Intervention de Philippe Duron

Réunion du 17 juin 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron, rapporteur :

Il s'agit d'un texte à la fois très technique et très simple, qui a trois objectifs. Le premier est d'adapter le droit aux évolutions démographiques de la population des dockers. Le deuxième est de clarifier le domaine d'intervention des ouvriers dockers sur le domaine public portuaire. Le troisième est de transposer les résultats de la négociation entre les parties prenantes de la manutention portuaire, lancée en 2013 par le Gouvernement.

Tributaire des incertitudes météorologiques, des rythmes saisonniers et des aléas du commerce, la manutention portuaire a, dès l'Ancien Régime, fait l'objet d'une organisation particulière, notamment pour l'emploi de la main-d'oeuvre.

Le XXe siècle a été marqué par un effort continu pour favoriser la constitution d'un noyau de main-d'oeuvre stable dont la gestion permette cependant une adaptation aux fluctuations caractéristiques de l'activité portuaire.

La loi du 6 septembre 1947 a constitué de ce point de vue une étape cruciale, en permettant de concilier deux objectifs apparemment exclusifs, la flexibilité et la stabilité.

Elle a conduit à former un noyau de main-d'oeuvre composé de dockers titulaires d'une carte professionnelle délivrée par le bureau central de la main-d'oeuvre (BCMO) de chaque port. Ce bureau supervisait également l'embauche des dockers, qui avait lieu deux fois par jour. Les dockers titulaires de cette carte étaient embauchés pour une journée ou une demi-journée, en fonction de l'activité portuaire. Si l'activité n'était pas suffisante, ceux qui n'avaient pas pu être embauchés recevaient une indemnité de garantie versée par le bureau.

Pour contrebalancer le caractère intermittent de leur activité, les dockers bénéficiaient d'une priorité d'embauche pour certains travaux de manutention portuaire définis par décret. En contrepartie, ils devaient pointer à l'embauche deux fois par jour et étaient sanctionnés s'ils ne respectaient pas cette obligation.

Par ailleurs, pour faire face aux besoins créés par une suractivité ponctuelle, il était possible de faire appel à des dockers occasionnels, qui ne bénéficiaient pas des mêmes garanties que les dockers professionnels, mais n'étaient pas non plus soumis aux mêmes contraintes.

Ainsi, la priorité d'embauche des dockers sur les autres personnels se doublait d'une priorité d'embauche des dockers intermittents sur les dockers occasionnels.

Le bouleversement des méthodes de travail portuaires, lié au développement de la mécanisation et de la conteneurisation, a contribué à remettre en cause le régime d'emploi des dockers fixé par la loi de 1947. Défaillant tant sur le plan économique que sur le plan social, il a été réformé par la loi du 9 juin 1992, dite loi Le Drian, qui a modifié le régime du travail dans les ports maritimes et est restée dans toutes les mémoires.

L'un des objectifs principaux de ce texte était le remplacement du régime de l'intermittence généralisée par une mensualisation des dockers professionnels dans le cadre de contrats à durée indéterminée, relevant du droit commun du travail.

En conséquence, la loi de 1992 a interdit la délivrance de cartes professionnelles pour l'avenir, programmant ainsi l'extinction progressive du régime de l'intermittence. Un régime transitoire a toutefois été mis en place pour les dockers qui étaient titulaires à cette date de la carte professionnelle et qui ne souhaitaient pas passer à la mensualisation. C'était un encouragement, pas une obligation.

Ces dockers, appelés « dockers professionnels intermittents », sont aujourd'hui moins de soixante-dix à exercer leur activité sur un port, les autres étant notamment en congé de longue maladie. Les dockers intermittents devraient partir à la retraite d'ici à 2018.

La rédaction des articles du code des transports régissant la priorité d'embauche des dockers présente certaines ambiguïtés. Celles-ci ont généré localement des contentieux, qui ont fait craindre aux acteurs portuaires que la disparition du dernier docker intermittent sur un port donné n'implique la suppression de la priorité d'embauche dont bénéficient sur ce port les dockers professionnels mensualisés créés par la loi de 1992, ainsi que les dockers occasionnels, qui n'ont pas été supprimés par cette loi.

C'est un contentieux de ce type, intervenu en 2013 à Port-la-Nouvelle, dans l'Aude, qui a entraîné la mise en place du groupe de travail à l'origine de la présente proposition de loi.

Ce groupe de travail a rassemblé, autour de Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque – aujourd'hui inspectrice générale de l'écologie et du développement durable –, l'ensemble des acteurs du secteur de la manutention portuaire : syndicats de dockers, représentants des entreprises de manutention, représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, autorités portuaires, membres de l'administration en charge du transport maritime et personnalités qualifiées.

Ce groupe a tenu une trentaine de réunions en 2014. Tous les membres du groupe que nous avons auditionnés ont témoigné de l'esprit constructif qui a animé ses participants et de la qualité du travail effectué à cette occasion.

La présente proposition de loi permettra, par la sécurisation juridique du régime de priorité d'embauche, de pérenniser l'emploi des dockers, dont le professionnalisme est nécessaire pour assurer la sécurité d'une manutention très délicate et de plus en plus technique.

Ces derniers disposent de savoir-faire spécifiques, que la formation initiale comme l'expérience accumulée leur permettent de faire fructifier chaque jour.

Ces savoir-faire sont précieux pour des raisons d'intérêt général, car ils permettent d'assurer en toute sécurité le chargement et le déchargement de cargaisons parfois dangereuses à l'aide d'outillages complexes à manipuler. En outre, la sécurité sur les ports est un problème important ; on ne peut pas laisser pénétrer dans les enceintes portuaires tout un chacun !

Ces savoir-faire sont également précieux, car ils sont un gage de la compétitivité des places portuaires françaises soumises à une concurrence accrue dans le cadre de la mondialisation.

C'est pourquoi je profite de l'occasion qui m'est donnée ici pour appeler l'ensemble des acteurs du secteur à poursuivre et à approfondir leur effort en faveur du développement d'un système de qualification assurant à tous les dockers le meilleur développement possible de leurs compétences et aux entreprises qui les emploient la garantie de la plus haute technicité.

Le premier objet du texte est de supprimer toute corrélation entre l'existence d'un régime de priorité d'emploi des dockers et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire.

Dans ce but, la présente proposition de loi procède à une série d'ajustements techniques.

L'article 1er supprime la liste nationale des ports maritimes de commerce où est présente une main-d'oeuvre de dockers intermittents. Cette liste était jusqu'ici fixée par un arrêté du 25 septembre 1992. Elle est devenue obsolète.

Les articles 3, 4 et 5 précisent la définition des ouvriers dockers professionnels mensualisés et intermittents et des ouvriers dockers occasionnels.

L'article 7 améliore la rédaction de l'article du code des transports qui fixe le principe de la priorité d'emploi des dockers mensualisés sur les dockers intermittents et des intermittents sur les occasionnels.

Les articles 2 et 8 procèdent à des corrections rédactionnelles.

Le second objet de ce texte est de clarifier le périmètre de la priorité d'emploi des dockers, qui a donné lieu à nombre d'interprétations divergentes par le passé.

Une telle évolution est d'autant plus nécessaire que la loi dite Bussereau du 4 juillet 2008 a entraîné d'importants changements dans le domaine de la construction et de la gestion des outillages. Nous avons procédé, par cette loi, à une unification de ce que l'on appelle la manutention horizontale, c'est-à-dire les gens qui travaillent sur le quai, et de la manutention verticale, c'est-à-dire les gens qui actionnent les grues et les portiques. Cette loi a rendu obsolètes les notions de « postes publics » et de « lieux à usage public » employées par les textes réglementaires d'application de la loi de 1992.

L'article 6 propose donc une nouvelle rédaction de l'article L. 5343-7 du code des transports qui, pour définir ce périmètre, se bornait jusqu'ici à évoquer « les travaux de manutention définis par voie réglementaire ».

Désormais, cet article indique qu'afin de garantir la sécurité des personnes et des biens, un décret en Conseil d'État détermine les travaux de chargement et de déchargement des navires et des bateaux dans les ports maritimes de commerce qui sont prioritairement effectués par des ouvriers dockers ».

Toutefois, les conditions dans lesquelles ces travaux sont effectués pour le compte propre d'un titulaire d'un titre d'occupation domaniale comportant le bord à quai sont fixées conformément à une charte nationale. Il s'agissait d'une question épineuse, en raison d'un problème de compatibilité avec le droit européen.

Le propriétaire d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT) est un entrepreneur qui peut librement exercer son activité. On ne peut pas mettre d'entraves à la concurrence et aux initiatives. Alors, comment gérer sur le port à la fois la priorité d'embauche des dockers et la liberté d'exercice permise par l'AOT ? Il ne pouvait donc pas y avoir une réglementation impérative. Il fallait trouver une solution plus souple, fondée sur la négociation. C'est ce qui a été engagé par les différentes parties prenantes au sein de la commission présidée par Mme Martine Bonny. C'est ainsi qu'est né un projet de charte, élaboré dans le cadre de ce groupe de travail.

La charte nationale concerne les nouvelles implantations industrielles en bord à quai et prévoit une procédure comportant de la part de chacun des acteurs concernés des engagements clairs en termes de fiabilité et de compétitivité, sur la base d'un respect mutuel. Il importe que cette charte, qui a fait l'objet d'un travail d'élaboration poussé, soit signée au plus tôt pour combler un vide juridique.

La proposition de loi dont je suis le rapporteur ayant fait l'objet d'une concertation approfondie entre tous les acteurs, je ne vous proposerai d'adopter que quelques amendements rédactionnels, qui permettront de faciliter son application en renforçant sa lisibilité et en limitant toutes les ambiguïtés.

Par ailleurs, je vous proposerai d'adopter un article additionnel demandant la remise d'un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre de la charte nationale prévue par l'article 6. En effet, le fait que la loi instaure le recours à une charte dans le domaine des relations sociales dans la manutention portuaire constitue une innovation, tant sur le plan juridique que sur le plan pratique. Le Parlement doit donc prêter une grande attention à l'application qui sera faite du dispositif ainsi qu'aux retours d'expérience sur ce sujet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion