Intervention de Nicolas Chantrenne

Réunion du 9 juin 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Je vous présenterai quant à moi l'état d'avancement de la révision en cours du processus d'études de dangers des gares de triage. La mission du CGEDD intervient au terme d'une série d'études de dangers concernant les principales infrastructures où passent des marchandises dangereuses, telles que les ports, les plateformes intermodales ou les gares de triage. Le Gouvernement prépare une initiative sur cette question.

Rappelons d'abord le contexte réglementaire actuel. Adoptée à la suite de la catastrophe de l'usine AZF en septembre 2001, la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, dite loi « risques », prévoit, à l'article L. 551-2 du code de l'environnement, que, « lorsque du fait du stationnement, chargement ou déchargement de véhicules ou engins de transport contenant des matières dangereuses, l'exploitation d'un ouvrage d'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou de navigation intérieure ou d'une installation multimodale peut présenter de graves dangers pour la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques, directement ou par pollution du milieu, le maître d'ouvrage fournit à l'autorité compétente une étude de dangers. Cette étude est mise à jour tous les cinq ans ».

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2, prévoit quant à elle, à l'article L. 551-3 du code de l'environnement, que « le représentant de l'État dans le département peut, par arrêté, fixer les prescriptions d'aménagement et d'exploitation des ouvrages d'infrastructure jugées indispensables pour préserver la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques directement ou indirectement par pollution du milieu ». Le code de l'urbanisme dispose enfin, à l'art. L. 121-2, que « le préfet leur transmet [communes et groupements compétents] à titre d'information l'ensemble des études techniques nécessaires à l'exercice de leur compétence en matière d'urbanisme dont il dispose ». Tel est le socle législatif.

Les infrastructures soumises à étude de dangers en vertu du décret n° 2007-700 du 3 mai 2007 et de l'arrêté du 15 juin 2012, sont les aires de stationnement de grande capacité ; les ports intérieurs et ports maritimes à fort trafic ; les gares de triage ou faisceaux de relais dans lesquels sont présents simultanément un nombre moyen de wagons de matières dangereuses supérieur à 50, soit Drancy, Woippy, Sibelin, Miramas ; les plate-formes multimodales répondant à ces critères.

L'arrêté du 18 décembre 2009 et la circulaire du 4 mars 2010 précisent le contenu des études de dangers, les phénomènes dangereux et les seuils d'effet à prendre en compte, notamment les probabilités forfaitaires des phénomènes dangereux. Je précise que ces probabilités forfaitaires majorées sont appliquées d'office en l'absence de données pour évaluer le danger. Quant à la circulaire du 19 novembre 2012, elle précise les modalités d'instruction des études de dangers, la mise en place de mesures de maîtrise des risques, via une matrice de priorisation, ainsi que le contenu du porter-à-connaissance à réaliser par le préfet.

Prenons deux exemples concrets, celui de la gare de triage de Drancy-Le Bourget et celui de Woippy. S'agissant du chlore, l'opérateur ferroviaire doit attendre que le wagon qui en est chargé soit en position définitive avant d'envoyer le wagon suivant. À la suite d'une étude de dangers du 26 avril 2010, puis de compléments remis par RFF en avril puis août 2011, trois grandes zones de risques létaux aux effets rapides ont été identifiées : de 0 à 250 mètres : risques létaux dus aux effets thermiques et de surpression ; de 250 à 620 mètres : risques létaux dus aux effets toxiques, hors chlore ; de 620 à 2 600 mètres : risques létaux dus aux effets toxiques du chlore.

Un porter à connaissance du préfet, en date du 22 avril 2013, préconise des restrictions fortes de l'urbanisation jusqu'à 620 mètres. Un arrêté préfectoral du 6 mars 2013 prescrit notamment la procédure « marchandise fragile » pour le chlore proposée par la SNCF. Cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif de Montreuil, le 11 décembre 2014, au motif que certains points n'avaient pas été examinés de manière suffisamment approfondie dans l'étude de dangers. Le problème qui se pose à Drancy-Le Bourget est celui que les zones très denses qui entourent le triage sont des zones où le gel des constructions a un impact important.

Le cas de la gare de triage de Woippy, près de Metz, suit le même calendrier. Après la remise d'une étude de dangers par RFF, le 14 avril 2009, et une demande de compléments par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en août 2009, des compléments furent apportés par RFF en novembre 2010 puis en avril 2011. Une nouvelle étude de dangers fut remise en janvier 2012. Après rapport d'instruction remis par la DREAL en juillet 2013, un arrêté préfectoral de prescriptions fut publié le 30 janvier 2014.

En matière de maîtrise de l'urbanisation, une étude de dangers avait été prescrite et réalisée en 1997. Sur cette base, un projet d'intérêt général (PIG) a été prescrit par arrêté préfectoral du 23 juillet 1999, définissant un périmètre de protection et fixe des règles d'occupation des sols dans les rayons de 350 mètres et 500 mètres. Le PIG a été renouvelé régulièrement. Mais il n'y a pas eu porter-à-connaissance par le préfet.

Les études de dangers présentaient des résultats surélevés du fait du manque de données affinées et de l'application de probabilités forfaitaires. Les mesures qui en découlaient apparaissaient dès lors surdimensionnées par rapport aux installations classées par exemple. Aussi avons-nous décidé de lancer une étude d'accidentologie européenne. Cette décision de raffiner la méthodologie des études de dangers fut retenue fin 2011. Un appel d'offre a été publié, le 2 mai 2012, pour réaliser une étude complémentaire approfondie sur l'accidentologie européenne dans les gares de triage. Le prestataire retenu est DNV. Ses travaux ont commencé début 2013, grâce à des experts basés en France, au Royaume-Uni et en Norvège.

Dans une première phase, un état des lieux est dressé sur au moins 10 ans, dans dix pays enquêtés avec l'appui de l'Agence Ferroviaire Européenne (ERA) : France, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Finlande, Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Espagne. Trois pays ont pu fournir des données d'accidentologie : France, Suisse, Finlande. Après le diagnostic, puis l'analyse et les propositions, un rapport remis au premier trimestre 2014 a permis d'objectiver les zones de dangers.

Ses conclusions sont que le risque se concentre sur la partie débranchement et le début du faisceau de formation. Les faisceaux de réception et de départ peuvent quasiment être négligés, ce qui réduit d'autant les éventuels périmètres d'effets. L'étude fine des causes et événements, suivant un diagramme « noeud papillon », a permis le calcul de probabilités affinées. Les probabilités par wagon sont estimées, suivant les phénomènes, de l'ordre de 10-7 à 10-12, contre des ordres de 10-6 à 10-8 dans la circulaire de 2010. Les probabilités d'accidents affinées sont donc beaucoup plus faibles que les probabilités génériques.

Sur cette base, un projet de note technique est finalisé entre la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), modifiant les circulaires du 4 mars 2010 et du 19 novembre 2012 pour les gares de triage. Quant à la localisation des phénomènes dangereux, seules les zones de débranchement et de formation sont à considérer. Une préconisation du CGEDD est prise en compte, à savoir la possibilité de restreindre les événements sources au faisceau de formation amont, sous réserve de la mise en place de mesures additionnelles sur le faisceau de formation aval : doubles cales, interdiction des manoeuvres concomitantes. S'agissant de la probabilité des phénomènes dangereux, sont prises en compte des probabilités issues de l'étude DNV. De nouveaux dispositifs techniques de sécurité internationaux obligatoires et rétroactifs sur les wagons contenant les substances les plus dangereuses, tel le chlore, sont pris en compte : dispositif anti-chevauchement, tampons fusibles.

Le projet réalise en outre une harmonisation des préconisations d'urbanisme avec celles en vigueur pour le transport de matières dangereuses par canalisation, à savoir, en cas de probabilités de 10-5 à 10-6, en classe E, l'interdiction de construction d'immeubles de grande hauteur (IGH) et d'ERP de plus de 100 ou 300 personnes dans les zones d'effets létaux significatifs ou de premiers effets létaux. En cas de probabilités supérieures à 10-5, des restrictions fortes sont maintenues, mais la possibilité d'autorisations de constructions subsiste sous réserve de ne pas augmenter significativement la population exposée. Nous présenterons ces mêmes éléments devant la commission compétente du Sénat la semaine prochaine.

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