Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 18 décembre 2012 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Il est vrai, monsieur Dussopt, que la question du statut du tiers, ou « parent social », est ancienne, et qu'elle ne concerne pas que les familles homoparentales. Même si le projet de loi ne crée pas un tel statut, le sujet est revenu de manière récurrente au cours de nos débats. Il est plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. La délégation-partage de l'autorité parentale, déjà prévue par le code civil, ne couvre pas la totalité des situations existantes. Je ne veux pas préjuger du sort que le débat parlementaire réservera à ce sujet de fond. En tout état de cause, il faudra prendre en compte toutes les situations et veiller à ce que le remède ne soit pas pire que le mal.

La réponse est la même s'agissant de la question de l'adoption par un couple non marié, monsieur Rogemont : c'est un sujet qui est revenu très régulièrement dans nos débats et dont le Gouvernement a fait savoir, par la voix du Premier ministre, qu'il reconnaissait la légitimité. Le régime de l'adoption, tel qu'il a été défini par la loi de 1966, ouvre déjà l'adoption aux célibataires, ce qui peut paraître une forme d'incohérence. Ce projet de loi peut être l'occasion de rationaliser l'accès à l'adoption.

C'est bien la première fois, monsieur Geoffroy, qu'on me reproche des propos « subliminaux ». En règle générale, ce que j'ai à dire, je le dis, et très clairement. C'est vous qui interprétez. J'ai eu au contraire le souci de m'exprimer avec précaution, d'autant que je m'adresse à des députés, et que j'ai siégé parmi vous pendant quatre législatures. Je n'accuse personne d'homophobie : je constate simplement, comme tout un chacun, la résurgence de propos homophobes. La responsabilité des parlementaires que vous êtes, que j'ai été, est de faire en sorte que le débat ne soit pas parasité par ce genre de considérations.

Si, en adaptant l'institution du mariage aux réalités sociologiques de la famille, nous la modernisons, il n'est pas question d'opposer le camp des modernes à celui des anciens : une telle querelle est déjà éteinte depuis plusieurs siècles !

L'histoire du droit matrimonial a connu plusieurs étapes : le divorce est autorisé dès 1792 puis interdit en 1804, puis de nouveau autorisé en 1884. Ce ne sont pas des dates fétiches : elles correspondent à des périodes de débats intenses au cours desquelles d'autres droits sont reconnus – liberté de la presse, liberté d'association ou liberté syndicale. Un peu plus tard, en 1905, est adoptée la loi sur la laïcité. Les années 1970 sont aussi une période décisive : la femme devient sujet de droit et cesse d'avoir besoin de l'autorisation de son mari pour signer un contrat de travail ou ouvrir un compte bancaire. Il s'agit bien d'une modernisation : la société prend acte du fait que, à partir de la guerre, la femme a commencé à travailler, voire à exercer des métiers masculins. En lui reconnaissant ces droits, on la sort de son statut de minorité. L'institution du mariage a donc une histoire très vivante : à certaines époques, elle a permis la domination de l'homme sur la femme et les enfants ; à d'autres, elle est redevenue fondée sur le consentement de deux êtres libres et autonomes.

Je ne fais de procès d'intention à personne, et surtout par sur un sujet aussi grave que l'homophobie – des gens sont morts, victimes d'agressions homophobes. Toutefois, vous vous permettez vous-mêmes des jugements de valeur en affirmant que les défenseurs de ce projet de loi ont une position erronée et dangereuse. Ce n'est pas grave : le débat est vif, mais nous restons courtois.

Il est vrai que tous les enfants naissent d'un processus biologique. Mais la filiation adoptive existe déjà pour les couples hétérosexuels et le présent projet de loi ne fait qu'ouvrir le mariage et l'adoption aux couples homosexuels, dans les conditions actuelles du code civil et des procédures de l'adoption. Celles-ci sont rigoureuses et strictes, aussi bien au stade de l'agrément accordé par le conseil général que du droit à l'adoption prononcé par le juge.

Personne ne cherche à créer de clivages ! Simplement, ceux qui sont convaincus que ce texte doit être adopté défendent leurs arguments avec passion, de même, monsieur Geoffroy, que vous vous exprimez avec force pour convaincre qu'il ne doit pas l'être ! On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de communication entre nous : le débat a lieu et aboutira à un vote. Pour notre part, nous avons entendu des personnalités exprimer des positions très diverses, lors d'auditions très riches et parfois fort longues, et nous avons également recueilli des contributions écrites.

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