Intervention de Jacques Rapoport

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Rapoport, candidat à la présidente déléguée du directoire de la SNCF :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je reviendrai brièvement sur ma candidature à la présidence déléguée du directoire de la SNCF, aux termes de la loi du 4 août 2014 – avec la création, notamment, de l'EPIC de tête –, puis sur ma candidature à la présidence de SNCF Réseau – avec un point sur l'état technique du réseau, ses perspectives et l'évolution de la dette.

Dès le début de l'année 2013, nous sommes entrés dans une nouvelle forme de coopération entre la SNCF et RFF. La situation n'était pas simple, les deux structures n'ayant pas du tout la même organisation, la même logique, les mêmes missions, les mêmes références culturelles ; et l'on sait que les fusions d'entreprises échouent souvent à cause d'une incompatibilité culturelle. Or, deux ans après, nous pouvons très sereinement affirmer que cette fusion est un succès. La mise en place du groupe public intégré s'effectue dans de bonnes conditions. Cette opération implique bien sûr des délais, des procédures, de nombreux changements mais, si les parlementaires n'en perçoivent pas encore les résultats, et c'est bien naturel, la dynamique est bonne, la compréhension des motifs de la fusion assurée et les obstacles innombrables sont levés les uns après les autres.

Je mentionnerai quelques fruits de cette intégration réalisée le 1er juillet. En matière de sécurité – notre priorité – nous avons des programmes intégrés entre la roue et le rail, comme il est d'usage de dire, sous le contrôle de l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF). En ce qui concerne les ressources humaines, des accords d'intéressement viennent d'être signés, ce qui aurait été impensable dans le cadre de l'ancien système. Pour ce qui touche à la mutualisation, nous disposons désormais d'un domaine immobilier intégré. Nous avons par ailleurs, désormais, une capacité à nous projeter dans l'avenir en matière d'achats. Sur les sujets difficiles comme SEA, nous entretenons un dialogue grâce auquel nous pouvons identifier l'intérêt global du système ferroviaire. La mutualisation est créatrice de valeur.

En outre, l'autonomie, l'indépendance, même, de décision de SNCF Réseau quant à la tarification et à l'accès aux sillons, est totale. Il n'y a donc aucun changement par rapport à avant sur ce point et je dirai même que cela va nettement mieux puisque SNCF Réseau maîtrise la politique de maintenance et de travaux alors qu'il s'agit d'éléments de perturbation de la production des sillons. La chaîne est désormais intégrée dans le parfait respect de l'autonomie contrôlée par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) dont les pouvoirs ont été considérablement renforcés par la loi, Autorité à laquelle j'ai rendu compte de ces questions pas plus tard qu'hier dans le cadre de la procédure qui nous réunit aujourd'hui. J'insiste donc sur le fait que les responsabilités propres de SNCF Réseau sont parfaitement respectées et que l'EPIC de tête, bien loin d'être un frein à l'exercice de ces responsabilités, y contribue au contraire.

J'en viens à mon second point : quel est l'état et quelles sont les perspectives du réseau ferré national ? Depuis le premier rapport de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2005, la masse des rapports, des enquêtes et des audits est considérable, si bien que tout le monde connaît la situation dans laquelle nous nous trouvons : notre réseau vieillit, comme partout en Europe, mais de façon plus marquée en France. En effet, parallèlement au ralentissement de l'investissement dans le réseau ferré national, s'est développé le TGV qui répondait à des ambitions beaucoup plus fortes que ce qui se faisait dans le même temps à l'étranger.

Je citerai quelques chiffres. La partie la plus circulée du réseau – 15 % du réseau structurant – est classée « hors d'âge », ce qui ne signifie toutefois pas qu'elle soit nécessairement dangereuse ; mais, suivant les normes de maintenance, elle doit être remplacée ; or nous avons pris du retard. En Île-de-France, où nous rencontrons des problèmes importants, 40 % des aiguillages ont plus de vingt-cinq ans – chiffre ici aussi excessif. De ce fait, les coûts de maintenance augmentent puisque plus un équipement est ancien et plus il est coûteux à entretenir et, d'autre part, on note une certaine tension sur la qualité du service, qui se traduit par une augmentation, en quatre ans, de plus de 30 % des kilomètres sous ralentissement et une hausse de 40 % des minutes perdues à cause d'incidents liés à l'infrastructure. Depuis la fin des années 2000, le renouvellement s'est sensiblement accru et a d'abord porté sur le réseau secondaire, celui qui se trouvait dans le plus mauvais état ; il concerne davantage aujourd'hui le réseau structurant.

M. Frédéric Saint-Geours a d'autant plus raison, par ailleurs, d'insister sur la nécessité du benchmarking que, la partie réseau étant un monopole naturel, établir des comparaisons n'est pas facile en France ; il faut donc nous comparer avec l'étranger. Ainsi, la moyenne d'âge des voies et des aiguillages en Allemagne est de vingt ans et elle est de trente-trois ans en France. Les Allemands investissent en renouvellement quelque 4 milliards d'euros contre 2,5 milliards pour la France – alors que le réseau de nos voisins est plus jeune. Une comparaison avec le Royaume-Uni donnerait des résultats du même ordre. Enfin, le volume global des investissements ferroviaires est plus élevé en France qu'en Allemagne ; cet apparent paradoxe s'explique par la construction en France de 700 kilomètres de LGV et par la réouverture de lignes fermées depuis quelques décennies.

Ce volume très important de travaux engendre les difficultés que vous connaissez : notre appareil de production étant saturé, nous devons reporter un certain nombre d'opérations quitte à susciter le mécontentement conséquent des élus concernés. Nous avons donc un problème de capacité de production pour accélérer la réalisation de ces travaux autant qu'il le faudrait. Je tiens à le souligner : les voies du redressement sont là. La création du groupe public ferroviaire nous donne les moyens de résoudre les problèmes, certes pas en six mois ou un an : nous sommes engagés dans une action à long terme. La priorité donnée au renouvellement sur le développement est comprise par l'ensemble des acteurs. Nous disposons d'une réelle capacité d'industrialisation de nos travaux grâce à la fusion entre RFF et SNCF Infra. Nous parvenons progressivement à augmenter le recours à des entreprises externes. Enfin nous avons de grandes ambitions – mais raisonnables – en matière d'innovation, notamment dans le secteur numérique ; or nous sommes plutôt en retard dans l'utilisation des nouvelles technologies. L'objectif est d'atteindre, pour les transports quotidiens, le même niveau d'excellence que celui qui vaut pour la grande vitesse.

En ce qui concerne les lignes secondaires, appelées capillaires, les unes destinées au transport de voyageurs, comme la ligne Nantes-Bordeaux, et les autres essentiellement destinées à la desserte des céréaliers et des carrières, il est exact qu'elles sont en mauvais état et qu'elles ont donc besoin d'être renouvelées. Il convient par conséquent d'établir un tour de table de financement. Le Gouvernement vient d'annoncer que l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) va engager 30 millions d'euros à cet effet. Les contrats de plan État-région (CPER) prévoient en outre un certain nombre d'investissements destinés à ce réseau.

Pour ce qui est de la situation financière, la dette de SNCF Réseau est aujourd'hui de 37 milliards d'euros et augmente, grosso modo, de 2,5 à 3 milliards d'euros par an, rythme amené à ralentir à partir des années 2017-2018 pour une augmentation annuelle de 1 à 1,5 milliard d'euros. Cette dette gonfle pour une raison très simple : les investissements ne sont pas financés, ni par des recettes commerciales ni par des subventions – ou du moins à un niveau très insuffisant.

Comment interrompre la croissance de la dette, comme le prévoit la loi, pour l'année 2025 ? La première solution est la règle d'or. Il ne s'agit pas d'arrêter le développement – comme l'a bien rappelé M. Guillaume Pepy : la politique ferroviaire relève des pouvoirs publics et non d'un opérateur – mais de cesser de mettre la SNCF à contribution pour le financement des opérations de développement – soit l'équivalent de la moitié de la croissance de la dette. La deuxième solution, vous l'avez tous souligné, revient à réaliser 500 millions d'euros de gains de productivité par tranche quinquennale. Pour la première tranche, 2015-2020, les 500 millions d'euros proviendront des effets de la fusion, d'une politique d'achats, d'une politique industrielle, d'une politique d'externalisation, qui étaient totalement impensables dans le contexte de la fracture SNCF-RFF.

À partir de 2020, pour la seconde tranche quinquennale, la remise à niveau du réseau nécessitera 1 milliard d'euros supplémentaire par an et devra permettre de diminuer les coûts de maintenance. En effet, nous dépensons plus en maintenance courante, à hauteur de 2 milliards d'euros par an, que les Allemands, pour 1,7 milliard d'euros, alors qu'ils investissent beaucoup plus que nous en renouvellement. Troisième point : nous supportons le poids des frais financiers. On estime à 2 milliards d'euros l'autofinancement pour les investissements, somme insuffisante et qui, si elle peut paraître néanmoins significative, doit être amputée de 1,5 milliard d'euros de frais financiers.

Avec ces trois éléments de réponse à la croissance de la dette, nous serons capables d'avoir un système équilibré dans la durée.

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