Intervention de Michel Lesage

Réunion du 4 novembre 2015 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Lesage, rapporteur :

Monsieur le président, je tiens à vous remercier d'avoir bien voulu inscrire ce texte à l'ordre du jour des travaux de notre commission.

À quelques jours de la Conférence de Paris sur le climat, je suis particulièrement heureux que notre commission examine une proposition de loi sur l'eau.

Pour tout être vivant, l'eau est un élément vital indispensable non substituable qui doit être considéré comme un bien commun.

L'eau est l'objet de nombreux enjeux, tant en termes quantitatifs que qualitatifs. L'eau facile est devenue fragile. Elle est aussi confrontée de nombreuses menaces, telles que le réchauffement climatique avec des phénomènes de plus en plus fréquents de sécheresse et d'inondations. L'eau menacée est devenue menaçante.

Dans le cadre de la préparation de la COP21, alors que les émissions de gaz à effet de serre tiennent la vedette, si je puis dire, l'eau n'a pas, me semble-t-il, toute la place qu'elle mérite dans les débats. Or l'accès à l'eau potable est un enjeu mondial. Si, sur le plan international, une résolution de l'Organisation des Nations unies de 2010 a reconnu que l'eau est un droit humain, c'est loin d'être une réalité pour tous : selon les experts, plus de 2 milliards de personnes continuent d'utiliser une eau contaminée et 3 à 4 milliards d'individus, soit à peu près la moitié de l'humanité, n'ont toujours pas accès à une eau satisfaisante, autrement dit à une eau potable.

Dans les pays en développement, 80 % des eaux usées domestiques et industrielles sont rejetées sans aucun traitement. Malheureusement, cette situation risque de s'aggraver avec le réchauffement climatique puisque des régions déjà défavorisées seront soumises au stress hydrique, à la croissance démographique et à l'urbanisation. On le voit, les enjeux liés à l'eau sont multiples et surtout peut-être à venir.

L'accès à l'eau pour tous est un enjeu social, humanitaire, de dignité, de développement et de paix.

Le changement climatique a déjà conduit 20 millions de personnes à se déplacer et les experts estiment à 250 millions le nombre de réfugiés climatiques dans le monde en 2050. Vous aurez remarqué que les premières actions de Daech et Boko Haram ont consisté à confisquer l'eau. Ils profitent de la raréfaction de l'eau, des conflits climatiques et des migrations pour accroître leur pouvoir. L'eau est donc un enjeu de paix.

Et la France dans tout cela ?

En France, l'eau potable coule au robinet de près de 99 % des personnes. 90 % des logements sont raccordés à l'assainissement. C'est le travail des élus locaux sur le terrain qui a permis cette belle réussite.

Mais de l'avis de tout un ensemble de partenaires qui s'impliquent dans ce domaine – le Conseil d'État, le Conseil national de l'eau, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) qui a réalisé un rapport il y a trois ans sur cette question, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations humanitaires, caritatives, l'Académie de l'eau, etc. –, deux enjeux considérables méritent d'être rappelés.

Premièrement, un million de ménages en France ont du mal à payer leur facture d'eau ; on s'accorde à reconnaître que ceux qui consacrent plus de 3 % de leurs revenus à leur facture d'eau sont en difficulté. Ce chiffre de 3 % fait consensus au niveau de l'OCDE et en France.

Deuxièmement, on estime que 100 000 à 150 000 personnes n'ont pas un accès effectif à l'eau, soit parce qu'elles sont sans domicile fixe, soit parce qu'elles vivent en habitat précaire, et ce chiffre serait en augmentation.

Le Comité national de lutte contre l'exclusion et l'Observatoire national de lutte contre la pauvreté que j'ai rencontrés ont souligné que la pauvreté s'aggrave et se traduit pour nombre de Français par des difficultés à accéder à l'eau.

Depuis une douzaine d'années, de nombreux rapports et travaux parlementaires ont mis l'accent sur ce sujet et des propositions de loi ont été déposées par des parlementaires, députés et sénateurs, de toutes sensibilités politiques. Je pense notamment à M. André Flajolet avec lequel j'ai travaillé sur ce texte, qui a présidé le Conseil national de l'eau et qui avait déposé une proposition de loi dans le même esprit. Elle se différencie de ma proposition de loi pour ce qui touche aux modalités de financement ; j'aurai l'occasion d'y revenir.

La présente proposition de loi a été élaborée conjointement avec de nombreuses associations autour de la fondation France Libertés, de la structure collective Coalition Eau, de l'Observatoire des usagers de l'assainissement en Île-de-France (OBUSASS), de M. Henri Smets, de l'Académie de l'eau. Leur concours a été particulièrement précieux, sur les aspects juridiques notamment.

J'ai également rencontré des collectivités locales – Dunkerque, Libourne, Niort – qui, sur le terrain, ont expérimenté une tarification différenciée, par exemple par paliers progressifs. C'est ce qui explique que ce texte soit signé par plusieurs parlementaires, dans le cadre d'une démarche transpartisane, de presque toutes les sensibilités politiques, à une exception près. Et M. Martial Saddier m'a expliqué à plusieurs reprises que, s'il était favorable à titre personnel à ce texte, il lui était difficile d'engager le groupe dont il était le porte-parole. Bref, c'est le fruit de trois ans de travail suite au Forum mondial de l'eau qui s'est tenu à Marseille en 2012.

J'en viens au contenu concret de la proposition de loi proprement dite.

L'article 1er rappelle les notions du droit de l'homme à l'eau en les précisant et la nécessité de le mettre en oeuvre en France de manière effective pour ceux qui ne sont pas raccordés et ceux qui consacrent une trop grande part de leurs revenus au paiement de leurs factures d'eau. On sait que les charges relatives à l'eau et à l'énergie sont déterminantes par rapport au logement. Or le logement est un outil fondamental d'accès à la dignité et à l'épanouissement de la famille.

L'article 2 reprend des préconisations formulées notamment par le Conseil d'État. Il vise à obliger toutes les collectivités à installer et entretenir des points d'eau potable d'accès gratuit. Les collectivités de plus de 3 500 habitants devront disposer de toilettes publiques et celles de plus de 15 000 habitants devront prévoir l'accès à des douches.

C'est un enjeu social, sanitaire et de santé publique. Lors des périodes de canicule, chacun doit pouvoir accéder à des points d'eau dans des conditions correctes, où qu'il soit sur le territoire.

L'Association des maires de France (AMF), dont M. André Flajolet copréside le groupe de travail sur l'eau, est favorable à cette disposition facile à mettre en oeuvre puisqu'il y a des réseaux d'eau potable partout, par exemple dans les cimetières et sur les terrains de football. Il est possible d'utiliser les équipements existants, comme les centres sportifs, les centres d'accueil de jour, etc. Est-il vraiment anormal d'exiger qu'il y ait des toilettes publiques dans les communes de plus de 3 500 habitants ? Du reste, c'est pratiquement le cas partout.

Les articles 3, 4, 5 et 6 portent sur le financement d'un outil nouveau : l'allocation forfaitaire d'eau à caractère préventif. La création de ce dispositif est pertinente parce que la précarité liée au logement est réelle et les charges afférentes au logement génèrent des difficultés pour les plus vulnérables. Les réponses apportées jusqu'à présent par le législateur trouvent leurs limites car elles ont avant tout un caractère curatif, par la prise en charge des impayés par les Centres communaux d'action sociale (CCAS) ou les Fonds de solidarité logement (FSL). Si les FSL ont le mérite d'exister, ils ont leurs limites : non seulement un quart des départements n'ont pas de FSL « eau », mais les critères d'attribution, les montages financiers, les partenariats diffèrent d'un territoire à l'autre, d'un département à l'autre. Le système est également peu efficace, car beaucoup de gens hésitent à recourir au FSL, jugeant cette démarche stigmatisante : on ne peut activer le FSL qu'en cas d'impayés, ce qui implique de pouvoir fournir une facture, autrement dit d'avoir un compteur individuel. Or, en France, 50 % des foyers n'ont pas de facture d'eau car, dans la grande majorité des cas, il n'existe pas de facture individuelle en habitat collectif. J'ajoute que ce n'est pas la solidarité nationale qui joue, dans la mesure où cette affaire concerne les territoires.

Le besoin est estimé entre 50 et 60 millions d'euros. Il fallait trouver un système simple, lisible, ne pas créer une nouvelle taxe, fixer des critères d'éligibilité ainsi que des mécanismes de financement et de redistribution simples. C'est pourquoi il était proposé que la redistribution des financements obtenus par le biais de la taxe sur les boissons embouteillées redescende sur les territoires par le biais des services des Caisses d'allocation familiale (CAF) et de la MSA qui disposent de tous les éléments sur les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) socle etou de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) en fonction du décret d'application qui sera pris pour mettre en oeuvre ce dispositif.

D'autres mécanismes ont été proposés dans des propositions de loi précédentes, via les FSL ; non seulement on n'en trouve pas partout, mais la disparition, un temps envisagée, des départements, gestionnaires de ces fonds, aurait posé problème.

Bien sûr, le système pourra évoluer lorsque la réflexion sur le chèque énergie aboutira. En fait, ce que je propose équivaut à un « chèque eau ». Notre allocation a été pensée et travaillée il y a déjà trois ou quatre ans, bien avant la création du chèque énergie qui a eu lieu dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. Le chèque énergie coûtera 600 millions d'euros par an ; l'allocation dont je vous parle devrait coûter 50 à 60 millions d'euros, soit dix fois moins.

Il existe plusieurs façons de financer ces 60 millions d'euros. La première consiste à augmenter la facture d'eau, comme cela a été proposé dans des propositions de loi précédentes. Vous le savez, le prix de l'eau est fixé sur le territoire par les services publics de l'eau et de l'assainissement. Il suffit de multiplier les quantités consommées par un prix au mètre cube. En France, 3,5 milliards de mètres cubes d'eau sont distribués chaque année aux ménages. Le prix moyen d'un mètre cube d'eau étant de 3,80 euros, cela fait 13 milliards par an. Pour obtenir 60 millions supplémentaires, il suffirait d'augmenter de 0,5 % les factures d'eau et la question serait réglée. Mais ce n'est pas ce que nous proposons, car nous considérons que cette mesure n'est pas juste : elle toucherait les familles les plus défavorisées. Et comme il existe 24 000 autorités organisatrices, il est extrêmement difficile de traiter la question sociale de l'eau via la facture. Certes, il y en aura moins à l'avenir : la loi NOTRe prévoit de donner la compétence eau et assainissement aux EPCI, ce qui va diviser par trois ou quatre le nombre d'autorités organisatrices et permettre que les différents prix de l'eau qui existent sur le territoire soient rapprochés. C'est ce qu'a fait l'agglomération de Saint-Brieuc qui avait quatorze services d'eau et d'assainissement.

J'ajoute que les ménages paient déjà, à travers leur facture, des éléments du « petit cycle » de l'eau, c'est-à-dire la potabilisation, le transport, l'arrivée au robinet, et du « grand cycle » de l'eau – la lutte contre les inondations, la pollution, etc. Enfin, la facture d'eau ne tient pas compte des revenus.

Voilà pourquoi nous n'avons pas retenu cette hypothèse et nous proposons que les recettes du fonds de solidarité soient constituées par une contribution sur les bouteilles d'eau.

Le marché des eaux embouteillées est particulier. Un hors-série du magazine L'Express du 17 juin 2015 titrait : « Un liquide qui vaut de l'or », « La tendance est mondiale », « Les eaux embouteillées déferlent sur tous les continents et génèrent un business juteux ». Au-delà des jugements que l'on peut porter sur la question, il s'agit d'être juste et objectif.

La France compte quarante eaux de sources et quatre-vingts eaux minérales. Nous proposons une contribution de 0,5 centime d'euro par litre d'eau embouteillée vendue en France ou 1 centime d'euro par bouteille d'un litre et demi, ce qui, j'en conviens, n'est pas tout à fait proportionnel. Comme 10 milliards de litres d'eau embouteillée sont vendus par an, soit en moyenne 140 litres d'eau par an et par habitant, cela représente un surcoût de 1 euro par an pour le consommateur, ce qui ne remettra pas en cause l'achat de bouteilles d'eau. Les producteurs d'eau en bouteille estiment que cette disposition les pénalisera. C'est pourquoi nous leur proposons que ce prélèvement puisse se transformer en une opportunité de communication pour eux via l'affichage sur les bouteilles du centime solidaire. Et de toute façon, il sera répercuté sur l'acheteur final.

80 % des eaux de source sont regroupées au sein de trois multinationales : le suisse Nestlé Waters possède 30 % du marché, le géant français Danone 27 % et le groupe Neptune Roxane 20 %. Les 13 % restants sont des marques de distributeurs comme Leclerc, Intermarché, etc., et des petites sociétés comme Plancoët dans les Côtes d'Armor qui dépend du groupe Semo.

En résumé, la mesure qui vous est proposée présente plusieurs avantages. D'abord, il ne s'agit pas de créer une nouvelle taxe. Ensuite, elle est simple, lisible et elle s'applique sur l'ensemble du territoire. De plus, le surcoût pour le consommateur est faible.

Enfin, il n'est pas anormal que la commission du développement durable tienne compte de l'empreinte écologique extrêmement forte générée par les eaux en bouteille pour les produire, les transporter, les réfrigérer ou les éliminer – seulement 50 % des bouteilles d'eau sont recyclées. Tous ces processus sont fortement consommateurs de pétrole. J'ajoute que l'eau du robinet coûte cent fois moins cher que l'eau en bouteille, voire 1 500 fois moins cher qu'une petite bouteille d'eau individuelle.

Enfin, les collectivités et les territoires qui sont responsables des politiques de l'eau doivent se mobiliser. L'article 7 vise à renforcer la loi dite « loi Brottes » en prévoyant un rapport sur la question sociale de l'eau, une réflexion sur la tarification différenciée, éventuellement progressive même si une telle tarification n'est pas sociale.

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