Intervention de Christine Pires Beaune

Réunion du 16 juin 2015 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune :

Si l'on partage le constat que je vais vous présenter – et à ce jour, personne ne l'a contesté –, deux solutions s'offrent à nous : soit nous décidons de ne rien faire, soit nous tentons de changer les choses en introduisant davantage d'équité dans le dispositif.

La DGF doit, tout d'abord, être plus juste. Pour cela, il nous faut réduire les écarts injustifiés afin que la dotation tienne compte de la situation réelle des territoires et qu'elle ne soit plus une « rente » justifiée par l'histoire. La DGF doit, ensuite, être plus simple, afin d'offrir aux élus davantage de visibilité sur leurs financements. La plupart de ceux que nous rencontrons ne comprennent en effet ni son mécanisme ni son mode de calcul, de sorte qu'ils se trouvent dans l'incapacité de contester le financement qu'ils perçoivent et de comparer leur situation à celle des autres collectivités.

En ce qui concerne le bloc communal, nous devons tenir compte du contexte. La carte intercommunale devrait en effet être achevée au 1er janvier 2016. La situation a donc changé : du fait du développement de l'intercommunalité, les compétences exercées aujourd'hui par les communes ne sont pas forcément les mêmes qu'il y a vingt ans.

Enfin, la réforme doit être soutenable, ce qui suppose de prévoir des mécanismes transitoires afin que ses effets soient lissés dans le temps.

Par ailleurs, bien que la lettre de mission inclue l'ensemble des collectivités, nous avons volontairement limité nos travaux au bloc communal. En effet, compte tenu non seulement du temps qui nous est imparti mais aussi de la réforme régionale en cours et des récentes élections départementales, il ne nous a pas paru raisonnable de proposer une réforme de la DGF des régions et des départements – ces derniers feront néanmoins l'objet de quelques propositions dans notre rapport.

J'en viens maintenant à la synthèse des constats dressés par la mission.

Réformer la DGF suppose de s'interroger au préalable sur ses finalités. La dotation globale de fonctionnement a été créée pour compenser la suppression de ressources fiscales et elle a continué à jouer ce rôle au fil des réformes, ce qui explique le poids des composantes historiques. Aujourd'hui, elle a vocation à compenser les charges de fonctionnement qui résultent du transfert des compétences de l'État. Par ailleurs, la péréquation prend une part de plus en plus importante puisqu'elle s'est accrue, toutes collectivités confondues, de 3 milliards d'euros entre 2004 et 2014.

Dans la mesure où la DGF constitue un prélèvement sur les recettes de l'État, elle est nécessairement libre d'emploi. Le respect de l'autonomie locale doit donc nous inciter à la prudence face aux tentations, qui s'expriment parfois, de lui assigner de nouvelles finalités. Je pense par exemple aux propositions, qui ont été faites dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, de la moduler en fonction des économies réalisées en matière d'éclairage public. Je crois que nous devons nous en tenir aux finalités actuelles de la DGF.

Celle-ci a fait l'objet, ces dernières années, de nombreuses modifications, qui loin d'avoir clarifié le dispositif, ont au contraire contribué à le compliquer, notamment en sédimentant les injustices.

Ainsi, les critères d'éligibilité et de répartition sont très nombreux – trente pour le bloc communal, quinze pour les départements et neuf pour les régions –, mais leur diversité permet de tenir compte des spécificités de nos territoires. C'est pourquoi il me paraît utopique de vouloir limiter leur nombre à trois. En revanche, il importe que ces critères soient robustes, donc pérennes, et facilement recensables.

La DGF des communes s'élève, en 2015, à 14,5 milliards d'euros. On s'aperçoit que les écarts-types de DGF par habitant sont importants dans l'ensemble des strates démographiques, y compris dans celle des plus petites communes, puisqu'il est de 103 euros, par exemple, dans les communes de moins de 500 habitants. Ce constat a été une surprise pour beaucoup, car on entend souvent dire que les communes rurales sont pénalisées par rapport aux communes urbaines, en raison notamment du coefficient logarithmique. Or, si celui-ci joue un rôle, on observe que les écarts de DGF par habitant sont davantage marqués entre les communes d'une même strate démographique.

Comment expliquer de tels écarts ? Il se trouve qu'ils sont principalement liés aux compléments de garantie. Ceux-ci peuvent en effet varier de 10 euros à 200 euros par habitant pour les communes de 100 000 à 300 000 habitants, et de zéro euro – à Tassin ou à Martigues par exemple – à 392 euros par habitant – à Vichy – pour les communes de 20 000 à 50 000 habitants.

Les dotations de péréquation ont énormément augmenté ces dernières années, sans que cette augmentation se soit accompagnée d'une rationalisation alors même que la péréquation, que ce soit dans le cadre de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale – DSU – ou de la dotation de solidarité rurale – DSR –, est extrêmement saupoudrée : 97 % des communes de moins de 10 000 habitants sont éligibles à la DSR, 75 % de celles de plus de 10 000 habitants sont éligibles à la DSU, et 66 % des communes sont éligibles à la dotation nationale de péréquation – DNP. Tout le monde est bénéficiaire, et il n'est dès lors plus permis de parler de péréquation.

Le même constat peut être fait pour les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI. Il existe des écarts-types pour tous, petits ou grands, dont l'origine se trouve également dans les compensations, c'est-à-dire les composantes figées.

La DGF des EPCI représente 6,5 milliards d'euros, contre 14,5 milliards pour les communes. Les critères de répartition de la dotation d'intercommunalité sont largement insuffisants pour appréhender le niveau réel d'intégration d'un établissement. Cela pouvait se comprendre il y a dix ans, lorsque nous avions une carte intercommunale à trous, mais, dès lors que nous aurons au 1er janvier 2016 une carte de France couverte en intercommunalités, cela ne peut rester en l'état. En tout cas, la catégorie juridique de l'EPCI n'est plus suffisante pour apprécier la réalité des compétences exercées. Le rapport des inspections générales de l'administration et des finances sur la mutualisation tire la même conclusion.

La DGF des EPCI n'est pas autonome mais étroitement imbriquée avec celle des communes. Cela ne contribue pas à la lisibilité du système, et c'est pourquoi nous proposerons une DGF autonome.

J'en viens précisément aux pistes de réforme du rapport, actuellement à l'étude par les groupes de travail du CFL. Plutôt que de présenter des scénarios clefs en mains, la mission a préféré proposer différentes pistes, selon différents leviers, dont certains peuvent se combiner entre eux, tandis que d'autres sont exclusifs les uns des autres.

La première piste porte sur la dotation forfaitaire des communes. En 2014, cette dotation se composait d'une dotation de base appliquant le fameux coefficient logarithmique, d'une dotation de superficie, avec un bonus pour les zones de montagne et un plafonnement pour la Guyane, d'une dotation pour parcs naturels et parcs marins, d'une dotation de compensation ainsi que d'un complément de garantie. Soit cinq composantes. En loi de finances pour 2015, nous avons consolidé le dispositif, avec une dotation forfaitaire n-1 et une partie assise sur la variation de la population. Le système est ainsi bien plus simple, puisque nous sommes passés de cinq composantes à deux, mais cela a consolidé les inégalités et les a rendues plus opaques.

La mission propose donc une dotation forfaitaire à quatre composantes. La première serait une dotation universelle – le nom ne plaisant pas au président du CFL, elle pourrait être appelée autrement – suivant l'idée présentée dans le rapport de Jean Germain en 2013 au Sénat, sur la proposition de loi tendant à l'égalité des territoires. C'est ce que Mme Marie-France Beaufils avait appelé le « minimum à vivre », M. Charles Guené le « minimum vital ». Il s'agit de donner un minimum à chaque commune, la même somme pour toutes. Cela équivaut à la dotation de base.

À quoi s'ajouterait une dotation pour « charges de centralité » ou « charges d'urbanisme ». C'est là que se situe le point le plus épineux, car nous buttons sur les critères servant à déterminer ces charges.

Une troisième enveloppe serait une dotation pour charges de ruralité, qui fait, quant à elle, consensus, les critères étant bien identifiés : longueur de voirie, densité, nombre d'enfants scolarisés.

Enfin, une dotation de transition permettrait de lisser la réforme dans le temps. Sa masse serait fonction des autres enveloppes, dans un dispositif en cascade.

Deuxième piste : il existe un consensus pour recentrer la péréquation. Nous proposons de réaliser une simulation de la suppression des deux catégories démographiques existant aujourd'hui dans la DSU, avec un resserrement des conditions d'éligibilité ainsi qu'une suppression de la cible, dont les effets de seuil sont terribles, et son remplacement par un coefficient de majoration pour les communes les plus défavorisées.

Nous proposons de même un resserrement des conditions d'éligibilité à la DSR. Nous proposons en outre d'étudier la fusion de la fraction péréquation et de la fraction cible, et, comme pour la DSU, de supprimer la cible et de la remplacer par un coefficient de majoration. L'Association des maires ruraux de France, que nous avons auditionnée tout à l'heure, propose de fusionner les trois parts de la DSR, alors que nous pensions plutôt à une fusion de deux parts conservant la part « bourg-centre ».

Nous proposons par ailleurs la suppression de la DNP, pour répartir entre les deux péréquations DSU et DSR les 795 millions d'euros qui lui sont consacrés dans la part forfaitaire. Sur nos 36 800 communes, seules quatre-vingt-deux ne touchent que la DSR ; les autres touchent soit la DSU soit les deux. En supprimant la DNP, nous ne changerions rien à la masse mais nous simplifierions grandement le système. En outre, la DNP est la dotation la moins péréquatrice puisqu'elle n'est fondée que sur des critères de ressources et non de charges. Nous proposons par ailleurs de rendre plus péréquatrice la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer – DACOM.

Enfin, il faut absolument se doter d'une vision consolidée des péréquations verticale et horizontale afin d'analyser les effets contre-péréquateurs et sur-péréquateurs.

Un mot sur l'effet de la DSU cible. Alors que la deux cent cinquantième commune touche 144 464 euros, la deux cent cinquante et unième ne perçoit rien. L'effet de seuil est terrible, et c'est exactement la même chose pour la DSR. Concernant cette dernière dotation, nous pourrions prévoir un plancher, comme pour la DNP, sachant qu'il existe une commune touchant seulement 73 euros au titre de la DSR.

La troisième piste serait de travailler à une DGF des EPCI distincte de celle des communes. L'architecture en serait la suivante : une dotation universelle pour tous les EPCI, plus une dotation de péréquation – les communautés urbaines et les métropoles, dont le nombre est appelé à croître, n'ont aujourd'hui aucune péréquation – et une dotation d'intégration et de mutualisation, sous réserve de trouver le bon critère – les effets pervers de l'actuel coefficient d'intégration fiscale – CIF – sont bien connus, et nous avons voté, dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, un coefficient qui n'est pas opérationnel aujourd'hui et ne le sera pas plus demain, mais la mission des inspections générales propose, sans toutefois l'avoir testé, un coefficient de mutualisation. Enfin, une dotation de transition permettrait de lisser la réforme dans le temps.

La quatrième piste, la plus contestée, concerne la création d'une « DGF locale ». Si les associations d'élus se montrent très réticentes, j'insiste néanmoins pour que cette piste soit étudiée. Elle ne signifie la disparition des communes, bien au contraire. Il s'agit simplement de tenir compte du fait intercommunal. Entre une commune ayant un CIF de 0,9 et une autre un CIF de 0,2, entre la commune de Verdun qui a tout transféré à son intercommunalité et une autre qui a encore quasiment tous les services à charge, la situation est bien différente. La DGF locale est le seul système qui permettrait de tenir compte de cette différence.

Cette DGF locale pourrait être mise en place selon différents scénarios. Il est tout d'abord possible d'en territorialiser une partie seulement, soit la péréquation, soit la part forfaitaire. Un scénario plus ambitieux serait de territorialiser l'ensemble. Une autre solution, à laquelle je n'avais pas pensé et qu'a évoquée la direction générale des collectivités locales, serait de territorialiser la seule dotation de transition, puisque c'est elle qui centralise les compléments de garantie, donc les inéquités.

La cinquième et dernière piste est transversale et concerne les critères. Le critère de la population n'est pas en cause, même si certains maires, notamment de grandes villes, nous disent que le décalage temporel du recensement pose problème. Le critère des logements sociaux devrait être amélioré en harmonisant le périmètre avec celui de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Le critère du revenu moyen est disponible, ce qui n'est pas certain pour le revenu médian, en tout cas pas pour toutes les collectivités : nous attendons une réponse de la direction générale des finances publiques à ce sujet. Le critère de l'effort fiscal fait beaucoup débat : de nombreux élus demandent qu'il en soit tenu compte de manière plus importante. Enfin, la question du potentiel fiscal et du potentiel financier est liée à l'obsolescence des bases. La réforme des valeurs locatives est elle aussi indispensable. Si nous prévoyons une réforme de la DGF, il ne faudra pas omettre une clause de revoyure au moment de la révision des valeurs locatives.

Sans aucun esprit polémique, nous nous interrogeons sur la capacité à mener de front toutes les réformes : loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (« NOTRe »), refonte de la DGF, réforme des valeurs locatives, baisse des dotations. Une pause de la péréquation verticale ne serait-elle envisageable si nous parvenons à réforme la DGF de façon qu'elle soit d'emblée plus péréquatrice ?

Je dois enfin souligner que nous avons été quatre à travailler sur cette mission : Jean Germain et moi-même, ainsi que Mme Clémence Olsina, du Conseil d'État, et Mme Hélène Martin, de l'Inspection générale de l'administration, que je remercie vivement.

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