Intervention de éric Rebeyrotte

Réunion du 9 juin 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

éric Rebeyrotte, chargé de mission au Conseil général de l'environnement et du développement durable, CGEDD :

Le RID définit des codes selon les marchandises dangereuses, comme 1203 pour l'essence. À chacun de ces codes correspondent des exigences en matière de citernes, de transport et de mode de triage. Ils renseignent également les pompiers, qui les connaissent bien. Si un problème survient, ils savent ainsi quelle est la marchandise transportée et quelles sont ses caractéristiques.

Quant à la nature des risques, il est vrai que notre mission était davantage orientée sur les incidents, dont une série avait alerté le ministre chargé des transports. Mais l'aspect de la sûreté ne nous a néanmoins pas échappé. Nous avons fixé notre attention sur les clôtures et les dispositifs de protection, qui seront renforcés. Il n'en demeure pas moins que l'effet d'un attentat à la bombe est plus important dans une gare de transport de personnes, où un criminel peut en outre espérer être noyé dans la foule.

Au passage du wagon, l'ordinateur du centre de triage calcule la force de freinage nécessaire pour que le wagon sorte de la bosse à la vitesse requise.

Quant à la localisation des accidents ou incidents ferroviaires dans le monde, les plus significatifs, tels qu'à Viareggio (Italie) en 2009 ou au lac Megantic (Canada) en 2013, ont lieu essentiellement sur voie principale. Un seul accident grave est connu en triage gravitaire, à Kijfhoek (Pays-Bas) en 2011, à 24 kilomètre-heure, avec épanchement majeur d'éthanol, du fait d'un mode de défaillance contraire à la sécurité, mais sans victime.

À Kijfhoek, aux Pays-Bas, la collision était due à une reprogrammation tardive de l'ordinateur commandant l'automate traitant à la bosse les wagons à trier. En France, si un doute survient, le frein est actionné de manière plus puissante. Mieux vaut en effet bloquer un wagon tout de suite que l'envoyer à toute vitesse au fond de la gare de triage comme aux Pays-Bas, où la collision fut suivie d'un incendie. Par contrecoup, les accidents sont plus nombreux en France au pied de la butte quand le freinage y est trop fort. Mais c'est l'endroit où les wagons sont le plus visibles, sans qu'une contagion à d'autres wagons soit possible. L'une de nos préconisations vise justement à conserver cette zone de vigilance au pied de la butte, car nous voulons éliminer le risque résiduel au fond.

Avant que nous commencions nos travaux, cinq incidents avaient eu lieu en deux mois. C'était beaucoup. Pendant nos investigations, qui ont duré cinq mois, huit incidents étaient à déplorer, ce qui était un niveau plus raisonnable. Depuis lors, le rythme des incidents a encore ralenti. Si l'on observe l'évolution depuis des incidents depuis 2009, les années 2009-2012 forment une période chahutée. Puis une baisse des incidents s'observe. Une légère remontée fin 2013 n'a cependant pas fait naître de tendance à l'aggravation. Sur les quatre triages principaux, depuis 2010, le nombre annuel d'incidents classés type 2, c'est-à-dire avec appel aux services de secours, est globalement stable pour cause ferroviaire ; il est en baisse pour les causes liées aux industriels, à savoir petites fuites et odeurs non dues à un choc. Rappelons que le principe de précaution nous impose d'appeler les services de secours même dans ces cas.

Nous avons formulé non moins de dix-sept recommandations, mais nous avons constaté que l'état global des infrastructures de triage est très correct au niveau de la bosse et de sa descente, zones qui concentrent les risques de collision forte. Les autres zones sont souvent en moins bon état, mais avec des vitesses pratiquées faibles, donc sans réel danger compte tenu de la résistance des wagons et des citernes. La maintenance semble correctement assurée, mais un contrôle des rails par ultrasons serait souhaitable ; actuellement, ce contrôle n'est pas prévu pour les voies de service.

Un programme de renouvellement des principaux constituants est en cours depuis 2012 ; il devra être poursuivi et intégrer le remplacement des postes gérant les aiguillages et les freins, postes bien conçus, mais vieillissants et d'une ergonomie perfectible. Quant à la qualité d'exploitation des triages, les procédures d'exploitation sont adaptées et respectées : la mission a constaté que les dérives ponctuelles sont identifiées et des remèdes y sont apportés. Il semble y avoir un excès de compartimentation, mais la réforme ferroviaire devrait améliorer les choses. C'est pourquoi la mission recommande de renforcer les échanges d'information entre professionnels aux différents niveaux et sur les sites comme entre sites.

S'agissant des pistes pour réduire le nombre d'incidents, nous poursuivons les actions de sensibilisation menées par les transporteurs auprès des industriels, notamment pour mieux vidanger les conduits lors du chargement ou du déchargement des wagons. Afin de réduire le risque d'une collision en bout de faisceau de tri, nous recommandons de tester la double cale vue à Bettembourg (Luxembourg), pour un meilleur freinage en bout du faisceau de formation, car le locotracteur pousse parfois trop fort, faisant sortir l'essieu de son rail. À cette faible vitesse, cela reste sans conséquence, mais, quand des manoeuvres concomitantes ont lieu pendant le compactage des rames, des heurts peuvent se produire sur le côté à l'aiguillage. Aussi recommandons-nous aussi d'interdire ces manoeuvres concomitantes.

S'agissant des pistes pour réduire le nombre d'accidents de cause ferroviaire, le risque majeur provient d'un wagon mauvais rouleur, qui s'arrête ou est rattrapé par le wagon suivant le heurtant en bas de bosse, à 25 ou 30 kilomètre-heure ; les citernes de chlore sont prévues pour résister à de tels chocs, mais non toutes les citernes. Pour réduire le risque, il faut donc assurer un roulage suffisant des wagons, en respectant les exigences européennes de conception et de maintenance, mais aussi de qualité de la purge sur site. Pour réduire les conséquences d'un accident, il faut mettre en place une alerte qui détecte en haut de bosse les wagons mauvais rouleurs et prévient le freineur, pour qu'il puisse dévier le wagon suivant. Il convient enfin d'assurer un retour d'expérience approfondi sur les chocs à plus de dix kilomètre-heure.

Il y aurait sans conteste à élaborer dès à présent le cahier des charges fonctionnel du futur poste gérant les aiguillages et les freins, car la technologie actuelle date des années 1990.

Concernant la protection du voisinage, les études de dangers ont été conduites sur les quatre sites prévus par l'arrêté du 15 juin 2012 : Sibelin, Woippy, Miramas, Le Bourget-Drancy, ainsi que sur Hourcade. Les préfets ont pris acte des études et prescrit des mesures aux acteurs concernés par le triage ferroviaire, entraînant des restrictions relatives à l'urbanisme, tant pour les établissements recevant du public (ERP) que pour les logements, mais ces restrictions sont mal vécues par les riverains. Une circulaire, s'appuyant entre autres sur les résultats de la mission, devrait toutefois permettre de réduire les périmètres de risques en les centrant au pied de la bosse, moyennant des mesures d'exploitation complémentaires en bout de faisceau.

Pour ce qui est de l'information du voisinage, des commissions d'information se tiennent à l'initiative des préfets. Voici par exemple un communiqué de presse du préfet de la Seine-Saint-Denis lors de la prise en écharpe du 21 novembre 2014 au triage du Bourget : « Vendredi 21 novembre 2014, à 15h15, un incident de traction est survenu entre deux locotracteurs sur le site de la gare de triage du Bourget-Blanc-Mesnil. L'accrochage s'est produit à petite vitesse entre les deux machines suite à une erreur d'aiguillage, provoquant l'inclinaison de l'une d'elles. Les wagons hydrocarbures qu'elles tractaient, étaient vides et n'ont subi aucun dommage ni sortie de rails. Ils ont été débranchés pour permettre la remise en service des locotracteurs. Cet incident de traction ne présente aucun caractère de danger pour les riverains. » La mission recommande aux gestionnaires des triages de renforcer leur communication auprès des élus et du public, tant de façon préventive que lors d'un événement.

La gestion des incidents mérite d'être revue. En effet, la gestion réglementée des événements de sécurité dans les triages est parfois hors de proportion et très néfaste. Tout déraillement même à petite vitesse, jugé par les opérationnels non critique, est classé en type 2 selon l'arrêté interministériel du 12 août 2008, dès qu'un wagon de MD est impliqué. Des minifuites peuvent aussi être classées type 2. Les pompiers envoient alors les moyens maximaux sur une alerte de type 2 en vertu du plan particulier d'intervention (PPI) et de leurs consignes, alors même qu'une simple levée de doute sans urgence suffit la plupart du temps. Ce constat est partagé au sein de RFF et de la SNCF, ainsi que par les autorités administratives.

Cette réglementation très stricte n'accroît pas forcément la sécurité. À force de crier au loup, les pompiers n'interviendront plus avec toute la rapidité et les moyens nécessaires lorsqu'un incident sera vraiment grave. Un groupe de travail a donc vu le jour pour faire évoluer l'arrêté de 2008. Il permettrait de faire évoluer la typologie des alertes de type 1 et 2 de l'arrêté du 12 août 2008, en supprimant le caractère systématique de l'appel aux services de secours pour tout déraillement de wagon de MD.

Il faut renforcer et formaliser la coopération entre exploitants et industriels chimistes pour améliorer la levée de doute avant de saisir les pompiers, mais aussi entre exploitants et pompiers pour une approche complémentaire et coordonnée des actions, dès la rédaction des plans d'urgence interne (PUI) et plans particulier d'intervention (PPI). La SNCF et les pompiers doivent être en confiance réciproque, comme le sont les industriels exploitant des sites Seveso.

La clef du problème réside donc dans une meilleure communication, une prévention des incidents et un entretien des installations. La SNCF a été chargée d'établir un plan d'action, dont elle rend compte au ministère.

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