Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 22 octobre 2015 à 15h00
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Je voudrais, si vous en êtes d'accord, essayer d'aller à l'essentiel et d'apporter les réponses les plus précises possible aux différents rapporteurs, notamment à celui qui s'est exprimé en dernier et a tenu un discours très politique, fondé sur de nombreuses approximations. Puisqu'il m'y invite, j'y reviendrai de façon détaillée, et d'autant plus volontiers qu'il a « mis le paquet ».

La question de l'allocation pour demandeur d'asile, évoquée à plusieurs reprises, appelle une réponse extrêmement précise. Le rapport de la Cour des comptes est un véritable réquisitoire contre les manquements d'une politique, conduite par la précédente majorité, qui a laissé le système d'asile s'enliser. Avec les moyens que nous allouons, la loi relative à la réforme du droit d'asile, promulguée le 29 juillet dernier, permet d'y remédier. Ainsi, d'ici à la fin du quinquennat, nous aurons créé 18 500 places de CADA, car, si nous voulons que notre pays soit à la hauteur de sa réputation, il faut qu'il puisse accueillir dignement ceux qui relèvent de l'asile. Nous aurons également créé 250 postes équivalents temps plein (ETP) au sein de l'OFPRA, de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et des guichets uniques des préfectures pour ramener de vingt-quatre à neuf mois la durée de traitement des dossiers des demandeurs d'asile. Et nous aurons créé les conditions de la simplification de diverses procédures juridiques pour faire en sorte que ces délais soient tenus. Alors qu'elle avait été incapable de prendre les textes de loi nationaux qui lui permettaient de se mettre en conformité avec les directives européennes, la France se sera ainsi mise aux meilleurs standards européens.

J'ai entendu les propos de M. Ciotti, et je lui poserai à mon tour des questions, puisque je réponds aux siennes. Combien de places le gouvernement qu'il a soutenu a-t-il créées en CADA ? Combien de postes au sein de l'OFPRA ? Et quel était le délai de traitement des dossiers des demandeurs d'asile ? Vingt-quatre mois ! Nous avons, à cet égard, été lourdement condamnés par l'Union européenne. Pour ma part, je suis extrêmement fier d'avoir contribué, par la loi que j'ai défendue devant le Parlement, à mettre notre système d'asile à niveau.

Bien entendu, comme l'a dit Laurent Grandguillaume, il faut être attentif à tous les éléments de la politique de l'asile, notamment au passage de l'AMS et de l'allocation temporaire d'attente (ATA) à l'ADA. Celle-ci, qui entrera en vigueur le 1er novembre, sera plus juste : c'est une allocation unique, dont le barème sera le même pour tous, indépendamment des conditions d'hébergement des demandeurs, elle prendra en compte la composition de la famille et sera majorée dans le cas où l'État ne sera pas en mesure de faire une offre d'hébergement au demandeur. L'ADA sera également beaucoup plus efficace, car ses règles de gestion lui permettront de mieux lutter contre la fraude.

En ce qui concerne la question de la transition entre l'allocation actuelle et la nouvelle allocation, posée par M. Grandguillaume, les bénéficiaires ne subiront pas de « mois blanc ». Les établissements sont autorisés à verser une avance au titre du mois de novembre et le besoin supplémentaire pour 2016, qui s'élève à 11 millions d'euros, est financé par l'amendement gouvernemental dont vous avez parlé.

Je veux également rappeler un certain nombre d'éléments précis à propos de la réforme du dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile. Depuis 2011, une régionalisation du pilotage de ce dispositif vise à assurer une répartition équitable de la prise en charge des demandeurs d'asile et une rationalisation des coûts associés. Dans la continuité du processus de régionalisation, des schémas régionaux d'accueil des demandeurs d'asile sont prévus par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, à la suite de l'expérimentation menée depuis 2012 dans trois régions et un département. Un montant de 111,5 millions d'euros est inscrit au projet de loi de finances pour 2016, montant qui s'explique par l'augmentation de la ligne permettant de financer les places en CADA.

Un collectif d'associations chargées de l'accueil des demandeurs d'asile m'a effectivement interpellé à propos de la gestion des fonds européens. La lettre évoque les sujets que vous avez évoqués : les retards de paiement des associations par le fonds européen pour les réfugiés (FER), l'inadéquation des fonds européens pour le financement des projets relatifs aux mineurs isolés, les règles rétroactives sur les indicateurs du fonds asile, migration, intégration (FAMI), etc.

Effectivement, certains paiements ont été effectués avec retard en raison de la longueur des mécanismes de remboursement des dépenses des bénéficiaires par la Commission européenne, dépenses que les crédits nationaux ne peuvent pas toujours prendre à leur charge par anticipation. En ce qui concerne les projets visés dans le courrier, mes services ont entrepris des démarches pour anticiper le versement des soldes sur crédits nationaux dans les prochaines semaines. Les versements du FAMI 2014-2020 seront beaucoup plus rapides et en partie refinancés sur crédits nationaux. La France est d'ailleurs l'un des quatre pays à avoir versé du FAMI dès 2014 et sera le seul pays à adresser à la Commission européenne une demande de remboursement en 2015.

Il est également vrai que le FER n'est pas l'instrument le plus adapté au financement de projets d'accueil des mineurs isolés, car il ne doit s'adresser qu'aux demandeurs d'asile ou aux bénéficiaires d'une protection internationale. L'interprétation parfois dure de ce critère par la Commission européenne a conduit à exclure certaines dépenses, mais non pas l'intégralité des financements.

Je souhaite faire un point précis sur la création des places en CADA, parce qu'une grande partie de la réussite de ce que nous voulons faire pour assurer la dignité de l'accueil des demandeurs d'asile – y compris à Calais – repose sur notre capacité à leur réserver le meilleur accueil, compte tenu du programme de relocalisation et de réinstallation, et suppose donc de créer des places en nombre suffisant en CADA.

Le développement du nombre de places en centre d'accueil pour demandeurs d'asile constitue donc un objectif prioritaire pour nous, qui se traduit par des décisions budgétaires très précises. La transformation du parc d'hébergement vise à ce que les CADA représentent près de 70 % des places d'hébergement pour demandeurs d'asile. C'est pourquoi, en plus de la création de 5 000 places d'ores et déjà décidée et budgétée en 2015, 3 500 places supplémentaires seront également créées d'ici à la fin de l'année 2016, et 2 000 en 2017. En outre, aux créations de places que je viens d'évoquer s'ajouteront celles qui permettront la mise en place du programme européen de relocalisation, c'est-à-dire 5 130 places. Ces places seront intégrées au schéma national d'accueil et réservées à la mise en oeuvre du programme de relocalisation. Au total, ce seront donc 17 500 places supplémentaires qui auront été créées depuis 2012, 22 500 en intégrant les places réservées aux demandeurs d'asile relocalisés.

Il s'agit d'un effort sans précédent, de nature à mettre en adéquation l'offre d'hébergement avec la demande, et qui permet à notre pays, suite aux recommandations de la Cour des comptes, de corriger les effets des manquements successifs des gouvernements précédents face à la réalité de la situation de l'asile en termes de places d'hébergement. Ce rattrapage extraordinaire répond à l'incapacité dans laquelle nous avons été, au cours des dix dernières années, de faire face à cette réalité, au prix de l'embolie de notre politique d'asile et de l'abaissement de la réputation européenne de notre pays.

La baisse du prix à la journée par place, à mission et dans des conditions d'accompagnement des demandeurs d'asile équivalentes, est un objectif central. La finalité, là aussi par souci d'efficacité et d'équilibre budgétaire, est de privilégier une convergence tarifaire des établissements, de rationaliser la gestion du programme 303, et de rendre possible la progression du nombre de places par cet effort de gestion. C'est dans ce double contexte que doivent être appréhendés le rôle et les missions des CADA.

En ce qui concerne le plan de relocalisation européen, je voudrais aussi faire un point extrêmement précis, et répondre aux questions qui ont été posées et à certaines allégations très approximatives. Depuis le début de l'année, l'Europe est confrontée à 710 000 arrivées, ce qui, pour certains États de l'Union – l'Allemagne, l'Autriche et plusieurs pays d'Europe centrale –, peut se traduire par 10 000 arrivées par jour.

La France est-elle confrontée à une augmentation massive de la demande d'asile ? Les chiffres montrent que celle-ci a diminué de 2,4 % l'an dernier. Si nos projections sont exactes, elle augmentera de 8 % en 2015, dans un contexte migratoire exceptionnel. Par conséquent, les discours réitérés expliquant que la France est confrontée à une vague migratoire qui met notre système d'asile en péril sont complètement faux, et très hasardeux sur le plan politique, au moment où des organisations politiques instrumentalisent la question migratoire en espérant déchaîner les instincts et les haines. Ces sujets appellent au contraire une réaction républicaine, la plus grande rigueur et la plus grande vérité.

La France a-t-elle pris la mesure de la situation ? A-t-elle été à l'initiative au sein de l'Europe ? Certains prétendent que la Chancelière allemande donne le la et que la France suit la cadence. Ils appartiennent pourtant au même parti européen que la Chancelière ! Tantôt ils disent que la politique de la Chancelière est la meilleure qui soit, tantôt qu'elle est critiquable, et ils oublient leur communauté d'appartenance pour mettre en cause le Président de la République, qui la suivrait de trop près. Tout cela, c'est du gloubi-boulga, de la bouillie pour les chats !

En réalité, la France a été, dès le 30 août 2014, la première à formuler des propositions claires concernant les orientations à faire prévaloir au sein de l'Union européenne. Elle préconisait tout d'abord de remplacer l'opération « Mare Nostrum », qui ne permettait plus de sauver autant de vies que par le passé, par un contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union européenne conduit par Frontex, car il n'y a pas d'incompatibilité entre la volonté d'assurer la sécurité de nos frontières et celle d'assurer des sauvetages et d'agir humainement en Méditerranée centrale. Sur ce point, notre pays a obtenu satisfaction.

Nous avons également proposé un mécanisme de répartition des demandeurs d'asile à l'échelle de l'Union européenne. C'est d'ailleurs une proposition que nous avons formulée au début du processus de réflexion européenne, mais que nous n'étions pas seuls à défendre, puisque l'ancien Président de la République, à la fin de son quinquennat, avait proposé à plusieurs reprises la mise en place d'une politique européenne de l'asile permettant la répartition des demandeurs d'asile entre les différents pays de l'Union européenne. Nous l'avons fait.

Par ailleurs, nous avons proposé que des conventions de retour soient signées par les pays européens avec les pays de provenance, notamment le Niger. Un mandat a été donné pour ce faire à la Haute Représentante de l'Union européenne, Mme Mogherini. Et c'est nous, encore, qui avons proposé de mettre en place une liste européenne de pays d'origine sûrs, car le Conseil d'État ayant invalidé la décision de l'OFPRA d'inscrire le Kosovo sur sa liste, nous voulions en finir avec une certaine fragilité juridique.

Ces propositions ont quasiment toutes été reprises par l'Union européenne, après que la France eut offert de les mutualiser avec l'Allemagne pour en faire des propositions franco-allemandes. On ne peut donc dire que notre pays ait fait preuve de suivisme à l'égard de l'Allemagne, bien au contraire. De nombreux articles de presse en attestent, et ces faits sont vérifiables par tous ceux qui, au-delà des outrances et des amalgames, s'intéressent à la vérité.

C'est donc dans un contexte migratoire et de détresse humanitaire, exceptionnel que nous avons accepté, avec les grandes nations européennes, de mettre en place un processus de relocalisation et de réinstallation. Je constate que, si M. Ciotti avait été à ma place, la France aurait été aux côtés de la Hongrie pour refuser la mise en place de ce dispositif de solidarité. Telle n'est pas la politique du Gouvernement, qui entend agir avec responsabilité et humanité, et qui refuse que notre pays rompe avec la tradition d'accueil qui a toujours été la sienne, quelle que soit la sensibilité de ses dirigeants, lesquels, face aux situations de crise humanitaire, ont su exercer leurs prérogatives et leurs responsabilités.

Par ailleurs, pour faire face à cette situation, nous mettons en place un dispositif qui se compose de la loi asile, du projet de loi sur le séjour en cours de discussion, de l'augmentation du nombre de places en CADA, de la hausse du nombre d'officiers de l'OFPRA et de l'OFII, et du personnel dans les préfectures, et du budget que nous vous présentons aujourd'hui.

D'autre part – pour répondre à M. Dufau –, les moyens que nous mobilisons et la loi que nous avons adoptée doivent permettre d'atteindre l'objectif de réduction des délais de traitement des dossiers par l'OFPRA.

La liste des pays d'origine sûrs est actuellement en discussion au sein de l'Union européenne : j'espère que nous aboutirons rapidement à un accord, car nous avons besoin de sécurité juridique.

Quant au mécanisme permanent de relocalisation, il n'est pas envisageable tant qu'il n'y a pas de maîtrise des flux – c'est-à-dire de contrôle effectif des frontières – ni de mise en oeuvre, par l'Union européenne, de l'accord du 22 septembre du Conseil « Justice et affaires intérieures », confirmé par le Conseil européen du 23. Cela requiert préalablement la mise en place des conventions de retour correspondant au mandat de Mme Mogherini, des hotspots sous maîtrise d'ouvrage de la Commission européenne, et le déploiement des moyens de Frontex dans ces hotspots pour assurer la reconduite de ceux qui, migrants économiques irréguliers, n'ont pas vocation à être accueillis au sein de l'Union européenne.

Il ne peut y avoir de mécanisme permanent avant la mise en place de ces dispositifs, car, sans rigueur dans le contrôle des frontières, nous créerions les conditions d'un véritable appel d'air. Si nous voulons bien accueillir en France et en Europe les réfugiés qui ont vocation à l'être, il faut parler clairement et dire que l'accueil des réfugiés dépend de la capacité à reconduire ceux qui ne relèvent pas de ce statut, ce qui requiert la mise en place des hotspots et des conventions de retour. Cela suppose aussi que nous soyons clairs à l'égard de ceux auxquels nous nous adressons en leur disant, comme l'ont fait le Président de la République et le Premier ministre, que nous ne pourrons pas accueillir tous les réfugiés qui sont actuellement dans les camps. Cela suppose aussi que la conférence des donateurs du Haut Commissariat aux réfugiés, qui doit permettre d'augmenter le niveau de l'aide humanitaire dans les camps de réfugiés actuels, se mette en oeuvre de façon rapide.

J'en profite pour faire un point sur la mise en place des hotspots. Des missions de monitoring sont actuellement conduites par la Commission européenne et des représentants du Conseil européen. C'est ainsi que le président du Conseil « Justice et affaires intérieures », Jean Asselborn, et le commissaire Avramopoulos se sont rendus en Grèce et en Italie pour examiner les conditions dans lesquelles ces hotspots sont mis en place. Il faut, pour l'instant, que les choses s'approfondissent. Les dispositifs d'enregistrement sont prévus, mais le dispositif de retour n'est pas en oeuvre pour des raisons qui tiennent au fait que le mandat de la Haute Représentante n'est pas allé à son terme et que les conventions ne sont pas signées. La France pense que, s'il n'y a pas un dispositif de rétention de ceux, dans ces hotspots, dont les empreintes ont été prises et qui ont été inscrits sur la liste Eurodac, il n'y aura pas de possibilité de procéder à la relocalisation à partir des hotspots. C'est tout le mécanisme européen qui s'en trouvera obéré. Il est donc indispensable que conventions de retour, rétention et relocalisation fonctionnent ensemble si l'on veut avoir un dispositif à la hauteur de nos objectifs.

La conférence de La Valette doit permettre que cinq priorités de la France et de certains États de l'Union européenne aboutissent : renforcer l'accueil des réfugiés, la protection internationale, l'asile – par le renforcement des capacités des pays d'accueil des réfugiés ; répondre aux causes des migrations économiques, notamment par la mise en oeuvre de projets concrets ayant un impact sur le développement local ; lutter contre les réseaux de passeurs, c'est fondamental et la France y est très engagée, obtenant des résultats très significatifs ; mettre en oeuvre une politique de retour et de réadmission ; et dialoguer sur les modalités des migrations légales, en soulignant qu'il s'agit là d'un sujet central si nous voulons maîtriser la politique migratoire.

Le laissez-passer européen permet la reconduite d'un ressortissant étranger en situation irrégulière vers un pays d'origine. Contrairement au laissez-passer consulaire délivré par les autorités diplomatiques étrangères en France, il est établi par le pays qui procède au renvoi du ressortissant étranger. C'est le Conseil de l'Union européenne, suivant une recommandation de novembre 1994, qui, sur la base du constat des difficultés rencontrées par une majorité d'États membres pour l'éloignement de ressortissants de pays tiers sans documents de voyage, en a préconisé l'utilisation. En France, les laissez-passer européens ont été utilisés à plusieurs reprises avec succès à destination d'un certain nombre de pays : l'Albanie, l'Azerbaïdjan, le Cap-Vert, les Comores, la Côte d'Ivoire. Nous souhaitons, au niveau européen, favoriser l'utilisation et l'acceptation de ce document par les principaux pays d'origine et de transit des migrants irréguliers.

En réponse aux questions de M. Mennucci, j'ai indiqué que nous n'étions pas favorables à l'abandon des principes du règlement Dublin III – ce qui aboutirait à la mise en place d'un mécanisme européen permanent de relocalisation –, tant que nous ne serons pas capables de maîtriser parfaitement les flux. Et j'ai indiqué quelles étaient les conditions de maîtrise de ces flux. Ce n'est pas que l'objectif ne puisse être atteint à terme, ni qu'il ne soit pas pertinent au regard de ce que seraient une politique européenne de l'asile et une politique migratoire intégrée, qui reposeraient à la fois sur l'accueil et la maîtrise. Mais il faut avoir la garantie que la maîtrise soit là pour créer les conditions de l'accueil par la mobilisation du mécanisme permanent. Ce n'est pas le cas pour l'instant, et nous sommes donc extrêmement prudents sur cette perspective, même si elle peut constituer un objectif politique à atteindre.

Je voudrais également faire un point sur les retours, sur notre politique d'éloignement contraint et sur les moyens que nous mobilisons pour la mettre en oeuvre.

Permettez-moi d'abord de revenir sur le rapport de la Cour des comptes, utilisé avec une malhonnêteté intellectuelle flagrante par ceux qui l'exploitent pour qualifier la politique de l'actuel gouvernement, alors qu'il est un réquisitoire sans appel contre la politique du gouvernement précédent. Tout ce qu'il dit sur les conditions d'accueil, sur les délais de traitement et sur le coût de l'asile correspond à la situation antérieure aux décisions budgétaires et législatives que nous avons prises pour remettre à flot la politique de l'asile et de l'accueil.

La Cour des comptes donne un chiffre qui correspond au nombre de personnes reconduites à la frontière après que la procédure a échoué, nonobstant les possibilités d'accès à d'autres titres de séjour pour ceux qui se sont vus refuser l'asile. Si nous ajoutons au chiffre de ces retours bruts – retenu par la Cour des comptes – ceux qui accèdent au séjour en France par d'autres voies, et si nous tenons compte des retours volontaires de ceux qui partent d'eux-mêmes après avoir été déboutés, nous obtenons une proportion de 20 à 25 % des déboutés du droit d'asile. Ce n'est pas le Gouvernement qui le dit, mais M. Karoutchi, qui s'est exprimé sur ce point au Sénat – je vous renvoie au compte rendu.

Allons plus loin dans le raisonnement : ce chiffre est-il suffisant au regard de la volonté du Gouvernement de rehausser le niveau de la politique de l'asile ? La réponse est non. J'ai toujours eu, à cet égard, une position très claire, qui contraste avec la politique du gouvernement précédent : ceux qui sont déboutés du droit d'asile doivent pouvoir être reconduits de façon plus volontariste dans leur pays d'origine. En disant cela, je sais que je peux susciter des interrogations dans un certain nombre d'associations, d'organisations ou de partis politiques, mais c'est la position que nous défendons, parce que la soutenabilité de la politique de l'asile en dépend.

Le niveau le plus bas de reconduites forcées à la frontière de déboutés du droit d'asile ou de migrants en situation économique irrégulière a été atteint en 2011 : 12 000. Nous sommes, en 2015, à 17 000. Ainsi, nous reconduisons beaucoup plus ceux qui sont déboutés du droit d'asile ou en situation irrégulière que ne le faisaient ceux qui nous donnent aujourd'hui des leçons en oubliant les statistiques. Celles-ci, qui sont incontestables, figurent dans les documents du ministère de l'intérieur, et, au terme de l'examen du texte sur l'asile, M. Larrivé a reconnu leur exactitude – le compte rendu en témoigne.

Une polémique est née, par ailleurs, à propos de l'utilisation d'un avion pour la reconduite à la frontière de migrants en situation irrégulière. Ceux qui nous reprochent d'utiliser des moyens d'éloignement sont ceux-là mêmes qui, trois semaines plus tôt, nous reprochaient de ne pas éloigner. Nous utilisons en effet des moyens d'éloignement, parce que nous éloignons. Mais, cet argument ayant des limites, on nous a ensuite reproché de recourir à des moyens d'éloignement coûteux ; et, dans une opération de manipulation assez malhonnête, on a laissé penser que le Gouvernement avait loué des jets privés pour procéder à la reconduite des migrants. Rien n'est plus faux. Les avions ont été loués par le ministère de l'intérieur dans le cadre d'un marché passé en 2006. À l'époque, je n'ai entendu ni M. Ciotti ni aucun organe de presse s'en émouvoir. Le marché, constamment renouvelé depuis, ne nous fait pas utiliser des jets privés, mais un avion Beechcraft.

Monsieur Ciotti, vous indiquez que les migrants ne sont pas reconduits à la frontière, mais vont de centre de rétention administrative en centre de rétention administrative. Examinons des chiffres précis, pour dissiper toute ambiguïté. En 2012, lorsque vous étiez aux responsabilités, il y a eu 108 vols ; en 2013, 121 ; et en 2014, 131. Sur ces 131 vols, 9 se sont déroulés de CRA en CRA. En 2015, il y en a davantage, pour une raison très simple que vous avez vous-même pointée : à Calais coexistent des migrants irréguliers et des personnes qui relèvent du statut de réfugié ; il nous faut éloigner ceux qui sont en situation irrégulière. Lorsqu'ils sont interpellés et qu'ils doivent être éloignés, nous les plaçons au CRA de Coquelles : vous conviendrez avec moi qu'il n'est pas besoin d'un avion pour aller de Calais à Coquelles… Quand le CRA de Coquelles est saturé, nous dirigeons ces migrants en situation irrégulière vers d'autres CRA, dans l'attente de l'éloignement vers leur pays d'origine après épuisement des voies de recours prévues par le droit, car la rétention permet aux défenseurs des personnes placées en rétention de mobiliser toutes les possibilités de recours existantes.

Ainsi, après des chiffres faux et une interprétation frelatée du rapport de la Cour des comptes, cette polémique sur les avions est un pur montage. L'avion existe depuis longtemps et reconduit un nombre de migrants assez comparable année après année. Le coût de l'avion était de 1,7 million en 2012 quand vous étiez au pouvoir, de 1,6 million en 2013 et de 2,3 millions en 2014, le nombre de migrants ayant augmenté. Cela correspond à un coût par étranger en situation irrégulière de 4 498 euros en 2012 ; de 3 195 en 2013 et de 4 100 euros en 2014, ce qui est donc moins cher qu'à l'époque où vous étiez aux responsabilités.

Je vous communiquerai tous ces éléments, mais cela ne vous empêchera pas de continuer à alimenter des polémiques, car la vérité n'a jamais empêché quiconque de faire des polémiques si son goût pour la polémique est plus fort que son exigence de vérité.

Je poursuis sur le coût des 30 700 réfugiés. Vous avez donné un chiffre, monsieur Ciotti, dont j'aimerai que vous retraciez la genèse. D'où vient-il ? Sur quels éléments est-il fondé ? Pourriez-vous m'indiquer quels sont les éléments objectifs, rationnels, précis, à partir desquels vous l'établissez ?

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