Intervention de Michel Sapin

Réunion du 15 juillet 2015 à 12h15
Commission des affaires européennes

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, conjointe avec la commission des Affaires étrangères et la commission des Finances :

Je ne répondrai pas aussi précisément que vous pourriez le souhaiter à toutes vos questions, car la réponse à certaines d'entre elles nécessite, pour être crédible et solide, une réflexion plus approfondie. Néanmoins, je m'efforcerai de décrire le plus clairement possible les mécanismes qui permettent d'évaluer les risques et les chances, économiques et politiques, de cet accord.

L'ensemble de la négociation dépendait de la réponse à une première question : ses acteurs souhaitaient-ils que la Grèce reste dans la zone euro ou, pour le dire autrement, estimaient-ils qu'il était dans l'intérêt général et dans l'intérêt de chacun de leurs pays qu'il en soit ainsi ? Cette question était décisive, car il fallait s'accorder sur ce point avant d'examiner les conditions dans lesquelles la Grèce pouvait rester dans la zone euro, conditions liées à la crédibilité dans la durée et aux chances de réussite d'un troisième plan, les deux précédents, sans être des échecs, n'ayant manifestement pas produit tous les résultats escomptés.

L'Allemagne n'a pas été le pays le plus difficile à convaincre. À ce propos, vous ne m'avez pas interrogé sur l'axe franco-allemand, mais j'y reviendrai : rien ne peut se résoudre en Europe en l'absence d'une convergence de ces deux pays. Une convergence n'est pas un alignement ; elle suppose que, d'un côté comme de l'autre, on affirme clairement ses positions – ce qui a été le cas. Ce sont les plus petits pays qui ont été les plus difficiles à convaincre, ceux qui, en raison de leur superficie, de la taille de leur population, de la dureté des réformes qu'ils ont pu mener et parfois de leur niveau de vie, peuvent se comparer à la Grèce. Je rappelle en effet que le SMIC et le niveau des petites pensions de retraite est inférieur dans certains pays de la zone euro à ce qu'ils sont en Grèce, et que les impôts y ont parfois augmenté de manière plus importante. Pourquoi, ont-ils demandé, devrions-nous aider les Grecs à réaliser ce que nous-mêmes sommes parvenus à faire alors que le niveau de vie de nos populations est inférieur à celui des leurs ? Leurs préoccupations étaient compréhensibles.

Si l'on dépasse cette vision individuelle, les choses se résument assez simplement. Quelles auraient été les conséquences d'un « Grexit », c'est-à-dire d'une sortie de la Grèce de la zone euro ? D'aucuns souhaitent – et je suis persuadé que certains d'entre vous sont prêts à défendre cette thèse – que, lorsqu'un pays rencontre des difficultés économiques trop importantes, il sorte de la parité avec la monnaie unique pour voir la valeur de sa monnaie diminuer et retrouver ainsi de la compétitivité. Cette sortie peut être définitive selon les uns, provisoire selon les autres. Mais, je vous le dis, une sortie de la zone euro pour une durée de cinq ans est un leurre : on en sort ou on n'en sort pas !

Quoi qu'il en soit, pour les tenants de cette thèse, c'est grâce à la diminution de la valeur de sa monnaie que la Grèce s'en sortirait. Prenons l'hypothèse, qui a été souvent avancée par des économistes, dans laquelle la nouvelle monnaie vaudrait environ la moitié de la valeur de l'euro. Cela produirait un choc de pauvreté : non seulement le titulaire d'une pension de 600 euros, par exemple, se retrouverait avec un revenu de 300 euros, mais l'inflation serait considérable dans un pays qui importe 80 % de son énergie et de son alimentation. La situation aurait donc été catastrophique pour le peuple, pour les plus faibles des Grecs. C'est du reste parce qu'il voulait les protéger que M. Tsipras a refusé cette hypothèse, et je crois qu'il avait parfaitement raison.

Qu'en serait-il maintenant de ceux que l'on appelle les « créanciers », c'est-à-dire les Européens qui ont fait preuve de solidarité envers la Grèce en lui accordant des aides sous la forme de prêts à des conditions avantageuses ? La Grèce s'étant ainsi endettée auprès des Européens, elle leur doit de l'argent, et elle le leur doit, non pas en drachmes, mais en euros. Dès lors, si l'on passait de l'euro à une drachme dévalorisée de moitié, le poids de la dette, qui est déjà insupportable aujourd'hui, doublerait, passant à 350 % du PIB. Or, quelle serait la première décision que prendrait le Club de Paris en pareil cas ? Il diviserait la dette par deux ! Et, puisqu'elle ne serait toujours pas soutenable, il la diminuerait encore. La sortie de la Grèce de l'euro se traduirait donc par l'annulation pure et simple de plus de la moitié de la dette due aux Européens, notamment à la France. Je suis certain, monsieur le président Carrez, que le contribuable y perdrait. Dans l'autre hypothèse, celle du maintien de la Grèce dans la zone euro, il est possible – c'est en tout cas ce que nous voulons et ce à quoi s'est engagée la Grèce – qu'il n'y perde pas. Mais cela suppose que certaines conditions soient respectées, et ces conditions sont celles qui figurent dans l'accord.

Force est donc de constater, lorsqu'on examine les conséquences pratiques qu'aurait eues un Grexit sur les plus faibles des Grecs et sur les contribuables français, qu'il était dans l'intérêt des uns et des autres que la Grèce reste dans la zone euro.

J'en viens à présent au processus lui-même qu'en dépit de sa complexité, je vais m'efforcer de « décortiquer ». L'étape qui a été franchie, celle de l'accord politique global, est décisive. Cet accord affirme que la Grèce doit rester dans l'euro et fixe les principales conditions qui le lui permettent.

Un premier ensemble de conditions est composé de mesures qui auront un effet sur l'équilibre budgétaire, qu'il s'agisse d'économies – des réformes doivent être réalisées dans le domaine des retraites, sans forcément diminuer les plus petites pensions –, d'augmentations d'impôts – je pense à la TVA – ou de procédures civiles, notamment la garantie de l'indépendance de l'autorité administrative fiscale. Un deuxième ensemble, le plus important, est composé des réformes de structure, qui portent sur le marché des biens, le marché de l'énergie, le marché financier et, surtout, l'administration. Tous les gouvernements précédents se sont en effet engagés à accroître les performances de l'administration, à garantir l'indépendance de l'autorité fiscale, mais aucun ne l'a fait. Le ministre des finances du Gouvernement auquel a succédé celui de M. Tsipras avait même, contre nos recommandations, remplacé le directeur général des finances publiques, sans doute parce que ses décisions ne convenaient pas à tel groupe ami – chacun voit bien à quoi je fais référence. Il faut en finir avec ce mode de fonctionnement, et le gouvernement Tsipras y est décidé.

L'autre volet de l'accord comporte les décisions qui doivent permettre de compenser les mesures pesant sur l'activité économique, qu'il s'agisse d'augmentations d'impôts ou de la diminution de certains revenus. Sont ainsi prévus 35 milliards de nouveaux investissements dans le cadre des crédits existants au sein du budget européen. Je veux parler des fonds structurels qui, pour être versés, doivent être complétés par des crédits nationaux. Or, jusqu'à présent, ceux-ci faisaient défaut en Grèce. Là, la contrepartie existera, de sorte que pourront être débloqués des investissements d'un montant considérable.

M. le président Carrez m'a interrogé sur la situation des banques grecques. Je ne suis pas capable de lui répondre sur ce point – une autorité européenne est chargée d'analyser leur situation. Mais il est probable qu'elles ne valent pas grand-chose aujourd'hui et qu'en l'absence d'une recapitalisation importante dans les semaines qui viennent, elles auront quelques difficultés à jouer à nouveau leur rôle dans l'économie grecque. Cette recapitalisation, évaluée aujourd'hui à hauteur de 25 milliards, redonnera aux banques une valeur, qui se retrouvera d'ailleurs dans le fonds de privatisation – ces banques sont, pour la plupart d'entre elles, publiques.

J'ajoute, mais j'y reviendrai, que, parmi les contreparties incluses dans l'accord politique global figure la question de la dette que, ni politiquement ni économiquement, nous ne pouvions exclure du débat, comme le souhaitaient pourtant de nombreux pays.

La période actuelle est très particulière car, dans les jours qui viennent, les conditions doivent être réunies pour que s'ouvre la négociation. Du côté grec, certaines mesures doivent être adoptées. Je précise que le gouvernement grec les aurait de toute façon soumises au Parlement, car elles sont nécessaires. Du côté des Européens, l'accord doit être approuvé par le Parlement dans les pays dont la Constitution l'impose ; tel est le cas en Allemagne, mais aussi et surtout en Finlande, où le Gouvernement doit, pour débuter les négociations, se voir confier par le Parlement un mandat précis. En France, cette obligation n'est pas constitutionnelle, mais il est bon qu'un débat et un vote soient organisés afin que chacun puisse exprimer librement son opinion. Cette procédure est importante, non seulement pour les Français, mais aussi pour les Grecs et les autres Européens, qui pourront ainsi constater que la position du Gouvernement français est partagée par les assemblées parlementaires.

S'ouvre donc une période très délicate qui doit se clore jeudi ou vendredi. À la fin de la semaine, nous constaterons ensemble que les conditions sont remplies ; pourra alors s'ouvrir la négociation sur le nouveau programme d'aide. Selon la date indicative qui a été donnée par le président de l'Eurogroupe, la négociation doit être terminée de manière que le programme puisse être approuvé par l'Eurogroupe et le Mécanisme européen de stabilité le 7 août – peut-être sera-ce le 14 août. Soit la négociation aura abouti, soit elle aura échoué, mais il y a de grandes chances qu'elle aboutisse. Je précise que ce programme est élaboré avec le FMI, dont j'indique qu'il n'a pas été le plus désagréable dans la négociation, notamment parce qu'il a insisté sur le poids de la dette. En tout état de cause, sa présence est indispensable, ne serait-ce que parce qu'il existe un décalage entre le programme européen, qui commencera mi-août, et celui du FMI, qui se terminera en mars prochain. En outre, le FMI contribuera à hauteur de 16 milliards au programme de 80 milliards d'aide à la Grèce.

Une fois que le programme sera adopté, interviendront les décaissements qui permettront à la Grèce de faire face à ses échéances externes ainsi qu'à ses obligations internes et de remettre son économie en route. Mais la période qui s'ouvrira jeudi et se terminera le jour où ces décaissements interviendront est cruciale. Aujourd'hui, en effet, les banques et l'économie ne fonctionnent plus ; il n'y a plus de quoi payer les produits alimentaires, dont 80 % sont importés, ni l'énergie qui permet notamment de faire fonctionner les usines. Cette situation terrible a, qui plus est, un coût considérable en termes de croissance.

Il faut donc que cela change. Si nous attendions ne serait-ce que trois semaines, la Grèce sortirait forcément de l'euro, quels qu'aient été les efforts politiques et économiques consentis, et si grande ait été la mobilisation des uns et des autres. Sur ce point, je ne peux vous donner davantage de détails, des discussions étant en cours. Plusieurs mécanismes sont envisageables, depuis celui qui avait été mis en oeuvre au tout début, notamment par la France, sous la forme de prêts bilatéraux, jusqu'aux systèmes bien meilleurs où nous agissons tous ensemble, que ce soit sur la base des profits emmagasinés au sein des banques centrales de chacun de nos pays et de la Banque centrale européenne, qui devront être débloqués le plus rapidement possible, ou sur la base d'autres mécanismes, dont certains dépendent de la volonté de l'ensemble des vingt-huit États de l'Union européenne. Durant cette période intermédiaire, nous devons trouver environ 7 milliards d'euros, ce que nous nous efforçons de faire.

Certes, il y a eu des privatisations pour un montant de 3 milliards d'euros, mais les conditions dans lesquelles elles ont été faites par les gouvernements précédents sont parfaitement condamnables : il semble que certains aient tiré bien plus que l'État de ces opérations. Nous devons mettre en place des mécanismes de gouvernance, de gestion des actifs grecs, permettant de procéder à d'autres privatisations dans des conditions protectrices pour l'État et le peuple grecs, c'est-à-dire en faisant preuve de vigilance sur la nature des biens privatisés, et en choisissant le bon moment pour vendre. Une assistance technique peut être mise en oeuvre, sur le modèle de celle existant en France depuis quelques années, notamment avec l'Agence des participations de l'État, qui permet de savoir dans quelle fourchette de valeurs une opération peut être réalisée.

Certains faisaient preuve d'une telle défiance à l'égard de la société grecque et de son fonctionnement qu'ils préconisaient de confier le fonds de privatisation à un pays tranquille, où sa gestion serait assurée « en bon père de famille », à savoir au Luxembourg ! Vous comprendrez que le Gouvernement français se soit associé au Gouvernement grec pour écarter cette hypothèse : certes, une meilleure gouvernance doit être recherchée afin que le fonds rapporte plus dans de meilleures conditions, mais cela doit se faire dans le respect de la souveraineté du peuple grec. Le fonds de privatisation restera donc à Athènes, mais sera géré dans des conditions très différentes de celles prévalant aujourd'hui.

Comment ce fonds va-t-il pouvoir atteindre le montant de 50 milliards d'euros espéré ? Il y a déjà les banques, pour 25 milliards d'euros.

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