Intervention de Rajeev Suri

Réunion du 16 juin 2015 à 18h00
Commission des affaires économiques

Rajeev Suri, président-directeur général de Nokia, interprétation :

Je suis honoré d'être parmi vous aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Je tiens à remercier sincèrement le président Brottes de m'avoir aimablement invité, ainsi que l'ensemble des députés de la Commission des affaires économiques, de participer à cette audition pour discuter du projet de rapprochement entre Nokia et Alcatel-Lucent. Je suis parfaitement conscient qu'Alcatel-Lucent est une entreprise emblématique, ayant une histoire très ancienne et très riche en France, et qui a toujours été à la pointe de l'innovation. C'est une entreprise que je respecte – et que Nokia respecte également. Je suis très heureux d'avoir la possibilité de vous présenter aujourd'hui notre projet et de vous témoigner que nous sommes fiers qu'Alcatel-Lucent intègre la famille Nokia. Ce projet industriel se concrétise au moment opportun : il est bon à la fois pour Nokia, pour les salariés d'Alcatel-Lucent, pour les clients et les actionnaires des deux entreprises et pour la France. Il constitue une réponse européenne à la fois puissante et résolue à un monde qui évolue rapidement, une occasion formidable d'être au coeur des technologies de demain. Ce projet mérite donc votre soutien. Le rapprochement de Nokia et d'Alcatel-Lucent créera un champion technologique européen dans les réseaux de nouvelle génération et les technologies de l'information en cloud. Il aboutira à la création d'une entreprise capable d'innover, disposant d'un vaste champ d'intervention et d'un contact étendu avec ses clients, dans une tradition d'excellence opérationnelle – une entreprise à même de suivre les changements dynamiques du secteur et d'être compétitive sur le plan international.

Je dirai à présent quelques mots sur Nokia, entreprise que j'ai rejointe il y a vingt ans, alors que je n'étais encore qu'un jeune ingénieur. Nokia ayant été fondée en 1865, nous avons célébré avec fierté son 150e anniversaire cette année. Au départ, ce n'était qu'une petite usine de papier située en Finlande. Puis notre entreprise a connu maintes péripéties industrielles, des ruptures technologiques et sociales ainsi que des cycles économiques. Au cours de ce siècle et demi, nous avons fabriqué des bottes en caoutchouc, des pneus, des câbles de télévision, des téléphones mobiles, de l'électronique grand public etc. Mais la réinvention a toujours été un élément essentiel de notre ADN et je suis convaincu que, lorsque vous entendez le nom de Nokia, vous êtes nombreux à penser à la téléphonie mobile. Or, c'est une activité que notre entreprise a vendue en avril 2014 à Microsoft, juste avant que je devienne directeur général de Nokia. Bien qu'ayant toujours travaillé sur le volet « réseaux » de l'activité de l'entreprise, j'ai évidemment suivi de très près cette évolution et suis resté convaincu de l'importance de créer une culture de performance et de ne jamais verser dans l'autosatisfaction.

Depuis la cession de son activité de téléphonie mobile, Nokia a trois activités fortes – segments sur lesquels nous sommes leaders : il s'agit tout d'abord de Here, société de services de localisation et de cartographie basée à Berlin, regroupant 6 000 salariés et réalisant un milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel. Pour nous, c'est la seule structure capable de faire pièce à Google de manière efficace dans le domaine de la navigation et des cartes numériques. Nous disposons ensuite de Nokia Technologies, notre groupe d'incubation spécialisé dans les nouvelles technologies, qui réalise un travail passionnant dans les domaines de l'image immersive et des soins connectés. Notre troisième activité, la plus importante, concerne les équipements pour réseaux de télécommunications. En 2007, Nokia a combiné ses infrastructures de télécommunications avec celles de Siemens pour former une co-entreprise, Nokia-Siemens Networks (NSN). En 2013, nous avons racheté la part de Siemens dans NSN pour créer Nokia Networks.

Aujourd'hui, nous avons l'une des activités les plus importantes, enregistrant parmi les meilleurs résultats de ce secteur grâce à la révolution que nous avons entamée à la fin de l'année 2011. Il est vrai que cela n'a pas été simple : nous avons malheureusement dû supprimer des emplois dans de nombreux pays, et un grand nombre de nos anciens collègues et amis ne sont plus dans le groupe. Mais nous travaillons dans un secteur où la concurrence est très intense et où les marges sont faibles. Mon équipe dirigeante et moi-même devons veiller à ce que l'entreprise soit pérenne à long terme et à créer de la valeur pour toutes nos parties prenantes.

Nous sommes contents des progrès que nous avons réalisés, mais nous n'en sommes pas encore satisfaits et nous savons que nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. C'est d'autant plus vrai que nous sommes arrivés à un tournant technologique et que nous allons connaître un changement qui sera certainement aussi important à notre sens que la création d'internet : l'avènement du monde programmable, qui va au-delà des connexions entre les objets et entre les gens. Il ne s'agit pas d'un phénomène ésotérique réservé aux communautés de techniciens ; il profitera aux gens au quotidien : nous aurons des voitures sans conducteur − ce qui permettra de réduire le nombre de victimes d'accidents de la route ainsi que les émissions de CO2 − et des appareils connectés grâce à l'informatique en cloud qui permettront de réduire les coûts et d'améliorer la qualité des soins de santé ou encore des capteurs dans les systèmes de distribution d'eau qui permettront de réduire les fuites et donc le gaspillage des ressources précieuses.

Nous avons besoin pour ce faire de réseaux capables de répondre aux spécifications de ces nouvelles applications et nous devons également innover dans les technologies et les business models, ce que Nokia et Alcatel-Lucent vont faire. Ce rapprochement est une formidable occasion de réussir ensemble : il nous permettra de disposer de capacités d'innovation inégalées et nous avons l'intention de maintenir la marque et les capacités de Bell Laps pour accélérer le développement des technologies futures telles que la 5G, les réseaux définis par les logiciels, ou software defined networks, l'informatique en cloud, l'analytique, les capteurs et l'imagerie.

Contrairement aux rapprochements précédents des activités de Nokia et Siemens et de celles d'Alcatel et Lucent, qui étaient principalement des projets d'échelle, nous voulons ici élargir notre champ d'intervention, créer une entreprise disposant d'une palette de technologies qui la rende capable de mettre en place le monde programmable dont j'ai parlé tout à l'heure. Il y aura moins de doublons et plus de complémentarité entre nous, ce qui est une très bonne chose.

Nous aurons également une masse critique et une échelle suffisante pour un grand nombre de technologies-clés : la 4G, la 5G, les services de télécommunications, la téléphonie fixe, le routage IP, les réseaux-clés, les applications d'informatique en nuage etc. Nous avons là une véritable chance de devenir numéro un ou numéro deux sur ces segments. Grâce à notre taille, à notre influence et à notre expertise, nous pourrons également influer sur les changements dans cet écosystème.

En outre, nous aurons un contact extraordinaire avec notre clientèle : nous pourrons fournir une gamme complète de produits à des clients dans le monde entier. Nous serons numéro un aux États-Unis et en Chine et allons considérablement développer notre activité en Amérique latine et en Europe.

Enfin, nos deux entreprises sont capables d'excellence opérationnelle. Alcatel-Lucent a réalisé des progrès remarquables grâce à son plan Shift, et Nokia a connu une véritable révolution qui permettra de réduire au maximum les risques liés à la mise en oeuvre de cette opération. Cette dernière est nécessaire non seulement pour profiter des changements à venir en matière de technologies, mais également pour minimiser les risques que comporte le fait d'avoir une taille insuffisante.

Il importe ici que vous appréhendiez la nature des infrastructures de télécommunication. Dans cet univers, il faut investir massivement dans la recherche et développement, mais, dans le même temps, la standardisation accroît la pression sur les prix. L'innovation est donc un point essentiel, mais ce sont la productivité, l'efficacité et la discipline des coûts qui nous confèrent notre principal avantage par rapport à nos concurrents et qui nous permettent de nous différencier. Les choses ne sont pas simples : prenez par exemple les résultats du premier trimestre de cette année pour l'ensemble du secteur. Le numéro un du secteur a enregistré une marge opérationnelle de 4 %. Mais, si vous en déduisez les recettes tirées des brevets et de la propriété intellectuelle, cette marge est bien plus basse. Alcatel-Lucent affiche une marge opérationnelle de 2,5 %, Nokia de 3,2 % selon la norme International Financial Reporting Standards (IFRS). Et Nokia a été la seule entreprise, parmi les trois que j'ai citées, à connaître une croissance annuelle hors fluctuations monétaires.

Bref, nous nous trouvons dans un environnement difficile, où il faut investir de façon massive dans la recherche et développement alors que la rentabilité est faible. C'est la raison pour laquelle les synergies de coût sont essentielles dans cette opération. Nous tablons sur 900 millions d'euros de synergies en 2019, et nous n'avons pas d'autre choix que d'atteindre cet objectif. Cela dit, je suis absolument convaincu que nous aurions à supprimer plus de postes si nos deux entreprises ne se rapprochaient pas. Ensemble, nous serons plus forts que nos concurrents même si, bien évidemment, nous devons répondre aux exigences du marché. Nous allons devoir prendre des mesures difficiles mais les autres solutions sont moins bonnes et nous arriverons à créer un nouveau champion européen.

Permettez-moi à présent de dire quelques mots sur la France. Nokia Networks est fortement implantée dans ce pays. Nous employons ainsi 230 salariés sur notre site d'Asnières, qui travaille avec les quatre principaux opérateurs français : Orange, SFR-Numericable, Bouygues Telecom et Free. Et comme nous sommes un groupe international, vous ne serez pas surpris d'apprendre que certains de nos cadres les plus talentueux sont français : Marc Rouanne, par exemple, qui nous a rejoints il y a sept ans, venant d'Alcatel-Lucent, est aujourd'hui directeur de notre branche Mobile Broadband ; Igor Leprince est notre vice-président exécutif chargé des services globaux chez Nokia Networks ; Vivek Badrinath, PDG adjoint d'Accor, est membre de notre conseil d'administration. Et ils ne manquent jamais de me rappeler que les meilleurs ingénieurs au monde sont français. Toute plaisanterie mise à part, il y a là un fond de vérité, même si l'on compte dans d'autres pays des gens fort talentueux. La France a une réputation, à mon sens méritée, d'excellence dans les sciences et l'ingénierie. C'est votre patrimoine, votre tradition, votre héritage, et j'admire la longue histoire d'excellence de l'enseignement supérieur dont vous jouissez dans votre pays, grâce à vos grandes écoles et à certaines des meilleures universités au monde qui forment des ingénieurs d'élite. Votre gouvernement a en outre bien soutenu la recherche-développement grâce au crédit d'impôt recherche et aux programmes d'investissements d'avenir, toutes choses qui ont favorisé la création d'une sorte de réservoir de talents.

C'est dans ce contexte que s'inscrivent nos engagements. Nous nous y tiendrons non seulement parce qu'il nous faut le faire, mais aussi parce que nous pensons que cela est pertinent. Nous sommes persuadés que nous allons profiter de notre solide implantation en France, que nous contribuerons à développer l'écosystème technologique de ce pays et que grâce à l'innovation de Bell Labs, nous pourrons poursuivre la recherche-développement pour les systèmes de nouvelle génération sur les formidables sites que sont Villarceaux et Lannion. La France est au coeur de notre projet, raison pour laquelle j'ai été honoré d'entamer un dialogue ouvert et constructif avec le président Hollande et le ministre Emmanuel Macron avant d'annoncer l'opération de rapprochement. Ce dialogue est toujours en cours et je tiens à souligner à quel point cet engagement est important pour nous tous – pour Nokia et pour moi-même à titre personnel. Nous avons pris très au sérieux la priorité accordée par le Gouvernement français au maintien des emplois en France : 100 % des engagements que nous avons contractés en matière d'emploi concernent votre pays, le seul dans lequel nous nous sommes engagés de la sorte. Alcatel-Lucent a déjà connu une restructuration difficile. À la fin de l'année, les effectifs de cette entreprise devraient s'élever à environ 4 200 salariés : nous nous sommes engagés à maintenir ce chiffre pendant au moins deux ans après la finalisation de cette opération, et nous devrions augmenter le nombre de salariés employés dans les services de recherche et développement en France afin de mettre à profit votre expertise. Nous maintiendrons le niveau des emplois dans la R&D atteint à la fin de l'année 2014 pendant au moins quatre ans après la finalisation de l'opération de rapprochement. Nous nous sommes fixé pour objectif d'augmenter de 25 % le nombre d'emplois dans la recherche et développement, c'est-à-dire que nous y créerons 500 postes supplémentaires et que nous pourrons embaucher 300 nouveaux diplômés au cours des trois prochaines années.

Cela dit, je ne vous cacherai pas qu'il faudra en parallèle réduire le nombre d'emplois qui ne sont pas liés à la recherche-développement car, dans ce secteur concurrentiel, nous ne pouvons-nous permettre les doublons. C'est pourquoi nous allons devoir réduire le nombre de postes dans les fonctions d'entreprise et économiser dans d'autres domaines comme celui des achats afin d'assurer le succès de notre opération. Les salariés devront s'adapter et passer des anciennes aux nouvelles technologies de sorte que notre personnel ait les compétences nécessaires pour les technologies de demain. Lorsque nous réduirons nos effectifs, nous agirons de façon équitable, honorable et respectueuse.

Si vous souhaitez des détails sur cette opération, je ferai de mon mieux pour vous en fournir mais malheureusement, je ne pourrai le faire dans la plupart des cas – non pas que je ne le veuille pas mais parce que nous ne connaissons pas encore toutes les réponses aux questions. Nous avons encore beaucoup de travail à accomplir d'ici à la finalisation de la transaction, et nous restons jusque-là des concurrents. Les informations échangées dans le cadre du processus d'intégration sont limitées à quelques personnes seulement. Certaines décisions ne pourront être diffusées, y compris même après la finalisation de l'opération. Il vous faut faire preuve de patience et de compréhension car c'est ainsi que les choses fonctionnent. Notre entreprise ne prend aucune décision sans connaître tous les faits nécessaires, mais nous restons engagés et privilégions un dialogue transparent et ouvert avec le gouvernement français tout au long de l'opération.

Notre engagement en France va au-delà d'un simple objectif macro-économique d'effectifs. Nous voulons créer des centres d'excellence en exploitant au mieux les compétences technologiques des équipes locales du pays, notamment à Villarceaux et à Lannion. Nous voulons renforcer le niveau d'activité de ces deux sites historiques d'Alcatel-Lucent et ferons en sorte que ces centres d'excellence servent de moteur à l'innovation pour notre activité dans le monde entier en développant plusieurs technologies décisives : la 5G et les small cells qui permettront de faciliter le développement des réseaux de nouvelle génération, épine dorsale de l'économie numérique ; le domaine de plus en plus important de la cyber-sécurité, ce qui confortera la position de la France comme numéro un mondial ; les plateformes de gestion des protocoles internet IP qui confèreront à la France et à Nokia un avantage concurrentiel dans un secteur technologique qui permet de gérer l'information au coeur des réseaux ; nous nous appuierons aussi sur l'excellence d'Alcatel-Lucent dans la transmission sans fil, reconnue dans le secteur ; enfin, nous profiterons des compétences de Bell Labs pour innover.

La France sera un centre-clé de décision dans le groupe et nous permettra de contribuer très largement au développement de l'écosystème technologique et de favoriser l'innovation dans l'économie française. Nous nous sommes engagés à financer des programmes d'enseignement supérieur ainsi que trois plateformes de prototypes industriels ouvertes à des partenaires externes pour la collaboration et le développement dans les domaines de la télécommunication mobile 5G, des objets connectés et de la cyber-sécurité. Nous allons également créer un fonds, doté d'environ 100 millions d'euros, qui servira essentiellement à investir dans des start-up et à favoriser l'émergence de nouvelles idées dans l'internet des objets, la cyber-sécurité et les plateformes de logiciels pour les réseaux de nouvelle génération.

Voilà quels sont nos engagements. Nous avons l'intention de les honorer sans aucune exception car notre groupe est connu pour son intégrité. Mais tout cela n'est qu'un point de départ et non notre destination finale. Avec votre soutien, en travaillant dur, en faisant preuve de dévouement, en ayant les bons modèles et les bons plans commerciaux, nous pourrons croître à l'avenir et si la croissance est rentable, nous sommes ouverts à une expansion encore plus forte en France au fil des ans. Voilà mon projet pour Nokia en France. Nous sommes dévoués, engagés envers les populations, l'innovation et la technologie. Telles sont les perspectives que nous offrons à nos salariés en France et à l'étranger. Nous avons un projet industriel global et voulons être un partenaire privilégié pour de nombreux clients dans le monde. Nous voulons être au service des populations en restant humbles mais déterminés, en leur faisant profiter de toutes les technologies que nous maîtrisons. J'ai été extrêmement content de l'accueil positif réservé à l'opération jusqu'à présent par toutes les parties prenantes – clients et actionnaires de nos deux entreprises. Maintenant, j'attends avec impatience vos réflexions et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de présenter nos projets.

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