Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 30 octobre 2015 à 15h00
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique :

J'indique que j'ai déposé des amendements au titre du protocole PPCR « Parcours professionnels, carrières, rémunérations », que le Premier ministre a décidé d'appliquer. Il s'agit tout d'abord d'organiser un dispositif de transformation de primes en points. Entre le 1er janvier 2016 et le 1er janvier 2018, tous les fonctionnaires verront une partie de leurs primes transformées en points d'indice. C'est une mesure favorable au pouvoir d'achat, en particulier pour les agents de catégorie C, qui perçoivent peu ou pas de primes, et les futurs retraités.

Les catégories C bénéficieront de quatre points d'indice, soit 222 euros par an, 160 euros par an étant supprimés au 1er janvier 2017. Pour les catégories B ainsi que les catégories A paramédicales et sociales, six points seront alloués, soit 333 euros par an, 278 euros de prime étant supprimés au 1er janvier 2016. Pour les autres catégories A, neuf points seront alloués, quatre au 1er janvier 2017 et cinq au 1er janvier 2018, soit un total de 500 euros, 389 euros de primes étant supprimés. C'était attendu depuis longtemps. Nous inverserons ainsi la tendance aux traitements stabilisés compensés par des régimes indemnitaires, tendance qui creusait le fossé entre les personnels.

Nous proposons également de supprimer les dispositifs actuels de reconnaissance de la valeur professionnelle dans l'avancement d'échelon pour le remplacer par un dispositif plus efficace qui harmonisera les règles pour l'ensemble des fonctionnaires des trois versants. Nous supprimons la carrière minimale dans la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière, ainsi que les réductions d'ancienneté d'échelon dans la fonction publique d'État. L'application de ces dispositifs, depuis plus de trente ans, a montré une très faible efficacité. Différents selon les versants, ils sont devenus inéquitables et n'ont pas permis de reconnaître les fonctionnaires les plus méritants. Nous les remplaçons donc par un dispositif qui permettra de reconnaître de façon plus significative les meilleurs agents et donnera aux employeurs un outil managérial de motivation. Ce nouvel outil fera l'objet d'une concertation avec les organisations syndicales avant la fin de l'année.

Ces deux mesures entreront en application à la date de la première revalorisation des fonctionnaires. Les employeurs des fonctions publiques territoriale et hospitalière ont fait valoir à juste titre que la suppression du passage automatique à la carrière minimum ne devait pas intervenir avant la revalorisation.

Enfin, nous demanderons une autorisation de rétroactivité des textes pris pour la mise en oeuvre du protocole. Au total, 450 textes doivent être modifiés dans un délai très court, et la mesure permettra de respecter les échéances prévues par le protocole. Si les textes sont publiés avec un léger retard, ils pourront rétroagir aux dates du 1er janvier 2016 et du 1er janvier 2017.

Ces mesures valorisent notre fonction publique. Elle sera rémunérée de façon plus juste, avec, même si elle est plus longue, une carrière plus intéressante.

Vous avez, monsieur Pajon, insisté sur le programme 148. En réponse à vos propos sur les baisses de crédits pour l'ENA et les IRA, j'indique que nous disposons des marges de manoeuvre et que le fonds de roulement est suffisant pour faire face. Nous solliciterons également les fonds de roulement du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), encore plus importants que ceux de nos propres écoles, et nous prévoirons une baisse temporaire des cotisations pour que les fonds de roulement s'établissent à des montants plus raisonnables.

S'agissant de l'action sociale, deux éléments doivent être redéfinis avec les organisations syndicales. Nous avons, tout d'abord, posé le dossier du supplément familial de traitement sur la table de négociation. Au sujet, ensuite, des indemnités de résidence, nous souhaitons faire coïncider le besoin d'indemnités à la réalité des coûts de location ou d'accession à la propriété. Ce n'est pas du tout la même chose d'être nommé pour un premier poste en région parisienne ou dans certains départements. J'ai également posé ce dossier sur la table. Cet engagement a été pris dans le protocole, et nous y répondrons aussi vite que possible. Des études doivent encore être conduites ; il faudra trouver des critères d'ajustement, ce qui n'est pas simple, le marché immobilier étant par essence cyclique.

En ce qui concerne l'apprentissage dans la fonction publique, nous avons déjà réussi à atteindre les 4 000 apprentis, et nous en sommes satisfaits. Cette avancée nous conduira à négocier avec le ministère de l'éducation nationale une licence d'administration publique en alternance, pour offrir des opportunités à des personnes qui n'ont pas eu la chance, dans une première partie de leur vie, d'accéder à des concours. Nous insistons sur les classes préparatoires intégrées parce qu'elles donnent d'excellents résultats : 47 % des élèves de ces classes ayant passé des concours ont réussi. Nous allons multiplier le nombre de ces classes par deux. Dans les quartiers que l'on appelle difficiles mais qui sont simplement des quartiers à prendre en considération, les jeunes s'interdisent l'accès aux concours. Nous leur expliquons qu'ils ont le droit d'entrer dans la fonction publique et que nous les y préparerons, grâce aux classes intégrées.

Je rappelle que notre fonction publique est une fonction publique de carrière, avec un statut, et que le concours anonyme et ouvert à tous est indispensable. Celui qui a eu la chance d'obtenir une place en apprentissage peut entrer plus facilement dans la fonction publique. L'apprentissage est un tremplin très important pour les 4 500 apprentis recrutés à la rentrée 2015. Ils seront 10 000 à la rentrée 2016.

Le sujet des retraites est toujours abordé sous l'angle du parallélisme des droits entre les secteurs public et privé. Or cette question est en grande partie devenue sans objet. L'âge moyen de départ en retraite est désormais quasiment identique : entre 2011 et 2014, l'âge moyen des fonctionnaires hors catégories actives a augmenté de près de deux ans, et le taux de remplacement dans la fonction publique est aujourd'hui inférieur à celui du secteur privé : 73,9 % contre 75,2 %. Le sujet est donc derrière nous, d'autant plus que le taux de cotisation des fonctionnaires sera totalement aligné sur le taux du privé à partir de 2020 – le Gouvernement Fillon avait fort justement considéré que la différence devait être réduite progressivement, année après année, et le présent Gouvernement, dans son texte sur les retraites, a adopté le même raisonnement et décidé d'étaler les cotisations afin de ne pas trop diminuer le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Ce sera une raison de moins de se complaire dans le « fonctionnaire bashing ».

Nous n'avons pas la possibilité d'assurer un parallélisme avec l'accord sur les retraites complémentaires du secteur privé. La retraite, dans la fonction publique, est assise sur le traitement et ne prend pas en compte le régime indemnitaire. Une récente étude du Conseil d'orientation des retraites (COR) montre que l'application des règles de retraite du secteur privé conduirait pour 50 % des fonctionnaires à un montant de pension beaucoup plus élevé, et qu'un alignement sur le privé pourrait coûter plus de 3 milliards d'euros supplémentaires par an, compte tenu du fait qu'il faudrait, en parallélisme des formes, asseoir les cotisations sur l'ensemble des rémunérations. Budgétairement, cela nous arrange d'avoir un système assis sur les six derniers mois et excluant les régimes indemnitaires, car un système assis sur les vingt dernières années mais incluant sur l'ensemble du traitement nous coûterait beaucoup plus cher. Nous vous transmettrons un document à ce sujet.

Je n'ai pas la réponse à la question sur les routiers. Ce sont des salariés du secteur privé qui bénéficient d'un certain nombre d'avantages résultant de l'application d'un règlement européen, comme dans l'aviation civile. Nous vous enverrons une réponse par écrit.

Vous m'avez également interrogé sur le jour de carence. Là encore, il existe un vrai problème de cliché. Nous avons constaté, au cas par cas, qu'il n'y avait pas d'augmentation de l'absentéisme dans la fonction publique d'État, mais qu'il y en avait dans la fonction publique territoriale et surtout dans la fonction publique hospitalière. J'ai fait 254 déplacements pour discuter avec les directeurs d'établissement et les organisations syndicales. Il existe une corrélation entre la surcharge de travail, aux urgences ou dans certains services, et les arrêts de travail. Nous avons beaucoup de mal à réguler les effectifs ; il peut y avoir, à certains moments, un besoin de postes plus important à un endroit et moins important à un autre, mais une mobilité partielle, fonctionnelle, des fonctionnaires quand un service est débordé n'est guère pratiquée. Une telle possibilité est à l'étude au ministère de l'intérieur ; il faut l'étudier aussi dans la fonction publique hospitalière. Nos fonctionnaires connaissent un tel désarroi face à la charge de travail dans les hôpitaux, en particulier les petits établissements, qu'il n'est vraiment pas permis d'affirmer que le problème est lié au jour de carence.

N'oublions pas non plus que 77 % des salariés des grandes entreprises n'ont pas de jour de carence, comme 48 % de ceux des PME et TPE, et que nous ne sommes pas capables de prendre la voie d'un système de protection supplémentaire pour l'ensemble de nos salariés. Enfin, si l'on compte la totalité des jours d'absence, y compris les petits arrêts maladie, le taux est stable : il se situait à 3,8 % en 2006, n'a pratiquement pas bougé jusqu'en 2012, et se situe aujourd'hui à 3,5 %, encore légèrement supérieur à celui du privé, duquel il tend toutefois à se rapprocher.

Une des réponses à cette question récurrente, c'est la gestion des ressources humaines dans les trois fonctions publiques, pour laquelle il y a de grands progrès à faire. Il existe en particulier un problème de découragement des cadres intermédiaires, qu'il nous faut remotiver. Je proposerai au Premier ministre que la direction générale de la fonction publique (DGFP) devienne un véritable centre de gestion de la ressource humaine publique, à la disposition de tous.

Nous avons décidé de renforcer le contrôle des arrêts maladie. Le contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires a été expérimenté dans six départements, et nous venons d'en recevoir les résultats. Cette expérimentation met en évidence un taux d'arrêt de travail injustifié de 6,2 % dans la fonction publique, contre 7,9 % dans le privé. Tout arrêt de travail injustifié est bien sûr un arrêt de travail de trop, mais il n'y a pas d'écart défavorable à la fonction publique.

M. Tourret a de nouveau insisté sur le cumul de fonctions. La liberté du cumul est contraire aux principes de notre fonction publique. Nous manquons cependant encore de données chiffrées. Je n'ai pas assez de fonctionnaires au sein de la DGFP pour consacrer une équipe au recensement et aux statistiques, alors que de gros chantiers, outre ceux que j'ai déjà évoqués, sont en cours – qualité de vie au travail, gestion de la ressource humaine, formation continue, mobilité fonctionnelle. Nous ferons peut-être appel, en début d'année prochaine, si des moyens financiers peuvent être dégagés, à un prestataire pour conduire cette enquête dans chaque versant de la fonction publique. Nous avons déjà un peu avancé dans le cas de l'auto-entrepreneur. Nous devons surtout répondre – et je le dis sans être agressive ou accusatrice – à des situations qui ne sont pas au carré, et transformer du petit bricolage en situations claires et nettes.

En ce qui concerne l'apprentissage, nous procéderons à une évaluation sur le taux de réussite des premiers apprentis aux concours ou aux recrutements des jurys sans concours. Pour ces derniers recrutements, il y aura désormais obligatoirement dans les jurys, à la demande du Premier ministre et dans le souci d'assurer la diversité, une personne extérieure.

Les mesures que nous avons adoptées pour améliorer l'engagement des fonctionnaires sont un équilibre. Nous regarderons si, entre la lecture à l'Assemblée et celle au Sénat, il est possible d'introduire quelques nouvelles propositions, parmi celles formulées par Mme Descamps-Crosnier et M. Tourret. Nous ne pouvons pour l'instant que les enregistrer.

Il convient, monsieur Censi, d'examiner le sujet de la RGPP avec sérénité et sans polémique. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite a parfois été très déstabilisant, en raison du statut de notre fonction publique, qui n'est pas une fonction publique d'emploi mais une fonction publique de carrière, et du fait que les personnes passant un concours ne choisissent pas le lieu de leur nomination. Les fonctionnaires ayant un nombre de points suffisants tendent à choisir certains territoires plutôt que d'autres, et la pyramide des âges n'est pas la même dans chaque région. Du coup, si l'on ne remplace pas un fonctionnaire sur deux, un déséquilibre se produit et certains territoires ruraux peuvent éprouver un sentiment d'abandon quand les postes ne sont pas remplacés. Dans certains départements ont eu lieu, vous le savez comme moi, des manifestations d'élus contre la fermeture de services du fait qu'il n'y avait plus de fonctionnaires sur les postes. Le Président de la République et le Premier ministre se sont engagés à mieux répartir les effectifs sur le territoire ; c'est absolument nécessaire.

Nous avons décidé de recruter 60 000 personnels de l'éducation nationale, ce qui impliquait, comme vous en avez fait la remarque, 60 000 postes de moins dans les autres administrations de l'État. Nous avons dérogé à la règle après le 11 janvier et la révision de la loi de programmation militaire, demandée par presque toutes les familles politiques, et repris le chemin des créations de postes à la défense. Entre les postes créés et les postes supprimés, nous avons besoin de 8 300 postes pour couvrir les besoins en termes de sécurité extérieure et intérieure.

Le Premier ministre a indiqué qu'une négociation avec les syndicats aurait lieu en 2016 sur le gel du point d'indice. Ce gel a conduit à une économie considérable de 7 milliards d'euros.

J'ai déjà répondu sur le supplément familial de traitement. On me dit toujours d'aller voir en Allemagne : je m'y suis rendu et j'ai vu que ce pays avait développé le supplément familial de traitement pour ses fonctionnaires.

Vous avez rappelé la sur-rémunération du temps partiel : 90 % payés à 96 %, 80 % payés à 86 %. C'est une mesure juste pour les femmes, qui représentent 90 % des bénéficiaires. Son principal fait générateur est l'absence de services à la petite enfance dans certains territoires. La mesure préserve leur pouvoir d'achat ainsi que leurs futures retraites – les pensions des femmes fonctionnaires sont plus faibles, du fait des interruptions de carrière pour élever leurs enfants. Nous la maintenons donc.

Je vous remercie de vos apports et des compliments que vous avez adressés à notre fonction publique. Il faut soutenir nos fonctionnaires, qui sont assez démoralisés par les marronniers, le plus souvent négatifs, qui les concernent. Les fonctionnaires n'assurent pas tant la solidité de l'État que celle de la nation. Nous sommes en train de négocier avec les syndicats sur la qualité de vie au travail. Certaines situations sont très difficiles, notamment dans les services d'accueil. Nous avons beaucoup travaillé avec les préfets et les directeurs pour qu'un fonctionnaire puisse changer de poste au cours de la journée, car l'accueil peut être une fonction très lourde, très dure. Considérez par exemple l'accueil des migrants, où une décision doit être prise rapidement pour déterminer s'il s'agit d'une demande d'immigration économique ou bien d'une demande de refuge présentée par un migrant pour sauver sa vie.

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