Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 28 octobre 2015 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

La France a reçu en visite d'État le président malien Ibrahim Boubacar Keïta la semaine dernière ; les deux chefs d'État ont échangé sur l'évolution de la situation au Mali depuis le début de notre intervention en janvier 2013. Ce pays retrouve aujourd'hui la stabilité politique ; ainsi, le Premier ministre, M. Modibo Keïta, est une figure respectée de tous, les élections se sont déroulées normalement, et l'apaisement sécuritaire et social gagne du terrain. Nous espérons que la reprise économique se poursuivra.

Dans cette partie de la zone sahélo-sahélienne, les accords d'Alger ont généré un processus de stabilisation entre les groupes armés signataires que sont le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) d'El Hadj Ag Gamou et une partie du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA) – qui appartiennent à la plateforme et qui sont favorables à Bamako, ce qui exclut bien entendu les groupes terroristes – et ceux qui soutiennent la CMA comme le Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA), le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et l'autre partie du MAA. Les accords d'Alger, ratifiés à Bamako, ont fixé des orientations : décentralisation institutionnelle forte, équilibre du développement économique en aidant le Nord du pays et cessez-le-feu. À ce dernier sont associés le concept du désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) et la réforme du secteur de la sécurité (RSS). Ces accords, signés en juin dernier, s'appliquent parfois avec difficulté, mais ils produisent une stabilisation sécuritaire globale, puisque les organisations terroristes armées ne peuvent plus profiter des divisions et des tensions qui régnaient entre les groupes signataires.

Le Front de libération du Macina est apparu à la frontière du Burkina Faso ; constitué de trafiquants divers qui se retrouvent autour d'une référence ethnique et idéologique, ce groupe mène contre les forces maliennes des embuscades qui nous obligent à intervenir, même si je n'accorde pas pour l'instant une grande importance à cette nouvelle entité.

Nous resterons présents dans la durée au Mali, car, malgré les résultats qu'elles ont déjà engrangés, nos actions de contre-terrorisme doivent être poursuivies pour annihiler la résurgence de certains groupes. Nous sommes basés dans des postes avancés, à Madama, Faya Largeau, un peu Abéché et Tessalit au Mali, l'état-major étant situé à N'Djamena. Nous avons également des forces importantes à Gao et à Niamey. L'opération Barkhane rassemble de 3 500 à 3 900 hommes selon les périodes, et nous sommes très satisfaits de l'action de ces forces. C'est la première fois que nous lançons une telle opération généralisée, dans un espace très vaste presque aussi étendu que l'Europe, et nous obtenons des résultats sur ce que j'appelle la route des trafics. Nous parvenons à surprendre nos adversaires et à maintenir un rythme d'actions soutenu. Dans le Nord du Mali, une opération majeure, Vignemale, se déroule en ce moment pour empêcher la circulation des terroristes sur l'autoroute où se déroulent les trafics. Pour l'instant, cette opération se déploie dans de bonnes conditions, mesdames et messieurs les députés.

Tant que la situation globale, y compris en Libye, ne sera pas assainie, nous devrons rester sur place pour maintenir notre capacité de contre-terrorisme. Nous n'avons, en revanche, pas besoin de davantage de forces, car le format actuel se révèle très performant.

Nous poursuivons la réforme de l'armée malienne en renouvelant la mission d'entraînement de l'Union européenne (UE), EUTM Mali, qui a déjà permis la formation de six bataillons, l'instruction d'un septième étant en cours. Ils sont accompagnés au-delà du centre de formation de Koulikoro, dans lequel les militaires français représentent environ 10 % des formateurs. Je souhaite que le processus du DDR, prévu par les accords d'Alger, puisse être utilisé par l'EUTM, afin que les groupes armés signataires constituent une armée malienne plus large, plus intégrée et plus inclusive. La volonté de la France rejoint ici celle du président malien, et nous évoquerons cette question lors de la prochaine réunion des ministres de la défense de l'UE le 17 novembre 2015. Je pense obtenir satisfaction sur ce point.

Dans le domaine militaire, il y a lieu de renforcer l'état-major de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), qui a besoin d'être plus fortement structuré. J'en ai parlé avec le secrétaire-adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix, M. Hervé Ladsous, et nous pourrons compter sur l'arrivée d'officiers européens – belges et français, notamment – et canadiens. Les effectifs de la MINUSMA comprennent des soldats néerlandais, qui déploient leurs forces spéciales à Gao, suédois et allemands. Ces derniers nous ont fait savoir qu'ils envisageaient de renforcer leur présence.

En République centrafricaine (RCA), la situation est à peu près stabilisée, la MINUSCA, créée en septembre 2014, ayant enfin atteint sa pleine capacité opérationnelle le 28 avril dernier. Actuellement, 10 500 soldats et policiers sont déployés dans le cadre de cette mission dans ce pays. Néanmoins, la situation sécuritaire reste tendue, des violences entre miliciens armés ayant éclaté à plusieurs reprises à Bangui à la fin du mois de septembre. Le 10 octobre dernier, des affrontements se sont produits à Sibut, ville stratégique pour l'approche de Bangui où je me suis rendu à la fin du mois de juillet et où s'affrontent les anciens de la Séléka, menés par M. Noureddine Adam, et les milices anti-balaka. Face à la dégradation de la situation, nous avons pu compter sur une bonne articulation entre la MINUSCA et la force Sangaris, qui a dû intervenir de manière musclée avec nos hélicoptères Tigre pour éviter une pénétration de groupes liés à M. Noureddine Adam à Bangui. La récente radicalisation est liée à l'approche des élections ; 90 % des Centrafricains sont aujourd'hui recensés pour la constitution des listes électorales, ce taux s'avérant impressionnant par rapport à ce qu'il était il n'y a encore pas si longtemps. Nous nous inquiétions de la capacité des autorités centrafricaines à mettre en oeuvre à temps un processus électoral, qui nécessite un état civil et la distribution de cartes d'électeur. Tout laisse à penser que les élections auront bien lieu ; on a reporté de mois en mois la fin de la transition, mais, bien que certains acteurs préfèrent le chaos aux élections, on semble arriver au terme de cette politique dilatoire. M. Noureddine Adam et son parti, mais également les proches de l'ancien président François Bozizé autour des anti-balaka, souhaitent le désordre, l'affrontement de ces deux logiques se cristallisant dans la zone de Sibut. Devant la dégradation de la situation, nous avons temporairement mis un terme à la réduction de nos effectifs ; la MINUSCA étant efficace et bien structurée, nous avions décidé de ne conserver que 600 puis 400 des 2 500 hommes engagés au début de l'opération, mais nous avons finalement choisi de maintenir 900 militaires, postés autour de l'aéroport de M'Poko près de Bangui et à Sibut, jusqu'à la tenue des élections présidentielle et législatives. Grâce à l'action de la MINUSCA, l'axe de passage principal entre Bangui et le Cameroun se trouve sécurisé.

Le pape se rendra le 29 novembre en RCA, événement dont on ne mesure pas encore les conséquences ; nous contribuerons à la sécurité de ce déplacement, en dépit des risques sur lesquels nous avons attiré l'attention. Plusieurs dignitaires religieux lanceront autour du pape François un appel pour la paix et la démocratie avant les élections.

Il importe de former les forces armées centrafricaines (FACA), qui n'existent aujourd'hui que sur le papier ; en effet, leurs hommes peuvent pointer dans une caserne le matin et participer aux activités militaires d'un autre groupe plus tard dans la journée. Il faut reconstruire l'armée centrafricaine. Nous faisons face au même défi qu'au Mali il y a un an et demi, et l'Europe est prête à participer à cette tâche. L'UE a déjà contribué à la mission EUFOR qui accompagnait la présence des Nations unies et qui a été remplacée par la mission de conseil militaire EUMAM pour la création de la nouvelle armée centrafricaine. J'espère obtenir un accord le 17 novembre prochain pour lancer la mission de l'UE de formation EUTM en Centrafrique. Le format sera plus restreint qu'au Mali, puisque la population centrafricaine est bien moins nombreuse.

Les groupes terroristes placés dans l'orbite de Boko Haram et de son leader M. Abubakar Shekau constituent toujours une menace pour la stabilité de la région s'étendant du Nigeria au Cameroun et du Niger au Tchad. Néanmoins, la situation s'est améliorée, notamment parce que les pays riverains se parlent enfin et coordonnent leur action. À la suite de la réunion convoquée par le président de la République le 17 mai dernier à Paris, ces quatre pays ont pris en compte l'ampleur de la menace et ont décidé de participer à une force multinationale mixte (FMM), dont le quartier général monte en puissance, car, situé à N'Djamena, il bénéficie de l'aide de l'état-major de Barkhane. Le PC tactique de la FMM se trouve quant à lui à Maïduguri. Le changement de président au Nigeria a eu une influence positive, et le nouvel élu, M. Muhammadu Buhari, que j'ai rencontré à Paris, se montre ferme à l'égard de ses propres forces armées. Nous mettons en place le dispositif militaire qui permettra d'empêcher Boko Haram de progresser. Ce groupe a changé de pratiques et effectue maintenant de nombreuses actions « coup de poing ». Il importe que les forces nigérianes montent en puissance et que le développement de la coordination entre les différents acteurs se poursuive. Nos renseignements, notre logistique et notre présence médicale soutiennent les actions de la FMM ; les Britanniques ont annoncé le renforcement de leur dispositif avec l'intégration de quelques éléments de forces spéciales à Maïduguri ; enfin, les Américains vont déployer des drones dans le Nord du Cameroun. Une cellule, située à N'Djamena, coordonne les opérations de nos forces et celles des Britanniques, des Américains et des pays de la zone. L'ensemble de ces moyens devrait nous permettre de riposter efficacement aux exactions de cet homme sanguinaire et de son groupe très dangereux. Le recul de Boko Haram nous place, malgré la persistance de tensions fortes, dans une position plutôt favorable.

Un forum portant sur la prise en compte par les Africains eux-mêmes de leur propre sécurité se tiendra, à mon initiative, les 9 et 10 novembre prochains à Dakar. La situation actuelle autour du lac Tchad illustre l'importance de cette question. Les présidents Idriss Déby, Denis Sassou-Nguesso et Ali Bongo sont dans une situation délicate, et le président nigérien se prépare à affronter des échéances électorales ; tout cela requiert une vigilance permanente, mais nous aurons l'occasion de dresser un état des lieux au forum de Dakar.

Au Moyen-Orient, Daech occupe la moitié de la Syrie et de l'Irak. Ayant mis en place ce qui ressemble à un État, il repose sur une armée terroriste constituée de quatre éléments : des anciens officiers du Baas sous Saddam Hussein qui ont passé des années en prison après l'intervention américaine et qui ne se sont pas retrouvés dans le pays gouverné par M. Nouri al-Maliki ; des tribus sunnites ralliées d'Irak ou de Syrie ; des combattants étrangers ; enfin, des idéologues et des fondamentalistes qui structurent la pensée de l'organisation. Daech collecte des impôts et son armée compte entre 30 000 et 40 000 combattants.

Daech peut compter jusqu'à 1015 000 combattants étrangers, effectif important dans lequel se côtoient de nombreuses nationalités, dont 500 Français, des Belges, 150 Australiens, des Tchétchènes, des Tunisiens, des Saoudiens, des Malaisiens. Mes homologues sont inquiets de voir des concitoyens rejoindre cette armée. Le responsable des opérations de Daech, M. Omar al-Chichani, Tchétchène de nationalité géorgienne, est expérimenté et se trouve à la tête d'une force très structurée. Cette armée terroriste forme également des hommes pour perpétrer des attentats dans les pays occidentaux ou arabes ; cela a conduit le président de la République à ordonner de frapper, en particulier, des lieux où s'entraînaient ces combattants.

Dans le cadre de la coalition, nous effectuons des frappes régulières en Irak qui ont permis une stabilisation de la ligne de front entre Daech d'une part, les Kurdes au Nord et les forces irakiennes dans le Sud du pays, d'autre part. Les frappes visent à accompagner l'action militaire conduite au sol notamment par les services du contre-terrorisme irakien, l'ICTS, et les peshmergas ; nos deux contingents de 100 hommes à Erbil et à Bagdad assurent d'ailleurs la formation de ces deux forces. Depuis quelques jours, Daech recule en Irak, notamment à Baïji.

En Syrie, l'arrivée des Russes n'a pas clarifié la situation, car environ 80 % de leurs frappes au moins touchent l'ASL, Jabhat al-Nosra ou les groupes hors Daech qui attaquent M. Bachar el-Assad. La Russie a décidé d'intervenir car M. Bachar el-Assad se trouvait en grande difficulté ; d'ailleurs, à Alep, l'ASL et les forces associées parviennent à résister à l'offensive des troupes loyalistes. Les Russes se sont engagés pour préserver leurs propres intérêts, notamment au port de Tartous, et pour aider M. Bachar el-Assad.

Dans la confusion actuelle, la solution politique s'avère indispensable, car l'action militaire ne stabilisera pas la zone. M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, a pris hier l'initiative de réunir nos partenaires avant la réunion qui se tiendra à Vienne vendredi. Nous pouvons espérer que le processus politique commence à se clarifier. Le Parlement sera bientôt saisi, puisque comme le début de l'intervention en Syrie datera bientôt de quatre mois, le Gouvernement devra demander au Parlement, aux termes de l'article 35 de la Constitution, l'autorisation de prolonger les opérations.

Bien que l'on en parle moins en ce moment, la situation en Libye me paraît tout aussi préoccupante que celle en Syrie. Le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, M. Bernardino León, a lancé une initiative pour trouver un compromis entre Tobrouk et Tripoli, mais le consensus n'est pas encore mûr et, pendant ce temps-là, Daech prospère. Il contrôle aujourd'hui 250 kilomètres de bande côtière avec des métastases qui se diffusent et un risque de progression vers le Sud du pays si aucune solution politique ne le fait refluer. Plusieurs milliers de combattants de Daech sont présents dans le pays. La mission de M. Bernardino León touche à sa fin, ce qui ne rend pas optimiste pour la conclusion à court terme d'un accord politique et laisse donc ce front dans une situation préoccupante.

Je me suis rendu il y a quelques jours en Tunisie pour apporter un soutien technique et financier qui bénéficiera aux forces spéciales et aux services de renseignement tunisiens. Un investissement de 20 millions d'euros permettra de renforcer l'armée de ce pays qui se montre inquiet de l'état de son voisin libyen. L'urgence est de réunir les Libyens, car tout ce qui les divise favorise Daech, mais des affrontements mettant aux prises différents groupes aux affiliations mouvantes se poursuivent. Le général Khalifa Haftar a lancé une opération en Cyrénaïque autour de Benghazi il y a un an, et les combats se poursuivent toujours aujourd'hui entre les nationalistes et les groupes extrémistes.

L'UE a déployé – de manière très rapide, fait notable pour une opération relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) – EUNAVFOR MED, appelée plus simplement Sophia, qui vise à lutter contre les trafics de migrants en Méditerranée et dont l'état-major est situé à Rome. Dans une première phase, nous avons échangé nos renseignements et effectué des vols de surveillance maritime, et nous nous trouvons actuellement dans la deuxième phase où nous intervenons dans les eaux internationales. La frégate porte-hélicoptères Le Courbet est mobilisée, en compagnie de bâtiments britannique, allemand, espagnol et italien. L'objectif est de récupérer les migrants en détresse et, axe essentiel, de frapper les passeurs. Cela ne suffit pas, et il faut enclencher la troisième phase de l'opération Sophia, qui nous permettra de poursuivre notre action dans les eaux territoriales libyennes et éventuellement à terre, mais qui nécessite une demande d'un gouvernement libyen reconnu et une validation du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU). En l'absence d'une solution politique en Libye, la longueur du délai nous séparant de la mise en oeuvre de cette troisième phase m'inquiète, car Daech ne pourra qu'en profiter. S'il progresse dans le Sud du pays, il pourra rejoindre les autoroutes du trafic que j'ai évoquées au début de mon intervention.

Je fais preuve de pragmatisme en matière d'Europe de la défense et essaie de faire avancer les dossiers qui peuvent l'être ; pour les autres, nous attendons que la situation mûrisse. Cette politique aboutit à des résultats, comme le lancement de trois opérations de soutien militaire depuis 2013 – au Mali, en RCA et en Méditerranée. Nous élaborons également des projets capacitaires et mettons les questions d'Europe de la défense à l'ordre du jour des conseils européens, notamment à ceux des 19 et 20 décembre 2013 et des 25 et 26 juin derniers. Ce dernier conseil a pris des décisions qui se situent en deçà de nos attentes, mais il a permis de progresser sur quelques points sensibles, comme l'action préparatoire à laquelle vous avez fait allusion, madame la présidente. Il s'agit d'un événement important, dont l'accouchement fut difficile, car le budget de l'UE contribuera à des projets civils et militaires en matière de recherche dans les nouvelles technologies dont les répercussions pourraient être duales. Les premiers programmes concerneront probablement les drones à voilure tournante et les composants électroniques programmables. L'intégration de l'industrie de défense et de l'innovation future dans les programmes de recherche technologique constitue une avancée non négligeable.

Au cours de ce même conseil européen de juin dernier, il a également été décidé de mettre en oeuvre l'initiative « former et équiper » – ou « train and equip » –, dont l'objectif vise à contribuer à l'équipement non létal des forces armées formées dans le cadre des missions de la PSDC.

Nous avons élaboré, dans le cadre de la PSDC, un mandat pour établir, d'ici à juin 2016, une stratégie globale de politique étrangère et de sécurité, qui intégrera une modélisation européenne contre les menaces hybrides.

Les avancées les plus significatives concernent la coopération avec l'Allemagne et avec le Royaume-Uni. Nous fêterons la semaine prochaine le cinquième anniversaire des accords de Lancaster House, et je me rendrai à Londres pour l'occasion. Les relations avec le Royaume-Uni s'avèrent très pragmatiques : nous déployons la Force expéditionnaire interalliée et interarmées – ou Combined joint expeditionary force (CJEF) – et nous collaborons dans le nucléaire. Le bilan que nous dresserons de ces cinq années montrera que la coopération avec les Britanniques s'est améliorée.

Les derniers temps ont permis d'opérer un rapprochement significatif avec l'Allemagne, notamment dans le domaine capacitaire. Nos voisins ont décidé d'investir dans le programme du système multinational d'imagerie spatiale pour la surveillance, la reconnaissance et l'observation (MUSIS) comprenant les satellites de la composante spatiale optique (CSO), en construisant un troisième satellite après les deux premiers élaborés par la France. Ainsi, plutôt que de constituer une filière allemande dans l'observation optique, il a été décidé au printemps dernier, après de longues discussions, de renforcer la constellation MUSIS avec un troisième satellite. Cette coopération comprend un accord sur l'échange d'images radars dans la constellation SAR-Lupe allemande, compétence pour laquelle il n'existe pas de programme français. Nous avons également abouti sur le projet KANT de rapprochement des industries de défense terrestre, avec la fusion de l'armurier allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) et du groupe français Nexter. Ce projet, critiqué hier lors de l'examen des crédits de la mission « Défense » en commission à l'Assemblée nationale, s'avérait indispensable pour sauver Nexter. Un leader mondial naîtra avant la fin de l'année, sans que ce processus ne perturbe les plans de charge des deux entreprises. On accorde peu d'importance à cette union car les blindés attirent moins que les avions et les bateaux, mais elle revêt une importance significative. Nous travaillons également avec l'Allemagne à la constitution d'un drone mâle européen qui devrait succéder au Reaper, et nous avançons dans cette tâche grâce à l'action des industriels et aux bonnes relations que j'entretiens avec mon homologue, Mme Ursula von der Leyen. La recherche d'un équilibrage de nos relations et des compétences de chacun m'a conduit à fortement soutenir l'initiative industrielle Airbus-Dassault-Finmeccanica sur un futur drone MALE européen. J'ai signé le 18 mai dernier avec mes homologues allemande et italienne une déclaration d'intention et me suis personnellement engagé sur ce projet, partie intégrante de la stratégie drones mise en place depuis 2012. Nous soutenons aujourd'hui un leadership allemand sur ce projet, l'Allemagne étant prête à assumer une part majeure du financement. Les études, qui seront contractualisées via l'OCCAR dans le courant du premier semestre 2016, seront conduites dans le cadre de l'OCCAR par une équipe multinationale sous une direction de programme allemande, à Bonn. Il s'agit là d'un sujet majeur pour notre souveraineté.

En 2014, les exportations françaises dans le domaine de défense ont atteint 8,2 milliards d'euros, niveau record, deux fois supérieur à celui de 2012 et en augmentation de 20 % par rapport à 2013. Cette année, nous doublerons le record, puisque nous avons déjà vendu pour 16 milliards d'euros depuis la conclusion, la semaine dernière, d'un contrat d'hélicoptères représentant 1 milliard d'euros. Ces succès peuvent susciter des débats, mais ils prouvent que nos matériels et notre technologie sont de grande qualité – autrement, nous ne vendrions pas autant dans un marché si concurrentiel. En outre, nous bénéficions du travail en commun de l'ensemble de l'équipe France ; nous avons mis en place un dispositif dans lequel les acteurs travaillent dans une grande transparence et en toute discrétion, et nous ne soutenons pas ceux qui refusent de le rejoindre. Cela fonctionne, y compris dans des secteurs où la compétition s'avère particulièrement rude comme celui des satellites. Nous forgeons des partenariats à l'intérieur desquels nous respectons le choix de l'autre partie. La vente d'un avion ou d'un bateau enclenche une collaboration de trente ans, du fait des obligations de formation et de maintien en condition opérationnelle, et nous développons donc des partenariats stratégiques de longue durée. Il n'est pas certain que nos exportations atteignent 16 milliards d'euros chaque année, mais il y a lieu de se féliciter d'un résultat comme celui-là. La force de nos industries de défense contribue au rayonnement de la France, à sa puissance et à sa présence dans le monde.

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