Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 6 octobre 2015 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'état chargé des Anciens combattants et de la Mémoire :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je me réjouis que nous puissions échanger sur ces sujets qui nous préoccupent tous, puisqu'ils sont ceux de la juste reconnaissance et de la réparation à l'égard des anciens combattants et victimes de guerre.

Je connais les attentes des associations et j'ai engagé avec elles, dès mon arrivée, un dialogue régulier et confiant. J'étais la semaine dernière, au lendemain de la présentation du projet de loi de finances pour 2016 en conseil des ministres, face aux membres du G12 « anciens combattants » pour leur exposer les grandes lignes budgétaires. Naturellement, je connais aussi vos attentes : j'ai été moi-même parlementaire et je sais quelles peuvent être les revendications des associations dans les territoires, mais aussi quels sont les enjeux de la politique de mémoire dans nos régions.

Le projet de budget que je suis venu vous présenter est le résultat de choix politiques, mais aussi budgétaires. Des choix assumés, et qui constituent le résultat de plusieurs mois de réflexion et de travail avec l'ensemble des associations ayant participé aux groupes de travail que j'ai maintenus – pour ceux mis en place par mon prédécesseur, Kader Arif – ou mis en place à mon entrée en fonction. Ce travail de concertation est pour moi une priorité. Je tiens à maintenir un dialogue constructif avec l'ensemble des associations d'anciens combattants, de harkis et rapatriés et des soldats de retour d'OPEX.

C'est un budget ambitieux que je suis venu vous présenter. Le ministre des Finances et des comptes publics et le secrétaire d'État chargé du budget ont exposé mercredi dernier les lignes directrices du projet de loi de finances pour 2016 en conseil des ministres, et présenté les différentes priorités de ce budget qui poursuit les efforts de réduction du déficit public engagés depuis 2013.

En ce qui concerne les programmes de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » relevant de ma responsabilité, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit un budget total à hauteur de 2,51 milliards d'euros, soit une diminution de 4,9 % par rapport à 2015, strictement liée à la baisse naturelle du nombre de bénéficiaires.

Non seulement ce budget préserve et consolide intégralement les droits des anciens combattants en maintenant l'ensemble des dispositifs budgétaires et fiscaux, mais il va au-delà. Dès mon entrée en fonction il y a près d'un an, j'ai pris des engagements face aux parlementaires, dans le cadre de l'examen du budget au Sénat – mon prédécesseur l'ayant pour sa part présenté à l'Assemblée nationale. J'ai alors indiqué vouloir concentrer mon action sur les anciens combattants eux-mêmes, ainsi que sur les ressortissants de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) les plus démunis.

Aujourd'hui, notre projet témoigne que ces engagements sont tenus. Le PLF 2016 intègre ainsi quatre mesures nouvelles qui sont destinées à consolider le droit à réparation, dans un souci de justice sociale et d'équité.

La première mesure consiste en l'extension du bénéfice de la campagne double pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, militaires d'active et appelés du contingent, agents de la fonction publique et assimilés, dont les droits à pension ont été liquidés avant 1999. Environ 5 500 personnes pourront bénéficier de cette mesure d'équité, qui était une revendication très ancienne des associations, à laquelle il était temps de répondre – ses modalités ont été discutées dans le cadre d'un groupe de travail auquel elles ont participé. Je connais particulièrement bien le sujet, puisque j'ai eu l'honneur d'être le chef de cabinet du secrétaire d'État chargé des anciens combattants, Jean-Pierre Masseret, qui a fait voter en 1999 la proposition de loi ayant pour objet de substituer l'expression « guerre d'Algérie » à celles qui prévalaient auparavant – notamment celle d'« événements d'Algérie ».

J'ai également tenu à ce qu'un effort financier conséquent soit fait en faveur des plus démunis. C'est ainsi que la politique sociale de l'ONACVG se trouve renforcée : deux millions d'euros supplémentaires y sont consacrés, ce qui représente une augmentation de 26 % depuis 2012. Cet effort financier accompagne la refonte totale de la politique d'action sociale de l'ONACVG, adoptée par le conseil d'administration de l'Office le 27 mars dernier, et qui vise à améliorer dans un cadre légal la situation des plus démunis, des plus fragiles et des plus isolés.

Cette augmentation permettra notamment de mettre en oeuvre un dispositif élargi adapté à la situation de chacun, fondé sur des critères de vulnérabilité et non plus au vu des seuls revenus, en substitution du dispositif d'aide différentielle au conjoint survivant (ADCS). C'est en effet la vocation première de l'ONACVG que d'être à l'écoute de l'ensemble de ses ressortissants, de les accueillir, de les informer, de les soutenir financièrement et moralement au quotidien.

La troisième mesure concerne les conjoints et ex-conjoints survivants d'anciens membres des formations supplétives touchés par la forclusion des demandes d'allocations de reconnaissance, qui vont bénéficier d'un nouveau dispositif d'aide. C'est le témoignage de la poursuite des efforts menés pour exprimer la reconnaissance de la Nation à l'égard des harkis et de leurs familles. Notre volonté de reconnaissance et de réparation a trouvé une traduction concrète dans le plan « harkis » annoncé par le Premier ministre il y a un an, dont je présenterai un premier bilan en conseil des ministres demain. Je précise que l'ensemble des dispositifs du plan « harkis » est mis en place au terme de cette première année, et que des pistes d'amélioration de certains dispositifs, notamment pour l'accès au logement et à l'emploi, sont d'ores et déjà identifiées.

Enfin, j'ai tenu à continuer le travail entrepris en faveur des conjoints survivants des grands invalides de guerre, qui se trouvent parfois dans des situations difficiles, appelant des réponses de notre part. C'est pourquoi le dispositif de majoration spéciale prévu à l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG) a été revalorisé dans le cadre de la loi de finances initiale 2015 de cinquante points au 1er janvier dernier, puis de cinquante points supplémentaires au 1er janvier prochain, ce qui représente une augmentation totale de 116 euros nets par mois – près d'un SMIC mensuel par an.

Au terme de l'examen budgétaire du PLF 2015, soucieux, là encore, d'employer la méthode de la concertation, j'ai souhaité maintenir le groupe de travail mis en place quelques mois auparavant, autour duquel une véritable dynamique s'était créée. Ce groupe s'est réuni en mai dernier afin d'identifier les mesures les plus favorables et d'étudier les possibilités de renforcement de la politique de réparation vis-à-vis des conjoints de grands invalides.

Aujourd'hui, le PLF 2016 prévoit d'élargir au plus grand nombre de bénéficiaires cette majoration spéciale, qui vient compenser la perte de revenu du conjoint survivant ayant abandonné ou réduit son activité professionnelle en raison des soins prodigués à son conjoint grand invalide avant son décès. La majoration sera appliquée désormais progressivement dès cinq ans de soins, avec un lissage de l'effet de seuil, contre dix ans depuis la LFI 2015 et quinze ans auparavant. Cette mesure devrait toucher jusqu'à 40 % des veuves des plus grands invalides de guerre selon nos estimations. Je sais que certains auraient souhaité voir privilégier une autre approche, mais c'était pour moi une priorité de pouvoir faire profiter de ce dispositif un plus grand nombre de bénéficiaires pour une plus grande justice, dans un contexte budgétaire contraint. C'est une mesure forte, signe de notre volonté de reconnaissance et de réparation à l'égard de cette population.

Pour ce qui est du monde combattant, je voudrais dire un mot de la nouvelle génération. Permettez-moi, quelques jours après la remise des premières croix du combattant aux côtés du ministre de la Défense, au titre des 120 jours de présence sur un théâtre d'opérations extérieures, d'avoir une pensée pour tous nos soldats engagés aujourd'hui en Afrique et au Moyen-Orient. Ils portent haut les couleurs de la France, veillent sur la sécurité de nos concitoyens et honorent l'héritage de nos anciens combattants. Dans chacun de vos départements, selon les termes de la circulaire que j'ai adressée aux préfets, une cérémonie est organisée pour la remise de ces cartes du combattant. Vous le savez, la généralisation du critère des 120 jours, décidée en loi de finances 2015, est financée dans ce budget pour 2016. Cette mesure devrait bénéficier à terme à près de 150 000 personnes.

Nos combattants d'aujourd'hui méritent une reconnaissance au même titre que les combattants d'hier. Ils doivent pouvoir également bénéficier des structures d'aide, d'accueil et d'accompagnement du monde combattant. Cela me conduit à évoquer le maintien des structures d'aide et d'accueil, à commencer par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, dont le centenaire en 2016 est l'occasion de rappeler son importance, notamment en termes de maillage territorial.

Les services départementaux sont un relais indispensable dans nos territoires de la politique de reconnaissance et de réparation, mais aussi de la politique de mémoire. Le contrat d'objectifs et de performances (COP) signé en 2015 traduit ma volonté de renforcer ce maillage. Par ailleurs, ce COP permet d'accompagner l'Office dans l'élargissement de ses compétences. Je pense bien sûr à l'accueil des nouveaux publics : aux harkis et rapatriés, dont il est devenu le guichet unique – en témoigne l'implication forte des services départementaux dans la mise en place du plan « harkis » –, mais aussi aux soldats d'aujourd'hui, bénéficiaires depuis peu de la carte du combattant.

L'Institution nationale des Invalides (INI) est également un sujet qui préoccupe beaucoup les anciens combattants, je le sais. C'est pourquoi j'en ai fait un dossier prioritaire dès mon arrivée au ministère. J'ai reçu le 25 novembre les partenaires sociaux, puis rencontré la gouvernance de l'INI, le directeur du service de santé des armées et les personnels sur site au mois de décembre – et j'ai encore reçu le général Plotton, directeur de l'INI, ce matin même. L'INI est une institution de référence, dont l'avenir doit être garanti. Je m'y emploie avec force, et je soutiens un projet de pérennisation de l'institution, afin qu'elle s'inscrive en complémentarité avec les autres structures du parcours de soins, et continue d'offrir des prestations de grande qualité aux anciens combattants, pensionnaires et blessés en opérations.

Enfin, nous avons décidé de consolider la politique de mémoire ambitieuse initiée ces dernières années par la rencontre exceptionnelle de deux cycles commémoratifs, afin de faire face aux défis de l'année mémorielle 2016 et de l'enjeu de transmission. Les crédits alloués à la politique de mémoire sont globalement stabilisés à 22,2 millions d'euros. L'année 2016 promet d'être une grande année commémorative, notamment avec le centenaire des batailles de Verdun et de la Somme. J'ai mis en place, dès la fin de l'année 2014, deux comités de pilotage afin de préparer ces commémorations en associant l'ensemble des partenaires locaux et étrangers – je pense aux pays ayant participé à ces batailles. Je me suis rendu la semaine dernière à Londres, afin de m'entretenir avec le ministre de la Culture britannique, dont les services oeuvrent depuis plusieurs mois, en étroite collaboration avec la Mission du centenaire, à la préparation des commémorations de la bataille de la Somme qui vont avoir lieu le 1er juillet, mais aussi tout au long de l'année 2016.

J'ai aussi rencontré à cette occasion les acteurs britanniques du tourisme, comme j'avais rencontré quelques jours auparavant les professionnels allemands à Verdun. Je souhaite en effet faire du développement du tourisme de mémoire – dont l'enveloppe budgétaire est consolidée à 1,65 million d'euros – un axe fort de ma politique de mémoire. De ce point de vue, il est à noter que la fréquentation des principaux lieux de mémoire a augmenté de presque 50 %. À l'heure où les témoins de la Grande Guerre ont disparu et où ceux de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement mis à l'honneur dans toute la France en 2015, notamment à travers la remise des légions d'honneur le 8 mai dernier, disparaissent à leur tour, le ministère de la Défense se doit s'inscrire dans la postérité, donc dans la pierre, le souvenir de l'engagement de ces femmes et de ces hommes. Les lieux de mémoire, qui font vivre l'histoire de France dans toutes nos régions, sont autant de lieux d'apprentissage et d'éveil à la citoyenneté. Une enquête Ipsos réalisée en septembre 2014 dans trente et un pays révèle que 38 % des 16-29 ans estiment que la visite des lieux de mémoire est le meilleur moyen de transmettre l'histoire.

Une enveloppe de 10,64 millions d'euros est prévue en 2016 pour l'entretien, la rénovation et la valorisation culturelle et touristique des nécropoles nationales et des hauts lieux de la mémoire nationale. Depuis près d'un an, je me déplace sur ces lieux de mémoire. J'étais encore le mois dernier au mémorial du Mont-Faron à Toulon, un an après l'annonce de sa refonte par le Président de la République ; au Hartmannswillerkopf pour inaugurer un chantier de jeunes apprentis franco-allemands ; ou encore à Navarin pour le centenaire de la deuxième bataille de Champagne. Ce matin même, je me suis rendu à Bobigny pour soutenir le projet d'aménagement de l'ancienne gare de déportation, d'où 22 400 juifs de France ont été conduits à Auschwitz.

Partout, j'ai rencontré et échangé avec des jeunes qui se nourrissent de ces lieux. Des lieux qui valent plus que certains discours et certains manuels d'histoire, et qui continuent de nous parler quand tous les témoins se sont tus. C'est pourquoi, au-delà d'une volonté personnelle de faire vivre notre histoire et nos mémoires sur l'ensemble du territoire, c'est, pour le ministre que je suis, une responsabilité importante que celle consistant à préserver ces lieux. Responsabilité face à notre patrimoine de pierre, celui de la France. Responsabilité aussi face aux jeunes générations, qui doivent affronter l'histoire pour aborder l'avenir avec l'esprit de résistance dont aucune société ne saurait se passer. Autour de cette mémoire de pierre doit se nouer un véritable maillage social et intergénérationnel. Les moments d'échanges et de partage sont un vecteur essentiel du lien armée-nation et de l'esprit de défense auprès des plus jeunes.

Ce lien se renforce aussi autour de la journée défense et citoyenneté (JDC), qui accueillera près de 800 000 jeunes en 2016. Avec près de 225 000 fiches de liaison transmises aux armées, l'attrait des jeunes pour les métiers de la défense est à la hausse depuis la mise en place d'une JDC rénovée, c'est-à-dire recentrée sur le volet défense et les différentes formes d'engagement et engagée dans la révolution numérique. Elle doit être l'occasion de développer auprès des jeunes, encore à l'aube de leur citoyenneté, une véritable culture de défense.

Telles sont les grandes lignes de ce budget. Elles traduisent financièrement l'ensemble des priorités que je me suis fixé, à savoir consolider les droits des anciens combattants et victimes de guerre, dans un souci de justice sociale et d'équité ; concentrer mon action sur les anciens combattants eux-mêmes et sur les ressortissants de l'ONACVG les plus démunis ; travailler de concert avec les représentants des associations ; enfin, maintenir une politique de mémoire volontariste et ambitieuse.

Elles traduisent aussi des engagements pris devant vous et devant le monde combattant dès mon entrée en fonction. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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