent, d'où l'approbation de ma première proposition de loi en 2011 et en 2012 par l'Assemblée nationale et le Sénat. Je souhaite éviter au texte que – j'espère – nous aurons voté la censure du Conseil constitutionnel ; c'est pourquoi, monsieur Coronado, les phrases et expressions floues que vous pointez dans vos remarques ont disparu de la version présentée dans mon amendement qui réécrit la proposition de loi initiale. Le travail parlementaire nous permet ainsi d'évoluer et d'améliorer le texte.

Madame Chapdelaine, ma proposition de loi n'est pas anticonstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel nous demande de nous en remettre à une décision ayant l'autorité de la chose jugée, qui affirme que le législateur ne peut reconnaître un génocide ou un crime contre l'humanité, et les juger lui-même. Dans la nouvelle rédaction, je me suis conformée aux remarques du Conseil constitutionnel exprimées dans sa décision de 2012.

Monsieur Fourage, je suis ouverte à toutes les propositions que vous pourrez formuler pour améliorer ce texte. Celui-ci, je le rappelle, est également issu d'engagements pris par les deux candidats à la présidence de la République entre les deux tours de l'élection présidentielle, le 24 avril 2012, lors des commémorations au pied de la statue de Komitas. Cela fait désormais quatre ans que l'Élysée travaille sur des propositions. En ce qui me concerne, seul m'importe l'objectif ; l'on ne saurait reprocher à un texte d'évoluer puisqu'il s'agit de l'essence même du travail parlementaire. Si vous jugez mon texte imparfait, j'attends avec impatience vos propositions qui pourraient l'améliorer, afin de prendre en compte le souci des droits de l'homme qui nous anime tous.

Comme le note Yves Ternon, le négationnisme est l'accessoire du crime de génocide. Au vu de ce qui se passe aujourd'hui à quatre heures d'avion de notre pays, nous devons affirmer notre vision de ces crimes abominables. En effet, l'histoire se répète et nous fait revivre les crimes de génocide du XXe siècle, au même endroit et dans les mêmes conditions ; chacun peut voir sur sa tablette ou son téléphone portable des vidéos terribles qui en témoignent. Ce texte montrera que la France a une vision particulière des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide, et qu'elle est en capacité d'en protéger les victimes et les descendants.

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