Intervention de Christophe Priou

Réunion du 17 juin 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Priou :

Puisque nous sommes dans le cadre de la procédure accélérée, je souhaite que nous examinions d'autres textes selon cette procédure, notamment au sujet de la reconnaissance et la transcription dans le code civil du préjudice écologique et de la lutte contre les atteintes à l'environnement… (Approbations sur divers bancs)

Pour le groupe Les Républicains, la réforme présentée montre ses limites et ses insuffisances, et repose sur un constat erroné et incomplet de la situation.

Lorsque l'on nous dit que, malgré la réforme opérée par la loi du 9 juin 1992, les règles d'emploi des dockers restent adossées au statut de l'intermittence, c'est une contre-vérité et une explication lacunaire.

Contre-vérité car, des trois principaux ports maritimes de notre pays, à savoir Le Havre, Marseille et Dunkerque, seul Marseille a encore des dockers intermittents, et leur nombre total est inférieur à 6 % des dockers travaillant dans l'ensemble des ports français.

Explication lacunaire, car ces dockers intermittents, qui n'ont pas été mensualisés en 1992, ont conservé ce statut de par leur volonté individuelle ou collective, alors que de très nombreux dockers ont été mensualisés dans tous les ports, notamment à Marseille. Ce refus de mensualisation, contraire à l'esprit du législateur de 1992, n'a pas remis en cause le maintien de la carte de docker professionnel intermittent. C'est pour cette raison qu'il reste quelques dockers professionnels intermittents dans les ports. C'est aussi parce que la loi de 1992 n'a pas été appliquée dans certains ports.

S'agissant des priorités d'emploi visées par le texte, la proposition est étonnante dans sa formulation, car tous les dockers suivent des formations professionnelles depuis la réforme de 1992.

La question des règles de sécurité, est, certes, primordiale, mais les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fonctionnent dans tous les ports. Mettre en cause l'existence des dockers intermittents est un non-sens, puisque ceux-ci sont en voie de disparition en raison des mesures d'âge. Les dysfonctionnements sociaux observés dans quelques ports ne sauraient justifier une loi !

Le texte met l'accent sur l'extension de la possibilité offerte à des industriels positionnés sur les ports de faire effectuer les opérations de manutention par leur propre personnel. Mais, au nom de la compétitivité française, d'une part, et de la nécessité de créer de nouvelles filières import-export en France, d'autre part, il faut garantir la liberté de l'opérateur ou de l'industriel de choisir son mode opérationnel.

Par ailleurs, le texte ne dit pas quelles seraient les qualifications requises et pourquoi les dockers ne pourraient les avoir. Il parle de dangerosité, mais aucune manutention horizontale ou verticale ne saurait être plus dangereuse que toutes celles qu'effectuent les dockers au quotidien.

L'élaboration d'une charte nationale adossée à la loi serait une étrange innovation. Les parlementaires devraient d'abord inciter les partenaires sociaux à travailler sur la charte avant de légiférer. C'est le contenu de cet accord-cadre qui doit guider l'écriture parlementaire et non l'inverse si l'on attache un minimum d'importance au dialogue social.

Cette idée de charte est acceptable à condition qu'il s'agisse d'un accord-cadre souple, permettant un « sur-mesure » port par port. Le port de Roscoff, avec onze dockers, et ne traitant pas les conteneurs, ne peut avoir la même approche que celui du Havre avec ses 2 000 dockers.

Des accords sont trouvés dans les ports où la qualité du dialogue social est une réalité. Ce sont d'ailleurs ces industriels qui demandent le concours des ouvriers dockers dûment formés pour effectuer les travaux. La fiabilité du travail et des services est le critère premier de la compétitivité des ports.

Il y a un manquement grave dans le texte. Dans l'article 8, le premier alinéa de l'article L. 5343-8 du code des transports, soumis à modification, indique : « qui comportent la présence d'une main-d'oeuvre d'ouvriers dockers intermittents. ». Il conviendrait d'ajouter : « et de dockers occasionnels ».

Il faut savoir également que le nombre de dockers professionnels mensualisés est en hausse – près de 4 000 actuellement –, ce qui est un bon signe pour la santé de nos ports ; qu'il reste seulement quelques dockers professionnels intermittents, car refusant d'être mensualisés, notamment à Marseille. Ils ne sont que 130. Un nombre plus important de dockers occasionnels – environ 1 000 réguliers – travaillent sur les ports, et sont doublement indispensables aux entreprises portuaires.

Ces dockers occasionnels permettent, d'abord, de répondre aux fluctuations des activités. Ensuite, ils constituent la réserve des futurs dockers mensualisés, comme le stipule la loi du 9 juin 1992. Ils possèdent, à travers leurs vacations travaillées, des acquis et des compétences, et suivent aussi des formations.

Soit dit en passant, dans le cadre du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), le Sénat a réintroduit le transfert des ports maritimes et intérieurs des départements aux autres collectivités territoriales. L'Assemblée nationale n'a pas conservé ce principe. Rappelons que c'est la connexion aux grands ports maritimes qui génère les flux de la mondialisation.

Aujourd'hui, nous n'avons plus de vision stratégique d'aménagement du territoire et nous allons prendre du retard dans bien des domaines. Cette situation n'aidera certainement pas nos ports à se replacer dans les quarante premiers ports mondiaux.

Pour conclure, il n'y a pas lieu de modifier la loi en l'état puisque cela ne résout rien. Avec ce texte, nous risquons de générer des conflits en opposant les catégories de travailleurs, des contentieux sans fin, des blocages de l'économie et de la logistique du transport.

Pour ces raisons, nous ne soutiendrons pas ce texte.

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