Intervention de Michel Destot

Réunion du 16 septembre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Destot :

Merci de nous avoir invités à vous présenter les conclusions de cette mission, qui nous a été confiée par le Premier ministre, en effet, et que nous avons conduite en lien étroit avec les secrétaires d'État respectivement chargés des transports et du budget, mais aussi des affaires européennes, ainsi qu'avec les élus italiens, français et européens, tant nationaux que territoriaux, et avec la Commission européenne, sans oublier les représentants des acteurs de terrain que sont les transporteurs et les usagers.

Le projet majeur qui nous occupe, poursuivi sous quatre présidences de la République – celles de François Mitterrand, de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et aujourd'hui de François Hollande –, a franchi cette année une étape décisive. Le sommet franco-italien de février a permis d'engager la réalisation de la première étape du tunnel transfrontalier de 57 kilomètres entre Saint-Jean-de-Maurienne, en France, et Suse, en Italie, parallèlement à la création d'un promoteur franco-italien, la société TELT (Tunnel euralpin Lyon-Turin) ; puis, en juillet, au moment même où nous remettions notre rapport au Premier ministre, l'Union européenne s'engageait à financer le projet à hauteur de 40 %, et pour près d'un milliard d'euros s'agissant de la première tranche 2016-2020.

Rappelons que nous parlons non de la ligne complète, mais de sa section transfrontalière longue de 57 kilomètres, sachant que des raccordements à la ligne existante sont possibles dès l'ouverture de cette section. Le coût du projet a été évalué à 8,5 milliards d'euros, valeur 2010. Plus de 12 kilomètres de tunnels dits techniques – les « descenderies », qui permettent d'approcher la section de base – ont déjà été réalisés, pour 1,5 milliard d'euros, dont 50 % payés par l'Europe, 25 % par l'Italie et 25 % par la France. Le chantier doit durer une douzaine d'années ; il pourrait débuter en 2017 ou 2018, et s'achever à la fin des années 2020.

Ce projet est essentiel pour la France, pour l'Italie et pour l'Europe. Tout d'abord eu égard au report modal – c'est sa visée principale –, et plus précisément au report de la route et de l'air vers le transport ferroviaire des voyageurs comme du fret. L'objectif est de ramener la répartition du trafic de 90 % pour la route et 10 % pour le rail à, respectivement, 45 et 55 %, ce qui représenterait une économie d'émissions de gaz à effet de serre de plus d'un million de tonnes par an : c'est considérable.

C'est aussi un projet majeur du point de vue économique. Rappelons que l'Italie est le deuxième partenaire économique et commercial de la France en Europe et que les échanges annuels entre les deux pays ne représentent pas moins de 70 milliards d'euros. La manière dont le tunnel sous la Manche a stimulé l'économie du Royaume-Uni, mais également du Nord de la France et de la Belgique, est à cet égard éloquente. Nous devons naturellement être attentifs à cet enjeu dans le contexte économique que connaissent actuellement la France et l'Europe.

C'est également l'occasion de conforter, parmi les flux européens, le corridor Séville-Budapest, lequel englobe 18 % de la population de l'Europe et 17 % de son PIB, soit quelque 200 milliards d'euros d'échanges ; et, avec lui, l'Europe du Sud et de l'Ouest – objectif essentiel en matière économique, mais aussi du point de vue stratégique et politique. Le projet s'intègre en outre aux corridors Nord-Sud que sont Londres-Rome, par le tunnel sous la Manche, et Amsterdam-Lyon-Milan.

Il offre enfin une solution ferroviaire à l'évolution des flux transalpins, alors que la croissance des flux routiers dans le Brenner comme sur la côte d'Azur est préoccupante pour l'environnement.

Il existe aujourd'hui neuf tunnels ferroviaires sur l'arc alpin, et trois autres sont en projet ou en cours de réalisation : le Lyon-Turin entre la France et l'Italie, le tunnel du Saint-Gothard, en Suisse, et le Brenner, entre l'Italie et l'Autriche.

Des 8,5 milliards d'euros nécessaires, l'UE s'engage à financer 40 %, l'Italie 35 % et la France 25 %. Cette différence s'explique par le nombre d'accès du côté français, plus élevé que du côté italien : la discussion politique a permis d'aboutir à cette péréquation.

Au terme de notre mission, nous proposons un financement mixte. D'une part, sur crédits publics, au nom de la crédibilité de l'engagement de l'État vis-à-vis de l'Europe comme de l'Italie ; cela implique aussi les collectivités territoriales puisqu'il faudra financer au cours des prochaines décennies non seulement le tunnel transfrontalier de base, mais encore la construction des accès, du côté français comme du côté italien. D'autre part, grâce à l'application de l'Eurovignette, à titre peut-être principal, dans les Alpes du Nord et sur le littoral méditerranéen, pour la région alpine – puisque cette application doit par définition être très précisément délimitée.

Nous préconisons une mise en oeuvre progressive et mesurée de l'augmentation des péages. Celle-ci peut atteindre 25 % aux termes de la directive Eurovignette ; nous proposons d'en rester à 10 % dans les Alpes du Nord et à 15 % sur le littoral méditerranéen, où le montant des péages est plus bas et où le report modal doit être plus fortement encouragé puisque la pollution et l'encombrement y sont supérieurs. Concernant les tunnels alpins du Mont-Blanc et du Fréjus, nous ne proposons pas d'augmentation mais une simple requalification de la hausse déjà appliquée. À cette fin, nous avons élaboré une ingénierie financière sur cinquante ans que M. Michel Bouvard va vous détailler.

Ce que la Suisse, l'Autriche et l'Italie ont fait pour les tunnels du Saint-Gothard, du Lötschberg et du Brenner, on ne comprendrait pas que la France n'en soit pas capable pour le Lyon-Turin. En Suisse, le financement est passé par la création d'un fonds pour les transports publics, alimenté par la redevance poids lourds, la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les hydrocarbures. Mais c'est un pays de montagne, alors que la France est un pays où se trouvent des massifs montagneux ; dès lors, les mécanismes financiers et budgétaires ne sont pas comparables : en Suisse, ils s'appliquent à l'ensemble du territoire tandis qu'en France, faute d'avoir adopté l'écotaxe au niveau national, il faut se tourner vers un dispositif régional, ce que permet précisément l'Eurovignette. Quant au tunnel du Brenner entre l'Italie et l'Autriche, de longueur comparable à celle du Saint-Gothard, il est financé du côté autrichien par une majoration au titre de l'Eurovignette, comparable à celle que nous proposons, et, du côté italien, par un apport budgétaire adossé à des ressources autoroutières – à l'instar, d'ailleurs, de la partie italienne du Lyon-Turin.

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