Intervention de Frédéric Gagey

Réunion du 4 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires sociales

Frédéric Gagey, président-directeur général d'Air France :

Plusieurs d'entre vous pensent que la direction d'Air France a monté les catégories de salariés les unes contre les autres. Pendant la grève de septembre 2014, j'avais réuni l'ensemble du management d'Air France pour lui dire que nous travaillerions à une issue du conflit avec nos collègues pilotes car la cohésion est absolument indispensable. Imaginer que notre stratégie, quelques mois plus tard, puisse consister à monter les catégories les unes contre les autres est sans fondement. Une compagnie aérienne est composée d'hommes et de femmes qui concourent au même but : avoir des passagers dans l'avion. Ces passagers sont là car les collègues de la maintenance ont satisfait leurs obligations vis-à-vis de l'état de l'avion, les pilotes satisfont les leurs en matière de qualifications, les gens de Servair ont apporté les bons plateaux, les agents du sol ont procédé à l'enregistrement et à l'embarquement dans de bonnes conditions, et le personnel navigant commercial est prêt à assurer le service conformément à nos pratiques. La cohésion, au jour le jour, est fondamentale.

J'ai décidé d'aller en justice sur un point de détail. Il était prévu dans l'accord que le président, en cas de différences de points de vue entre les parties, puisse arbitrer. Parce qu'à mon sens une catégorie du personnel était un peu en deçà de ses engagements, il me paraissait important de trouver une solution, et nous l'avons tenté par la négociation. J'ai proposé l'arbitrage ; comme cela n'a pas été accepté, j'ai jugé bon de faire interpréter le texte de l'accord par une tierce personne, en l'occurrence le juge, qui a d'ailleurs considéré que la procédure d'arbitrage pouvait être utilisée. Il ne s'agit pas d'un défaut de dialogue social mais au contraire du souci porté au plus haut de maintenir la cohésion de l'entreprise, qui passe par la nécessité que chaque catégorie remplisse sa part du contrat.

Les images du 5 octobre ne traduisent pas la situation du dialogue social. Ces débordements n'arrivent pas fréquemment. Ils peuvent traduire un sentiment de lassitude et ne résument pas la vie sociale de la compagnie, qui passe par des réunions et un dialogue permanents.

Je reconnais cependant, madame Catherine Lemorton, que ce dialogue est parfois difficile, mais c'est parce que nous avons trois catégories de personnel représentées par des syndicats de nature différente et régies selon des règles qui peuvent elles aussi être très différentes. Une grande partie des textes concernant les pilotes sont à durée indéterminée, tandis que ceux des personnels navigants commerciaux sont plutôt à durée déterminée. De ce fait, la cohésion nécessaire rencontre parfois des difficultés, la convergence n'est pas toujours facile, mais, attachant une immense importance à la cohésion, je considère qu'Air France ne peut progresser qu'en adoptant une démarche collective. Il faut que l'ensemble des catégories s'engagent, dans un même élan, à poursuivre ce que nous avons enclenché. Nous avons progressé, et ce n'est pas seulement du fait du prix du pétrole.

Beaucoup de choses ont été dites sur les supposées annonces de notre directeur des ressources humaines, M. Xavier Broseta, dans un article du Parisien. Il faut ramener la chose à sa juste proportion. Un document intitulé « Repenser le métier de pilote : pistes de travail du programme New Deal » a été diffusé auprès des pilotes le 13 août. Ce document évoque, parmi les leviers possibles, l'idée de modularité du temps de travail, et notamment de modularité des contrats : chaque pilote, selon sa situation, pourrait travailler selon trois types de contrat, un contrat type, un contrat plus ou un contrat allégé. Ce New Deal dressait la liste des voies possibles dans le cadre de l'évolution du métier de pilote. Lorsque M. Broseta s'est exprimé dans Le Parisien, il n'a fait que reprendre cette proposition, qui n'avait pas encore été négociée mais avait été communiquée à l'ensemble des pilotes. Juger, sur le fondement de ces propos, que le dialogue social se fait par voie de presse est erroné.

Quand nous avons présenté au comité central d'entreprise, madame Frédérique Massat, les objectifs du plan Perform, j'ai indiqué que notre cible était un résultat d'exploitation de 740 millions en 2017. Ce chiffre permettrait à l'entreprise, une fois sortis les remboursements des frais financiers, d'investir à hauteur de 2 à 3 % de son capital productif. C'est ce niveau qui garantirait, sans recourir à l'endettement, une croissance entre 2 et 3 % chaque année. Cela indique le chemin qu'il nous reste à faire pour revenir à une situation que je qualifierai de normale. Ces 740 millions ne visent pas à verser des dividendes exorbitants ; c'est le chiffre standard qui permettrait à la compagnie de financer de manière stable une croissance de 2 à 3 %.

Avec Alexandre de Juniac, nous avons reçu récemment tous les syndicats représentatifs de la compagnie Air France, et nous avons fixé différents calendriers de négociation pour les différentes catégories de personnel. Les contacts ont été repris avec les pilotes. Nous nous sommes engagés, notamment vis-à-vis des syndicats de pilotes, à ne pas nous exprimer à l'extérieur sur l'état d'avancement de ces négociations. Je me bornerai donc à vous dire que les contacts ont été repris et que la direction réitère sa volonté de parvenir par la négociation à faire évoluer notre structure de coûts unitaires.

Nous ne sommes pas obsédés par les coûts. Une entreprise se caractérise par deux leviers : l'efficacité économique et la performance commerciale. Nous travaillons évidemment sur les deux leviers. L'amélioration du produit, la modification des règles tarifaires sur le réseau européen, la nouvelle cabine introduite sur ce même réseau avec le siège en cuir qui procure un vrai saut dans la satisfaction de nos passagers, tous ces éléments, que nous devons poursuivre, sont très exigeants en matière de dépenses. Cela montre que nous ne travaillons pas seulement sur nos coûts mais également sur notre performance commerciale. J'indique toutefois qu'Air France, par rapport aux autres compagnies, a une recette unitaire élevée, qui ne procède pas seulement des tarifs – car nos tarifs sont parfois alignés sur ceux de nos concurrents – mais aussi d'une très bonne maîtrise du coefficient de remplissage. En matière de vente et de yield management, nous savons faire.

Ce que nous attendons de l'État – mais c'est vrai de toute entreprise –, c'est de pouvoir évoluer dans un environnement qui facilite la vie de la compagnie. Les ingrédients ont été amplement décrits dans le rapport de M. Bruno Le Roux. Toute mesure allant dans ce sens nous satisfait, bien sûr, mais nous sommes en même temps conscients que de telles mesures ne peuvent nous dédouaner de poursuivre notre réforme interne. Le discours du dédouanage serait irrecevable, d'abord parce que vous connaissez mieux que moi les contraintes financières de l'État, ensuite parce qu'il est logique que, dans un secteur concurrentiel, les compagnies cherchent d'abord à régler leurs problèmes par l'évolution interne, le développement de leur savoir-faire, le dialogue social.

Nous avons, monsieur Bertrand Pancher, les coudées franches dans les négociations. M. Gilles Gateau n'a pas été contacté le 6 octobre ; le recrutement d'un cadre de haut niveau prend des mois, et il n'y a aucun lien entre les événements du 5 octobre et l'arrivée de M. Gateau. Nous n'avons aucune information sur un échange du calme social pendant la COP21 contre une levée de sanctions, et je ne peux l'imaginer un seul instant.

S'agissant du tourisme, Air France est l'une des compagnies européennes qui a le réseau long-courrier le plus étendu et a le plus ouvert de lignes sur la période 2012-2015. L'idée que la direction envisagerait l'attrition est totalement fausse. Le groupe Air France-KLM est par exemple l'un des plus présents sur la destination Chine, notamment sur des villes secondaires où les autres compagnies européennes sont absentes. Le hub de Paris est un outil extrêmement puissant pour permettre à nos passagers de rejoindre les autres grandes villes françaises. Strasbourg est relié par le train. C'est un produit air-rail qui a été mis en place : pour la liaison des villes proches de Paris, nous avons réalisé des aménagements de produit en coopération avec la SNCF.

Nous collaborons sur le hub de Paris avec ADP, même si j'ai parfois pu contester l'évolution de leurs redevances. Je continue de le faire, tout en indiquant que, sur les aspects opérationnels, nous restons très proches des équipes d'ADP afin d'améliorer l'efficacité du hub. Le débat sur les redevances aéroportuaires est logique, mais ADP est un grand partenaire d'Air France. Comme l'a indiqué récemment M. Augustin de Romanet, il est difficile d'imaginer un grand Air France sans un grand ADP et un grand ADP sans un grand Air France.

Depuis deux ans, les redevances aéroportuaires à Schiphol sont très nettement orientées à la baisse, de l'ordre de moins 7 % cette année. Si c'est l'occasion de réfléchir à nouveau sur les élasticités prix et la façon dont on peut promouvoir le trafic en diminuant les redevances, tant mieux. L'exemple de Schiphol est à cet égard éloquent.

Je ne pense pas, monsieur Yannick Favennec, qu'un développement de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes modifierait de manière importante les emplois d'Air France à Nantes. Si l'aéroport devait être transféré, les effectifs le seraient aussi.

Les chiffres d'affaires de Hop! Air France et de Transavia sont de 1,3 milliard d'euros pour la première, sur l'ensemble du réseau domestique, et de quelque 400 millions pour la seconde.

Dès le 5 octobre, nous avons pris la parole à la radio et à la télévision pour souligner que les images qui ont fait le tour du monde n'étaient pas le vrai visage d'Air France. Nous avons tout de suite après envoyé 14 millions d'e-mails à nos clients pour nous excuser de ce qu'ils avaient vu et leur indiquer notre stratégie en matière de service au client. Nous avons par ailleurs envoyé à tous les vendeurs hors de France des explications sur ce qui s'était passé, afin qu'ils puissent relayer ce message auprès des clients en Chine, aux États-Unis, en Allemagne, en Amérique du Sud… Nous avons ainsi fait le nécessaire pour que ces images ne brouillent pas l'image de la compagnie. Les résultats sur les réservations ou le trafic dans les jours et semaines qui ont suivi ne montrent pas que ce qui s'est passé le 5 octobre ait eu un quelconque impact, et c'est heureux.

Si je pensais que le dialogue social est bloqué, je souhaiterais peut-être recourir à un médiateur, mais je ne pense absolument pas que ce soit le cas. J'ai évoqué les raisons qui rendent parfois ce dialogue difficile dans toute compagnie aérienne.

Je ne crois pas que les discussions avec Etihad et Alitalia mettent en danger le lien qui nous unit à Delta. La joint-venture sur le Nord-Atlantique représente près de 9 milliards de dollars, soit quasiment l'équivalent du volume d'activité de KLM. Le premier lien avec Delta date des années 2000, celui entre KLM et Northwest Airlines est encore plus ancien. La coopération est intense. Les forces de vente aux États-Unis sont essentiellement celles de Delta, et en Europe uniquement celles d'Air France-KLM.

Les joint-ventures sont le bon outil pour poursuivre la consolidation, car les règles régissant les prises de participation dans les compagnies d'autres pays restent complexes. Pour l'instant, c'est donc le développement d'alliances que nous poursuivons. Nous avons des liens avec des compagnies chinoises, China Southern et China Eastern. Les discussions avec Etihad sont plus compliquées. Celles portant sur le maintien d'Alitalia, qui elle-même hésite, au sein de la joint-venture se poursuivent.

En ce qui concerne les baisses de personnel, les catégories ont évolué à peu près de la même façon en pourcentage. Les gains de productivité nous ont permis de produire autant avec un nombre de collègues à la baisse. Entre 2012 et 2015, le chiffre d'affaires d'Air France, je le souligne, n'a pas baissé. Les restructurations ont permis de le maintenir. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu des évolutions différentes selon les activités : les restructurations ont été particulièrement importantes pour les avions tout cargo et les bases de province. J'envisage aujourd'hui avec un relatif optimisme le retour à l'équilibre de l'activité domestique d'Air France d'ici à 2017.

En ce qui concerne la COP21, Air France-KLM est le leader du secteur des transports au Dow Jones Sustainability Index. Par ailleurs, l'aviation s'est engagée, par des accords relevant de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), à mettre en oeuvre des dispositifs de contrôle puis de réduction des émissions sur la période 2015-2050. Je serai demain à Toulouse pour célébrer la première année de vols avec une partie de carburant vert chargé au départ de Toulouse. C'est ce que nous appelons la Lab'line, un ensemble d'activités en faveur du contrôle des émissions et du développement durable.

Le low cost long-courrier, qui a été évoqué dans un article des Échos, n'est pas à ce stade un projet de la compagnie.

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