Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 22 octobre 2015 à 15h00
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Je constate simplement que la question ne m'était pas adressée : elle visait une autre personne, qui n'est pas dans cette salle puisqu'elle n'est ni ministre ni parlementaire. M. Goujon m'a demandé si j'étais d'accord avec la maire de Paris lorsqu'elle rédige des documents sous sa propre responsabilité. Par construction, je suis d'accord avec la maire de Paris, car j'estime qu'il vaut mieux traiter les problèmes avec ceux qui sont aux responsabilités, quelle que soit leur sensibilité politique, plutôt que de créer des polémiques.

À Calais, hier, j'étais au côté d'une maire qui n'est pas de mon bord politique. Je pourrais très bien la laisser seule, comme on m'a laissé seul à Cherbourg il y a quelques années, lorsque la fermeture de Sangatte a provoqué l'arrivée de migrants. J'avais dans ma ville 300 personnes qui dormaient dans des cartons ; personne ne m'a aidé. Leur nombre a augmenté ; je me suis débrouillé tout seul. Mais ce n'est pas grave : j'ai fait mon travail de maire et je ne reproche rien à personne. J'estime pour ma part que le Gouvernement doit aider la maire de Calais dans l'épreuve que traverse sa ville. Je me rends sur place toutes les huit semaines et j'y mettrai des moyens nonobstant la couleur politique de la mairie. C'est cela, la solidarité républicaine dans les épreuves humanitaires : la solidarité entre les territoires et l'État, quelles que soient les opinions politiques de ceux qui dirigent les collectivités.

Ce qui vaut de la maire de Calais vaut également de la maire de Paris. C'est ainsi que je conçois ma fonction : je suis à la disposition des maires qui sont confrontés à ce type de problèmes – à condition, bien entendu, qu'ils ne fassent pas preuve de la pire inhumanité en tenant des propos racistes ou xénophobes : dans ce cas, je ne serai pas leur interlocuteur, car ce ne sont pas mes principes ni mes valeurs.

Les campements parisiens, nous nous en occupons. Ainsi, nous avons mis à l'abri les occupants de ceux situés porte de la Chapelle et quai d'Austerlitz et réglé leur situation. Ce sont ainsi près de 2 000 personnes que nous avons protégées, à Paris, depuis le mois de juin, en leur offrant des hébergements et un accès à l'asile. Nous l'avons fait avec la volonté de résorber les campements sans que demeurent des squats – nous réglerons la question des squats actuels en offrant des conditions d'hébergement dignes de ce nom. Nous avons procédé en évitant autant que possible de faire intervenir des forces de l'ordre. Lorsqu'elles sont intervenues, c'est parce que, pour des raisons politiques sur lesquelles je ne veux pas m'attarder, certaines personnes empêchaient les migrants d'accéder aux logements que nous leur proposions.

Mme Untermaier m'a interrogé sur les moyens de l'OFII – comme Mme Mazetier, d'ailleurs, que je veux remercier pour tout le travail qu'elle a fait, avec M. Binet, Mme Chapdelaine et tant d'autres, lors de l'examen des textes relatifs à l'asile et à l'immigration. Les crédits de l'OFII sont sécurisés et renforcés : le projet de loi de finances prévoit une hausse de 40 % de sa subvention pour charges de service public. Par ailleurs, les effectifs de l'OFII augmenteront significativement, comme ceux de l'OFPRA : ils seront portés à 126 équivalents temps plein grâce aux amendements proposés par le Gouvernement. En outre, l'OFII redéploiera ses moyens grâce à l'allégement de certaines missions, notamment en matière de visites médicales.

Il y avait beaucoup de choses, dans les interpellations de M. Myard. M. Myard dit : « Pas de polémiques ! » Je n'en lance jamais, je réponds à celles que lancent vos amis, sur les avions, sur Calais, sur les éloignements, sur Moirans et d'autres sujets. J'en profite pour envoyer ce message, dans un contexte où les forces de l'ordre sont extrêmement mobilisées et font un travail remarquable, avec des policiers et des gendarmes parfois atteints dans leur intégrité physique : les forces de l'ordre sont intervenues à Moirans dès que nous avons été informés des troubles pour rétablir l'ordre public, ce qui fut fait en quelques heures, et la justice fait son travail. La police et la gendarmerie ont communiqué au procureur l'ensemble des éléments dont elles disposaient pour que la justice passe.

Il y a une dizaine d'années, les quartiers ont connu trois semaines d'émeutes. Alors député de l'opposition, je n'ai jamais tenu de discours tels qu'un certain nombre de ceux que j'entends aujourd'hui. Lorsque des sujets de ce type sont sur le métier, notre obligation est de témoigner notre reconnaissance aux forces de l'ordre pour leur travail – et je veux leur rendre hommage, comme je l'ai fait hier à Moirans. Et nous avons ensuite l'obligation de faire preuve de dignité face aux épreuves que la République peut traverser lorsque certains s'emploient à porter atteinte à l'ordre républicain.

Les polémiques, je ne les déclenche pas, mais, quand ceux qui sont placés sous ma responsabilité s'exposent autant pour faire leur travail et sont mis en cause, mon devoir de ministre de l'intérieur est de rappeler ce qu'est la réalité de leur action. J'étais très fier, hier soir, d'être à Moirans avec les forces de police et de gendarmerie, aux côtés des élus de l'Isère de toutes sensibilités. Le maire de Moirans était là, qui n'appartient pas à la majorité, et il a rendu hommage aux forces de l'ordre. On le voit, plus on est près de l'intervention de ceux qui rétablissent l'ordre, plus on est respectueux des missions qu'ils remplissent, et moins on est dans des polémiques qui n'ont pas lieu d'être sur des sujets qui appellent, au contraire, du sérieux.

Je perçois parfaitement et ne minimise pas la gravité de la situation migratoire, pour la simple et bonne raison que j'ai, jour après jour, la charge d'assumer ses conséquences – mais notre pays est soumis à une bien moindre pression que d'autres, comme l'Autriche ou l'Allemagne. Vous reprochez d'ailleurs à notre gouvernement des propos tenus par les dirigeants d'autres pays qui appartiennent au même parti européen que vous. Pour ma part, je n'ai pas de commentaire à faire sur les propos tenus par Mme Merkel ou par d'autres. Quand l'Europe traverse des épreuves, le rôle de la France n'est pas de polémiquer avec des dirigeants européens, mais de trouver des solutions avec eux. Ce n'est pas parce que nous ne créons pas des fractures au sein de l'Union européenne avec des dirigeants européens qui ont adopté telle ou telle position que nous n'avons pas pris conscience de la gravité d'une situation ; c'est au contraire parce que nous en avons pris la mesure que nous nous fixons pour objectif d'être responsables et de ne pas accroître les difficultés rencontrées par l'Union.

En ce qui concerne l'aide au développement, le Président de la République a annoncé, le 25 août dernier, une relance de notre politique. Elle passe par une réforme de notre agence bilatérale de développement, l'Agence française de développement (AFD), qui va être rapprochée de la Caisse des dépôts et consignations. Dans la continuité de ce projet, il a également annoncé, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, une augmentation de notre aide au développement de 4 milliards d'euros au cours des prochaines années, et le montant des financements consacrés au climat passera de 3 milliards à 5 milliards d'euros.

Mme Pochon m'interrogeait sur la question des mineurs étrangers isolés, sujet extrêmement important, sur lequel nous sommes aussi très mobilisés. Dans certains départements, il n'existe pas de représentant du réseau des analyses en fraude documentaire et à l'identité. Il appartient au préfet de conclure un protocole avec le président du conseil départemental – un protocole type sera diffusé, avec les modalités de saisine de la police aux frontières. En cas de délit manifeste de fraude à la minorité, une instruction rappelle les conditions dans lesquelles les préfets peuvent saisir le parquet aux fins de poursuite. Elle précise également les conditions d'admission au séjour des jeunes majeurs, mineurs isolés confiés à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans, mineurs isolés pris en charge entre seize et dix-huit ans et les conditions d'accès à la formation professionnelle du mineur isolé pendant sa minorité.

Il est à noter qu'à aucun moment la procédure de demande d'asile pour les mineurs étrangers isolés n'est évoquée dans cette instruction. C'est pourtant une donnée à ne pas négliger dans le contexte actuel, marqué par l'arrivée de mineurs en provenance de Syrie, d'Irak ou d'Afghanistan. Comme vous le savez, les préfectures sont par ailleurs invitées à désigner un correspondant dans les départements où le nombre de prises en charge de mineurs isolés et de demandes de titres de séjour le justifie. Il est, en particulier, demandé aux préfectures d'accepter que les jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance puissent déposer leur demande de titre de séjour deux mois avant leur dix-huitième anniversaire.

Nous entretenons un dialogue constant avec les ONG, monsieur Clément, même s'il est parfois vif ou tendu – ce qui est souvent consubstantiel de la franchise. Les ONG jouent un rôle fondamental dans la fourniture des prestations humanitaires. À Calais, j'ai demandé à deux personnalités, Jean Aribaud et Jérôme Vignon, de conduire un dialogue avec les associations, avec la mise en place d'un comité de pilotage, et j'ai indiqué quels montants – qui ne sont pas soldes de tout compte – nous consacrons à l'ensemble des actions humanitaires à Calais : avec ce que nous faisons en CADA, ce que nous faisons en matière d'aide alimentaire et d'hébergement sur place des personnes en situation de vulnérabilité, nous aurons mobilisé 44 millions d'euros pour ce seul campement.

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