Intervention de Jean-Louis Chaussade

Réunion du 30 juin 2015 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Louis Chaussade, directeur général de Suez Environnement :

J'ai effectivement rendez-vous, Monsieur le président, avec les premiers ministres français et chinois pour signer un accord relatif à une acquisition en Chine : je vous quitterai donc pour la bonne cause, en l'occurrence celle du développement des entreprises françaises dans ce pays.

Je vous remercie, en tout cas, de me donner l'occasion de vous présenter notre groupe et les défis auxquels il doit faire face. Suez Environnement réalise en effet un peu plus de 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires, celui-ci étant divisé à parts égales entre les activités de gestion de l'eau et des déchets. Notre activité se répartit à raison d'un tiers en France, un tiers en Europe et un petit tiers dans les autres pays du monde. Le groupe propose quatre grands types d'expertise : la distribution, le traitement ainsi que l'ingénierie et le conseil dans les métiers de l'eau, et le recyclage et la valorisation des déchets, activité que nous développons également en Europe et à l'international.

Suez Environnement est présent dans soixante-dix pays environ, sur tous les continents : en Australie – dans l'eau et la valorisation des déchets –, avec un chiffre d'affaires de plus de 1 milliard d'euros, en Chine, où ce dernier atteint quelque 1,2 milliard, et en Inde, pour un chiffre d'affaires plus modeste, d'une centaine de millions d'euros – les choses sont en effet moins aisées dans ce pays, mais nous essayons de nous y développer, dans les domaines de l'eau comme des déchets. Le groupe est présent également au Moyen-Orient, au Maghreb et bien entendu en Europe, principalement en France, en Espagne et en Italie pour la gestion de l'eau ; s'agissant de la valorisation des déchets, il est implanté en France, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Suède.

Le groupe s'est aussi développé en Amérique du Nord – avec un chiffre d'affaires de l'ordre du milliard d'euros, dans le secteur de l'eau, aux États-Unis – et du Sud, avec environ 700 millions de chiffre d'affaires, au Chili, dans la distribution d'eau.

L'actionnaire de référence du groupe est Engie – ex GDF Suez –, qui détient 34 % de son capital ; viennent ensuite, pour 13 %, les actionnaires institutionnels, au premier rang desquels la Caixa de Barcelone – présence qui se justifie par notre exposition en Espagne et dans les pays latins –, puis CNP Assurances et la Caisse des dépôts et consignations, qui possèdent à elles deux environ 3 % du capital. Pour le reste, celui-ci est détenu par des actionnaires individuels ou salariés – à hauteur, respectivement, de 6,5 % et de 3,5 %. Les cinquante autres pour cent du capital, enfin, sont détenus par des fonds internationaux. Enfin, notre résultat net se montait, l'an dernier, à un peu plus de 400 millions d'euros et notre flux de trésorerie libre – qui conditionne nos capacités d'investissements –, à 1,1 milliard.

Le groupe emploie quelque 80 000 salariés, dont 35 000 en France. Nos effectifs sont restés globalement stables pendant la crise, avant de repartir à la hausse, à hauteur d'environ 2 %, depuis deux ans.

Nous consacrons par ailleurs 74 millions d'euros par an à la recherche et développement, investissement justifié par les innovations toujours plus nombreuses dans nos domaines d'activité. Le groupe emploie, dans son centre de recherche du Pecq, environ cent cinquante chercheurs, mais il a également conclu des partenariats en France comme à l'étranger, notamment en Chine, aux États-Unis ou en Espagne. L'innovation, pour nos métiers en profonde évolution, est évidemment un élément de différenciation majeur.

Avant d'évoquer l'évolution de nos marchés depuis la crise, je veux insister sur l'activité de valorisation des déchets. Il y a seulement dix ans, Suez Environnement n'avait développé cette activité qu'au niveau local, pour la collecte et la mise en décharge ; aujourd'hui l'activité a complètement changé de nature puisque, au-delà de la collecte, nous effectuons aussi des tris, de façon à valoriser les déchets qui en sont issus sous forme, soit de matières premières ou secondaires, soit d'énergie. Suez Environnement est ainsi devenu, en Europe et ailleurs – en Chine, par exemple –, un grand producteur d'énergie.

Comme tout grand groupe international, Suez Environnement dispose d'un centre géographique et historique, en l'occurrence la France, à partir duquel il développe ses activités. Notre pays reste donc, pour le groupe, le coeur des expérimentations et de l'innovation. Reste que le marché français, en particulier, a beaucoup évolué. À l'origine notre groupe était, pour ainsi dire, un fournisseur de solutions pour des collectivités désireuses d'assurer la distribution d'eau vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cette époque est révolue depuis les années 1980 pour la distribution et depuis les années 1990 pour le traitement des eaux résiduelles. Depuis les années 2000, les notions de transparence ou de partage se sont imposées ; si bien que nous avons été conduits, en coopération avec les élus, à modifier la gouvernance de nos 2 600 délégations de service public en France. Nous avons fait beaucoup d'efforts pour nous rapprocher des parties prenantes, qu'elles le soient comme donneurs d'ordre – telles les collectivités – ou comme utilisateurs. Des tarifications progressives ont ainsi été mises en place afin de répondre à la demande de certains élus ; Suez Environnement a par exemple été un précurseur en matière de tarification sociale à Dunkerque ou à Libourne.

Les sociétés d'économie mixte à opération unique, les SEMOP, constituent par ailleurs une nouvelle forme de partenariat entre le public et le privé, fondée sur la réunion de forces et d'intérêts communs. Reste que les investissements, dans le secteur de l'eau, ont sensiblement baissé depuis 2005 car nous arrivons au terme d'un cycle d'investissements de grande ampleur, consacrés par exemple au remplacement des canalisations en plomb. De mon point de vue, de nouveaux investissements seront nécessaires dans les prochaines années en raison du vieillissement des canalisations et des usines, mais aussi de l'augmentation des « pollutions émergentes », elle-même liée à une concentration urbaine croissante.

Pour faire face à ces problématiques, Suez Environnement a développé un certain nombre de laboratoires dédiés, par exemple, aux recherches sur le plastique, peu recyclé jusqu'à il y a une dizaine d'années compte tenu de la complexité de l'opération. L'économie circulaire de la gestion des plastiques suppose en effet l'étude de la nature de ces produits aux différents stades du cycle : lorsque nous les recevons, lorsque nous les transformons et lorsqu'ils sont livrés aux industriels qui souhaitent les recycler. La méthanisation est un autre grand thème de recherche ; en ce domaine, le développement de la production de biogaz suppose la poursuite des investissements.

Le renforcement de notre indépendance à l'égard d'Engie s'est traduit par les changements de nom, de GDF Suez d'abord et du nôtre ensuite, puisque le groupe s'appellera bientôt « Suez ». Au-delà de ce changement, le point important est l'émergence de la marque unique, plusieurs marques d'origine française – Sita, Lyonnaise des eaux ou Degrémont – ayant cohabité dans un marché mondial qui en comptait une quarantaine. La concurrence internationale et la nécessité d'harmoniser nos savoir-faire ont fini par imposer la marque unique, en vigueur depuis trois mois.

Le changement de nom tient aussi à un changement du paradigme de nos métiers dans les vingt ou trente prochaines années. Le réchauffement climatique, dont il sera notamment question lors de la COP21, se manifestera d'abord dans l'eau : d'ici à 2035 ou 2040, environ 40 % de la population mondiale vivront en effet dans des zones de stress hydrique. Sur ce point, les chiffres ne trompent pas. La Chine représente par exemple 22 % de la population mondiale et 7 % de la ressource en eau ; or la population est essentiellement concentrée à l'est alors que ces ressources le sont à l'ouest. Les ordres de grandeur sont similaires en Inde, qui possède 15 à 16 % de la population mondiale et 4 à 5 % de la ressource en eau. La Californie étant de son côté le grenier des États-Unis pour la production de fruits et légumes, il était prévisible qu'elle manquerait d'eau. Quant au Brésil, la ressource en eau y est abondante mais la population est en passe de devenir majoritairement urbaine – à hauteur de 65 à 70 % d'ici à 2040 –, alors qu'elle était à 50 % urbaine et à 50 % rurale dans les années 2000.

La rareté de la ressource, pour l'eau comme pour l'ensemble des matières premières d'ailleurs, est donc un enjeu majeur ; elle imposera des mutations, y compris au niveau des modes de vie : les matières premières devront être regardées comme des flux et non plus comme des stocks. La quantité disponible, sans être nulle, sera inférieure aux besoins, qu'il faut donc déconnecter de la croissance économique sous peine d'entrer dans un scénario de décroissance que nul ne souhaite.

S'il ne faut sans doute pas attendre de miracles de la COP21, ce rendez-vous permettra au moins de déterminer ce que nous sommes en mesure d'espérer, étant entendu que l'on est désormais sur une hypothèse de réchauffement climatique de 3 à 3,5 degrés – et non plus 2 – d'ici à la fin du siècle. Parmi les mesures correctives envisageables, la fixation d'un prix du carbone est bénéfique pour la régulation des énergies fossiles, mais aussi pour l'économie circulaire car les matières recyclées consomment beaucoup moins d'énergie que les matières vierges.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique traite de l'économie circulaire, réservant d'ailleurs plusieurs dispositions à la valorisation des déchets avec l'objectif, ambitieux, de réduire de 50 % les volumes mis en décharge à l'horizon 2025. Cela suppose des incitations fortes, à travers des recommandations – par exemple la présence obligatoire de 10 % de matières recyclées dans les voitures – ou la fixation d'un prix du carbone. Quant à la biométhanisation, sujet à l'intersection des déchets et de l'eau, nous avons mis en place, en région lyonnaise, une installation qui utilise à la fois les déchets de bois et le bois-déchet pour fournir de la vapeur à une quinzaine d'industriels.

L'international, qui représente un tiers de nos activités, est essentiel à notre développement même si beaucoup reste à faire en Europe : les changements de paradigme dont j'ai parlé requièrent des technologies et des compétences diverses, donc des investissements qui exigent eux-mêmes une consolidation de nos activités. Cependant un nombre croissant de régions, à travers le monde, se trouveront en situation de stress hydrique : l'économie de l'eau, la gestion des ressources et des réseaux, la récupération, le traitement et la réutilisation des eaux résiduelles ainsi que le dessalage sont autant de solutions qui se développent partout dans le monde.

Notre croissance à l'international repose aussi sur la transmission de savoir-faire, que ce soit en Chine, en Inde et dans beaucoup d'autres pays encore. De fait, le savoir-faire français en matière d'environnement est mondialement reconnu. En 2006, avant notre arrivée, 25 % seulement des habitants du grand Alger avaient accès à l'eau vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; huit ans plus tard, c'est toute la population – soit 3,5 millions d'habitants – qui bénéficie de cet accès. C'est là, bien entendu, le fruit d'une coopération entre notre groupe et les autorités algériennes, mais aussi d'un transfert de savoir-faire massif de technologies modernes, pour des investissements somme toute limités.

Suez Environnement développe également, en Europe comme à l'international, de nouveaux services intelligents, en particulier pour la gestion en temps réel de réseaux, de stations ou d'épisodes pluvieux dont on a pu constater la violence, par exemple, dans le bassin méditerranéen. Combinées aux investissements, ces technologies donnent des résultats remarquables. Ainsi la ville de Bordeaux, qui dispose de l'un des systèmes de gestion en temps réel les plus performants d'Europe, n'a plus connu d'inondations depuis quinze ans. Ce système est en passe d'être installé à Paris, où la moitié des eaux résiduelles retombent dans la Seine sans être traitées, ce qui pose bien entendu de gros problèmes de pollution. Le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP) a réalisé des travaux considérables pour stopper l'arrivée de ces eaux dans la Seine. Nous développons le même projet à Marseille et envisageons de le faire à Singapour et à Hong-Kong.

Les relations avec les pouvoirs publics étant évidemment essentielles dans nos métiers, je serai heureux de répondre à vos questions.

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