Intervention de Alain-Gérard Slama

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Alain-Gérard Slama :

Étant un de vos lecteurs assidus, j'ai été heureux d'entendre développer des thèses qui me sont familières et auxquelles je souscris très largement. Toutefois, dans votre intervention comme dans celle de Pierre Joxe, un pouvoir n'a pas été évoqué : celui de l'opinion et des médias, peut-être parce les problèmes qu'ils posent sont sans solution.

L'opinion et les médias influent en effet sur la fabrication de la loi : en réaction à un événement sont adoptées des lois de plus en plus nombreuses, aussi circonstancielles que des notes de service. En matière pénale, cela crée un climat épouvantablement répressif.

Vous plaidez pour la médiation et l'implication de la société civile, mais celle-ci est de plus en plus punitive, demandeuse de règles et de peines, ce que les psychanalystes appellent le « pousse-au-jouir ». Dans le même temps, elle est de plus en plus traversée par les peurs. À cet égard, comme beaucoup de juristes éminents, je m'inquiète de la loi relative au renseignement qui, placée entre les mains d'un homme d'État moins bien intentionné que l'actuel, pourrait pencher dans un sens particulièrement regrettable.

Plusieurs principes fondamentaux de notre droit sont en train de se volatiliser. Ainsi la présomption d'innocence n'est-elle plus qu'une utopie, tant il est absurde d'invoquer ce mot. Le justiciable est de plus en plus tenu de faire la preuve de son innocence. L'individu qui s'est mis en situation de commettre une faute mérite la sanction de la faute comme s'il l'avait commise. On ne peut que le déplorer. Il en va de même pour la prescription. Avec la notion de complicité d'abus de bien de social, on peut se demander jusqu'où on est prêt à aller pour embêter quelqu'un.

Vous avez parlé de la professionnalisation du droit, mais le droit n'appartient pas qu'aux juristes. Je partage entièrement l'indignation de Pierre Joxe s'agissant de la nomination au Conseil constitutionnel de personnalités que le général de Gaulle eût appelées « disponibles » – peut-être la disponibilité n'est-elle pas un critère suffisant, la qualité humaine importe aussi. J'ai connu un excellent membre du CSM en la personne de l'historien René Rémond. Je propose d'urgence la nomination de Michel Winock ! Nous avons besoin que les membres de ces institutions ne soient pas seulement des juristes. Ce n'est pas nécessairement une faute que de ne pas être un spécialiste. À la Commission nationale consultative des droits de l'homme ne siègent pas que des juristes – et heureusement !

Mettre la police judiciaire à la main du juge d'instruction, cela m'effraie. L'homme le plus puissant de France se trouve tenté de le devenir vraiment.

Voilà les quelques sujets sur lesquels je souhaitais vous interpeller, tant j'étais à court d'objections à vous adresser.

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