Intervention de Erwann Binet

Réunion du 18 décembre 2012 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur :

Je souhaiterais vous faire part des réflexions que m'ont inspirées les très larges auditions que nous menons depuis sept semaines et qui s'achèveront jeudi. Elles nous ont permis de recueillir un éventail exhaustif d'avis, d'expertises et d'expériences : en près de cinquante heures, nous avons rencontré plus de 120 personnes. Dès lors que le projet de loi appelle chacun à prendre position, il était nécessaire de rendre accessibles aux Français tous les éléments de notre réflexion : nous l'avons fait en ouvrant ces auditions à la presse.

Sur le fond, il est symptomatique que la question de la filiation et de la situation des enfants ait occupé une très large place dans nos débats. Les auditions nous ont apporté des éclairages utiles qu'il serait fastidieux de détailler à ce moment de notre débat. Je m'en tiendrai donc à l'essentiel.

Il en ressort d'abord que les familles homoparentales existent déjà dans notre pays. Il est difficile d'en établir le nombre : alors que l'Institut national d'études démographiques (INED) estimait en 1999 à 30 000 le nombre des enfants élevés dans ces familles, les associations parlent de 300 000 enfants. Quoi qu'il en soit, le nombre de ces familles est appelé à s'accroître. Les couples homosexuels bénéficient d'une perception sociale plus favorable et du regard bienveillant de nombre de nos concitoyens. Les nouvelles générations ne se posent plus la question : elles auront des enfants. Cela est d'autant plus facile pour eux qu'ils ont la possibilité de faire famille. Aux enfants nés dans le cadre de couples hétérosexuels antérieurs dont l'un des membres s'est révélé homosexuel, s'ajoutent les enfants adoptés par l'un des deux membres du couple et les enfants nés d'une procréation médicalement assistée dans un pays voisin. Quant aux enfants issus d'une gestation pour autrui (GPA), ils sont difficiles à comptabiliser, mais leur nombre semble limité par l'interdiction de telles pratiques dans notre pays et par les obstacles financiers et géographiques qu'elles rencontrent.

Le souci de l'intérêt de l'enfant a dominé nos travaux, et beaucoup d'entre nous se sont interrogés sur les risques que la filiation par deux personnes de même sexe pouvait faire peser sur le développement de l'enfant. Cette interrogation est très largement partagée par nos compatriotes. Il ressort de nos semaines d'auditions qu'aucune étude ne jette de suspicion sérieuse sur les familles homoparentales. La très grande majorité d'entre elles montre que les enfants ne se portent ni mieux ni moins bien que dans les familles hétérosexuelles. Certes, ces études sont souvent critiquées du fait des biais scientifiques induits par la faiblesse des échantillons étudiés. Néanmoins, comme cela nous a été rappelé hier par des médecins belges, le nombre considérable de ces études impose un faisceau de conclusions concordantes : les enfants issus des familles homoparentales sont des enfants comme les autres. La seule fragilité qui leur serait spécifique est liée au regard, parfois négatif, que la société peut porter sur cette situation particulière. Cette constatation milite plutôt en faveur de l'instauration du mariage comme signe positif de reconnaissance sociale.

Il est cependant une différence majeure : le cadre législatif du PACS ne suffit pas à leur assurer la sécurité et la stabilité juridiques dont bénéficient les autres familles. En effet, la reconnaissance d'un seul parent par la loi entraîne en cas de séparation ou de décès des drames humains qu'il n'est pas acceptable d'ignorer. L'intérêt supérieur de l'enfant et la nécessité d'assurer à ces couples une sécurité durable nous obligent donc à légiférer. Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe répond en grande partie à cette nécessité.

L'inscription des couples de même sexe dans l'institution du mariage est un élément fondamental de la reconnaissance sociale de ces couples et de ces familles. Elle contribuera à lutter contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle et l'homophobie, comme y avait contribué, même insuffisamment, le PACS.

Le projet de loi assurera indéniablement aux couples de même sexe une plus grande sécurité juridique, et cela dans un cadre stable, connu et reconnu par tous. De ce point de vue, le choix d'inclure les couples de même sexe dans l'institution du mariage est bien plus signifiant que ne l'aurait été le renforcement du PACS ou l'instauration d'un nouveau contrat d'union civile.

Enfin, comme l'a déclaré le Défenseur des droits lors de son audition, le projet de loi est à l'évidence conforme à l'intérêt supérieur des enfants qui vivent aujourd'hui dans des couples homosexuels.

Cependant, les très nombreux articles de coordination qui opèrent des changements de vocabulaire dans plus d'une centaine d'articles au sein de plusieurs codes inquiètent vivement certains de nos collègues comme certains juristes. Le projet de loi propose en effet de remplacer à maintes reprises les vocables « père » et « mère » par « parents », « mari » ou « femme » par « époux », « parents » par « membre de la famille », etc. Pourriez-vous, mesdames les ministres, préciser la logique générale qui a présidé à ces modifications ?

Par ailleurs, si l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe va permettre de régulariser la situation d'un très grand nombre de familles homoparentales, ce dispositif sera-t-il susceptible de régler celle des familles homoparentales dont les parents sont aujourd'hui séparés ? Pour l'heure, dans ces cas, les tribunaux n'ont guère de solution à proposer. Le mariage n'étant évidemment pas une solution pour ces couples, je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer si le cas de figure a été envisagé et quelle solution le nouveau cadre juridique pourrait y apporter.

Enfin, la question de l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes a été très présente dans nos travaux. Nous nous sommes d'ailleurs rendus à Bruxelles pour étudier, entre autres questions, la situation des Françaises qui vont en Belgique pour bénéficier d'une PMA. Compte tenu du nombre de celles qui se rendent à l'étranger dans ce dessein et de celles qui se lancent dans des inséminations « artisanales » avec un tiers plus ou moins connu, avec les risques sanitaires et juridiques que cela comporte, il est difficilement concevable de ne pas envisager l'ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes. C'est d'autant plus inconcevable que le projet de loi ouvre la possibilité à la conjointe d'adopter a posteriori l'enfant né d'une PMA. Si, dans les autres pays européens ayant ouvert le mariage aux personnes de même sexe, les législateurs s'y sont repris à plusieurs fois pour se doter d'un arsenal juridique complet, tous, à l'exception du Portugal, ouvrent désormais le mariage, l'adoption et la PMA aux couples de personnes du même sexe. Ces trois piliers forment un ensemble cohérent et logique. Nous comptons donc poursuivre nos réflexions sur le sujet, mais j'aimerais connaître celles qui ont motivé le choix du Gouvernement de réserver cette ouverture de la PMA à un autre texte.

Les expériences étrangères que nous avons étudiées montrent que, une fois clos le débat parlementaire, le mariage et la filiation pour les personnes de même sexe deviennent d'une très grande banalité. Il nous reste quelques étapes avant d'y parvenir, dans le prolongement du projet de loi voulu par le président de la République et par le Gouvernement. Je souhaite vivement vous remercier d'en avoir pris l'initiative.

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