Intervention de Françoise Descamps-Crosnier

Réunion du 1er octobre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Descamps-Crosnier, rapporteure :

Monsieur le Président, madame la ministre, mes chers collègues, je n'ai pas besoin, après la présentation de Mme la ministre, de revenir en détail sur le contenu du projet de loi. Je préfère concentrer mon propos sur quelques considérations générales, avant de poser plusieurs questions précises.

Auparavant, une remarque sur la procédure : il était temps que ce projet de loi soit inscrit à l'ordre du jour !

D'abord parce que c'est le premier texte de la législature – et peut-être le dernier – portant sur la fonction publique.

Ensuite parce que ce projet de loi a été déposé en juillet 2013, c'est-à-dire il y a plus de deux ans, à un moment où les lois sur la transparence de la vie publique n'étaient pas encore définitivement adoptées. Depuis lors, la rapporteure que je suis a procédé à de nombreuses auditions et consultations, mais sans que la discussion parlementaire puisse s'engager sur ce texte.

Enfin, parce que de nombreuses contributions au débat national sur la fonction publique, ces dernières années, ont malheureusement eu tendance à adopter un parti pris qui n'a pas permis un débat honnête et serein. Les fonctionnaires ont été dépeints trop souvent d'une manière qui ne reflète en rien la qualité de notre fonction publique, ni le dévouement au service de l'intérêt général des femmes et des hommes qui la composent. Il y a lieu de moderniser le statut dont nous avons fêté les trente ans en 2013, et dont les dernières réformes ont écorné la conception traditionnelle que la France se fait de sa fonction publique. Nous engageons ce travail et je souhaite, comme le Gouvernement, qu'il se fasse dans l'honnêteté intellectuelle et la sincérité.

Je me réjouis donc que nous abordions enfin la discussion de ce projet de loi, même si son inscription à l'ordre du jour s'est faite au prix d'une réduction de son volume, la lettre rectificative du 17 juin 2015 s'accompagnant de nombreux renvois à des ordonnances. Il faut que le Parlement exerce sa compétence dans toute sa plénitude, et le choix opéré par le Gouvernement d'une très large habilitation me paraît discutable. Pour cette raison, je vous proposerai tout à l'heure des amendements visant à réintégrer, dans une version actualisée, la majeure partie des dispositions figurant dans la version initiale du projet de loi et à supprimer les renvois correspondants aux ordonnances. Il s'agit de dispositions relatives, d'une part, à la déontologie des juridictions administratives et financières et, d'autre part, à diverses règles statutaires concernant les membres de ces mêmes juridictions ainsi qu'à la mobilité des fonctionnaires de manière générale.

Sur le fond, la philosophie générale de ce texte est connue : il s'agit de rénover les conditions de l'action publique, en modernisant le statut général des fonctionnaires.

Un important volet du texte est consacré à la réaffirmation des exigences déontologiques incombant aux fonctionnaires. Contrairement à certaines présentations, cette question n'a rien d'inédite : tout agent public doit, au quotidien, faire face à des obligations spécifiques, inhérentes à l'exercice de fonctions au nom de l'intérêt général et au service des usagers. Le projet de loi en prend acte, en introduisant explicitement dans le statut général une série d'outils qui permettront de consolider et de développer la culture déontologique au sein de la fonction publique : énumération des obligations des agents publics, prévention et traitement des conflits d'intérêts, instauration de référents déontologues, protection des lanceurs d'alerte, mise en place de déclarations d'intérêts et de déclarations de situation patrimoniale, redéfinition des possibilités de cumul d'activités, renforcement du contrôle du « pantouflage » dans le secteur privé, etc.

Il s'agit aussi – je veux ici le dire très clairement – de réaffirmer à l'intention des citoyens français, des usagers du service public, la qualité de notre fonction publique et l'exigence de son cadre d'action. C'est particulièrement important dans un contexte de très forte évolution des organisations et d'attentes toujours plus grandes de nos concitoyens vis-à-vis des services publics.

S'agissant de la déontologie, je souhaiterais vous interroger, madame la ministre, sur plusieurs points.

La définition du périmètre des agents qui seront tenus de déclarer leurs intérêts et leur patrimoine est renvoyée à des décrets en Conseil d'État. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point et sur le choix qui consiste, je crois, à retenir un périmètre plus large pour les déclarations d'intérêts et un champ plus restreint pour les déclarations de patrimoine ? Quels seront respectivement les agents concernés ?

La répartition des compétences entre la commission de déontologie de la fonction publique (CDFP) et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) soulève plusieurs interrogations. Le choix de confier à la Haute Autorité l'ensemble des déclarations de patrimoine va dans le bon sens, même s'il ne s'accompagne pas de moyens de contrôle suffisants : je vous proposerai des amendements visant à y remédier. Le projet de loi organise un nouveau système qui a pour ambition d'assurer une diffusion aussi large que possible de la culture déontologique dans nos administrations. La prévention des conflits d'intérêts est au coeur de cette approche. La commission de déontologie se voit confier un rôle beaucoup plus important qu'aujourd'hui : elle devient l'institution de référence en matière de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts, notamment grâce à de nouvelles missions, dont l'examen des déclarations d'intérêts. Disposera-t-elle bien des moyens nécessaires pour prendre toute la mesure de cette dernière mission ?

À défaut de parvenir à une répartition totalement satisfaisante des compétences, laquelle ne pourrait être atteinte qu'au prix d'une fusion des deux organes de contrôle, il me semble indispensable que la commission de déontologie et la Haute Autorité puissent collaborer étroitement. Je vous proposerai un amendement en ce sens, afin de leur permettre d'échanger des informations en les déliant mutuellement du secret professionnel. Qu'en pensez-vous ?

Une innovation importante apportée par la lettre rectificative de juin dernier est l'instauration de référents déontologues. Par ce biais, c'est un véritable droit au conseil déontologique qui est créé pour les agents. Les référents seront, en raison de leur rôle de conseil de proximité, au coeur même de l'ambition de diffusion de la culture déontologique. Le cadre juridique proposé par le Gouvernement en ce qui les concerne est très ouvert : comment envisagez-vous leur fonctionnement ?

Dernière question sur la déontologie : le resserrement des possibilités de cumul d'activités suscite certaines inquiétudes, aussi bien chez les agents eux-mêmes que chez ceux qui réfléchissent aux évolutions de la fonction publique. Pour ma part, je regrette que nous ne disposions que de très peu de chiffres en la matière ; ils permettraient un examen objectif et donc plus serein de la situation. Pour ne citer que quelques exemples : combien de fonctionnaires sont devenus auto-entrepreneurs ces dernières années ? Les tendances récentes sont-elles à la hausse ou à la baisse ? Combien d'agents, dans les trois fonctions publiques, exercent des activités à titre accessoire ? Y a-t-il eu beaucoup de pratiques abusives ces dernières années, comme le suggère – mais sans réellement l'étayer – l'étude d'impact du projet de loi ? Il m'apparaît essentiel, tout en approuvant les principes que vous nous proposez d'adopter, madame la ministre, de nous assurer que nous ne déstabilisons pas, sans le vouloir, le cadre juridique qui accompagne des pratiques tout à fait acceptables du point de vue de la déontologie, notamment en ce qui concerne les catégories d'agents les plus modestes. C'est le souci qui animera, je le sais, certains membres de cette commission.

Toutefois la déontologie est loin d'être le seul objet du projet de loi, qui a une portée bien plus large : le texte propose plusieurs avancées statutaires importantes que je tiens à souligner.

C'est le cas de l'amélioration de la situation des agents non titulaires, notamment par le meilleur encadrement du recours au contrat et par une meilleure prise en compte de leur ancienneté. C'est le cas aussi grâce à l'extension de la protection fonctionnelle des agents et de leurs familles. Ce texte instaure aussi des mesures concrètes d'amélioration des garanties des agents en matière disciplinaire, avec l'instauration d'un délai de prescription alors que l'imprescriptibilité de l'action disciplinaire était jusqu'à présent la règle.

Ce texte réforme en outre le Conseil commun de la fonction publique.

Sans doute s'enrichira-t-il d'autres dispositions au cours de nos débats pour tenir compte des discussions et des négociations entre les employeurs publics et les organisations syndicales représentant les fonctionnaires.

Je souhaite vous soumettre plusieurs questions relatives aux droits et obligations des fonctionnaires.

S'agissant de la protection fonctionnelle, sait-on si son coût est constant, en augmentation ou en diminution ? La protection fonctionnelle étendue aux ayants droit est déjà la norme pour certaines catégories de fonctionnaires : est-elle très utilisée ?

S'agissant de la prescription disciplinaire, je vous proposerai un amendement permettant de préciser le délai à compter duquel la prescription commence à courir. Il me semble que la date à laquelle l'administration établit la matérialité des faits passibles de sanction est plus précise et plus protectrice pour les parties, car elle incite l'administration à établir la matérialité des faits avant d'engager une procédure disciplinaire. Par ailleurs, elle ne présuppose pas de mener systématiquement une enquête administrative quand les faits passibles de sanction sont avérés. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant des sanctions disciplinaires : vous savez que de nombreuses collectivités territoriales sont attachées à la classification au sein des sanctions du premier groupe de l'exclusion temporaire pour une durée maximale de trois jours. Pourriez-vous nous indiquer les raisons qui ont fondé votre choix d'harmoniser les échelles de sanctions entre la fonction publique de l'État et la fonction publique hospitalière, plutôt qu'avec la fonction publique territoriale ?

Mes chers collègues, à travers ce projet de loi, nous allons essentiellement parler de l'action publique et de l'idée que nous nous en faisons. Ce texte important a pour ambition de contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans la puissance publique. Loin de se limiter aux fonctionnaires et au seul champ de la fonction publique, il porte un enjeu essentiel : la crédibilité de l'action publique et donc de la République. C'est encore une belle mission qui attend notre commission aujourd'hui.

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