Intervention de Laurence Abeille

Réunion du 28 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Abeille :

Monsieur le rapporteur, je tiens aussi à vous remercier pour votre travail.

Les zones rurales sont effectivement de plus en plus en déshérence. La vie sociale y est compliquée. Mais il ne faut pas se tromper. Ce n'est pas à cause de la chasse, c'est d'abord parce qu'il n'y a pas d'emplois, que les services publics ont malheureusement souvent déserté les bourgs et les villages, qu'il y a relativement peu d'activités culturelles.

Des habitants se mobilisent beaucoup pour sauver leur ville, leur village, leurs emplois, leurs bourgs, faire vivre des commerces de proximité. La chasse n'est pas un pilier indispensable à l'équilibre de la vie rurale. Le partage de la forêt, de la nature, de la connaissance des animaux, de l'environnement peut se faire sans fusil.

Monsieur le rapporteur, j'ai été surprise par la méthode que vous avez employée puisque vous n'avez associé à vos travaux que les membres du groupe d'études chasse et territoires de l'Assemblée nationale. Deux autres groupes d'études, le groupe préservation et reconquête de la biodiversité que je préside, et le groupe d'études protection des animaux que préside Mme Geneviève Gaillard, n'ont pas participé à vos travaux, ce qui révèle un parti pris dans la rédaction du rapport.

En fait, l'objectif de cette mission d'information était bien plus de trouver de nouvelles dates d'ouverture de la chasse aux oies cendrées avec la volonté du monde de la chasse de prolonger ces dates d'ouverture. Votre rapport aurait pu tout aussi bien s'intituler : « Mission d'information sur la chasse aux oies cendrées », car tel est bien l'objet de votre réflexion.

La fin de la chasse aux oies sauvages est fixée au 31 janvier de chaque année, pour se conformer à la directive « Oiseaux » selon laquelle les oiseaux migrateurs ne doivent pas être chassés durant la migration prénuptiale.

Au cours des travaux de votre mission d'information, vous avez effectué un déplacement aux Pays-Bas avec l'idée que le prolongement de la date d'ouverture de la chasse se justifierait eu égard aux dégâts qu'y provoquent les oies cendrées sur l'agriculture. Lors de cette visite, les associations environnementales néerlandaises vous ont expliqué que le prolongement de la chasse aux oies cendrées en France n'aurait pas d'impact sur la population d'oies aux Pays-Bas et donc sur les dégâts agricoles. La Ligue de protection des oiseaux a relayé ces arguments auprès des parlementaires. Si la population d'oies cendrées avait quasiment disparu aux Pays-Bas au début du siècle, elle a beaucoup augmenté, avec une estimation de 439 000 oies estivantes en 2012. Mais seule une partie de ces oies migre vers l'Espagne pour l'hiver. Des études ont montré que 95 % des oies cendrées observées en France viennent de Scandinavie et d'Europe centrale. Un prolongement de la date de chasse en France ne résoudrait donc en aucune façon les problèmes néerlandais.

Comme le rappelle la LPO, à cela s'ajoute que d'un point de vue technique le changement climatique rendant la migration des oies cendrées de plus en plus précoce, le prolongement de la saison de chasse n'a pas de justification puisque de plus en plus d'oies traversent la France avant la fin du mois de janvier, donc pendant la période de chasse.

Outre ces arguments techniques sur l'inutilité du prolongement de la chasse en France pour résoudre le problème de dégâts occasionnés par les oies aux Pays-Bas, s'ajoute l'argument juridique et plus formel. Le commissaire européen à l'environnement, M. Karmenu Vella, a en effet confirmé, au mois de mars dernier, que la dérogation offerte par la directive « Oiseaux » permettant de faire prolonger les dates de chasse ne peut pas s'appliquer à la situation qui nous préoccupe. En France, la jurisprudence est constante puisque les textes autorisant des dates de fermeture après le 31 janvier sont systématiquement jugés non-conformes par les tribunaux saisis par les associations. Aussi notre groupe s'oppose au prolongement des dates de chasse des oies cendrées. À l'instar des associations de préservation de la biodiversité comme la LPO, nous considérons que la décision de la ministre de l'environnement, l'hiver dernier, de ne pas sanctionner le braconnage des oies pendant dix jours après la fin de la période de chasse ne repose sur aucun fondement.

Enfin, je souhaite faire une petite remarque de vocabulaire. Vous employez la jolie formule de « prélèvements cynégétiques » pour parler de la mort d'animaux sauvages. Or il s'agit ici de tuer des animaux sauvages par plaisir, en tout cas dans le cadre d'un loisir puisque personne n'est obligé de le faire – en disant cela, je ne porte pas de jugement. Je pense que les mots doivent dire les choses et qu'il ne faut pas les masquer sous un vocabulaire un peu poétique.

Vous comprendrez donc que nous ne soutenons pas ce rapport qui n'a comme objectif final que de parvenir à la prolongation des dates de chasse aux oies cendrées.

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