Intervention de Philippe Plisson

Réunion du 28 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Plisson, rapporteur :

Cette solution suppose évidemment de verser des compensations aux agriculteurs qui cultiveraient des parcelles spécifiques et de s'assurer que les oiseaux à la recherche de nourriture et attirés par des parcelles qui leur sont consacrées ne se détournent vers d'autres champs ou des prairies cultivés. Enfin, il faut prévoir une indemnisation dans le cas de dégâts, comme c'est le cas en Hollande.

La question se pose alors de l'origine des fonds et des montants. Mais il serait difficile de comprendre pourquoi un système en place dans d'autres pays – avec l'accord des autorités européennes et l'octroi de subventions européennes, par exemple au titre du FEADER – ne pourrait pas voir le jour en France, d'autant que l'évolution de la PAC a considérablement réduit les aides à la culture des céréales, ce qui faciliterait une forme de reconversion pour certains agriculteurs.

Quelles pourraient être les démarches au niveau européen ? Dans le rapport, j'ai appelé cette démarche « de l'évaluation à l'évolution des directives européennes ? »

La Commission européenne mène en ce moment un fitness check, c'est-à-dire une évaluation du fonctionnement des deux directives « Oiseaux » et « Habitats ». L'objet de la procédure est de recueillir l'avis des parties prenantes sur le contenu des règles et leur mise en oeuvre. Deux questions sont posées : le cadre réglementaire est-il adapté à sa finalité ? Atteint-il les résultats escomptés ? Il y a deux semaines, j'ai participé, à Bruxelles, à un colloque organisé par la FACE sur ce sujet.

Pour la France, quatre acteurs ont été sollicités pour remettre une contribution : le ministère du développement durable, l'Office national des forêts, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et LPOBirdLife France.

Personne n'est capable d'affirmer aujourd'hui quelles sont les intentions de la Commission Juncker ni quel est l'actuel rapport de forces politiques.

J'ai le sentiment que la plupart des interlocuteurs se sont montrés peu favorables – c'est le moins que l'on puisse dire – à la révision de la directive sur la conservation des oiseaux sauvages, alors qu'elle aurait besoin d'un toilettage et d'une actualisation compte tenu de l'évolution des espèces et de leurs migrations, notamment en liaison avec les changements climatiques.

En 1979, date de la directive, l'oie cendrée était en voie de disparition alors qu'aujourd'hui c'est une espèce invasive. On voit bien que les choses ont évolué, que leur habitat s'est modifié, que le climat a changé ce qui a entraîné des bouleversements en ce qui concerne les migrations puisque les oies s'arrêtent en Hollande au lieu d'aller jusqu'en Espagne ou au Maroc. Toutes ces constatations mériteraient que l'on remette sur la table cette directive. Mais dans cette Europe à vingt-huit, tout le monde a peur d'ouvrir la boîte de Pandore. Les associations de protection des oiseaux et les associations de chasse, en particulier la FACE, considèrent qu'il ne faut toucher à rien car de toute façon on ne parviendra pas à se mettre d'accord. Or, la directive de 1979 n'est plus adaptée, elle permet juste un équilibre précaire qui n'est pas satisfaisant pour la France.

Les nombreuses réticences exprimées tiennent aux délais nécessaires à une telle révision, à la difficulté d'obtenir un nouveau consensus entre les États membres, au risque d'une remise à plat qui soulèverait de multiples oppositions et pourrait constituer un appel d'air pour d'autres revendications, au sentiment que les difficultés proviennent davantage de la transposition de la directive dans le droit national et de la jurisprudence très stricte que du contenu même du texte.

Certains pays ne disposent pas d'une instance comparable au Conseil d'État. C'est le cas, par exemple, de Malte qui a pu bénéficier pour d'autres espèces, comme la tourterelle et la caille, de dérogations. Comme le Conseil d'État rend des décisions par rapport à la légalité juridique et que le droit européen prévaut sur le droit national, les arrêtés du Gouvernement français ont été cassés, quel que soit le gouvernement en place depuis 2010.

C'est pourquoi, il semblerait que l'on s'oriente plutôt vers une modification du guide sur la chasse durable en application de la directive. Cette solution pourrait recueillir l'accord de la Commission européenne dans la mesure où les services sont partisans de solutions pragmatiques et redoutent des revendications multiples.

Certes, ce guide n'est pas contraignant sur le plan juridique mais la jurisprudence tant européenne que nationale s'est longtemps reposée sur lui.

J'estime cependant que la piste de la révision de la directive « Oiseaux » voire sa fusion avec la directive « Habitats » ne doit pas être abandonnée. Une nouvelle directive, actualisée, pourrait ainsi être plus opérationnelle en intégrant mieux la gestion de la biodiversité ordinaire en rapport avec l'évolution des espèces, du climat et de la nature des cultures.

Enfin, je reste persuadé de la nécessaire poursuite du dialogue tant au niveau européen, entre le Gouvernement français et la Commission européenne, que français.

Plusieurs thèmes pourraient être abordés : une réflexion sur les questions de chevauchement telles qu'elles ressortent de l'article 2-7 du guide de la chasse durable ; le recours à une dérogation au titre de l'article 9 de la directive « Oiseaux », soit au titre du paragraphe 1 a), 1 b) (dégâts) ou 1 c), sous réserve que notre pays présente les éléments qui correspondent aux conditions fixées par la CJUE ; l'interprétation même du guide sur la chasse durable.

Mais un des préalables devrait être la reprise du dialogue au niveau national. Or depuis l'échec de la table ronde sur la chasse en 2010, il n'y a plus de dialogue multilatéral entre partenaires et la confiance est partiellement rompue. Pourtant, en cinq ans, les connaissances scientifiques se sont améliorées, la dynamique de l'espèce a changé, les comportements des chasseurs ont évolué, des décisions ministérielles ont été prises et certaines annulées, de nouvelles propositions ont été formulées.

C'est pourquoi, mes dernières propositions consistent à poursuivre le dialogue avec la Commission européenne sur le recours possible à une dérogation au titre de l'article 9 de la directive « Oiseaux », en présentant un système qui corresponde aux conditions imposées par la jurisprudence européenne et française.

Je propose également la reprise des négociations entre partenaires – pouvoirs publics, scientifiques, associations de chasseurs, associations de protection de l'environnement – avec pour objet exclusif le problème des oies cendrées, afin de renouer le dialogue et de trouver une solution de compromis. C'est ce que j'ai déjà proposé aux différents protagonistes. Les chasseurs l'ont accepté mais à ce jour la LPO s'y oppose. M. Allain Bougrain-Dubourg ne veut pas en entendre parler et je le regrette car on pourrait essayer de se mettre autour d'une table pour trouver une solution de compromis. Des avancées peuvent être faites de chaque côté qui permettraient de trouver des solutions de bon sens. Nous sommes là davantage dans des postures que dans une attitude constructive.

Enfin, je propose que la Commission européenne ouvre le chantier de la révision de la directive sur la conservation des oiseaux sauvages compte tenu de l'évolution du climat et du comportement de l'espèce. Je demande que cette directive soit révisée car elle est obsolète. Il faut prendre son courage à deux mains et la remettre sur la table.

En conclusion, compte tenu du contexte économique et social de notre pays, et prenant en compte les pressions sur la biodiversité et la difficulté de reconquérir la biodiversité ordinaire, le débat sur la modification des dates d'ouverture et de fermeture d'un gibier d'eau, même s'il est complexe et récurrent, doit être remis à sa juste place.

Les démarches successives dans notre pays n'ont jamais été exemptes de controverses mais, pour que ce problème somme toute assez subalterne ne continue pas à perturber le climat social et à alimenter le rejet de l'Union européenne, il apparaît impératif de dégager une solution qui donne satisfaction à court comme à moyen terme, qui corresponde à l'état du droit et aux données scientifiques, et qui s'appuie enfin sur des arguments de raison et non de passion. (Applaudissements sur tous les bancs)

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