Intervention de Alain Claeys

Réunion du 26 mai 2015 à 17h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, député, co-rapporteur :

Épigénétique – dont l'étymologie signifie au-delà de la génétique – est un terme qui a été redéfini en 1942 par le biologiste britannique Conrad Waddington.

À travers cette notion, Waddington avait souhaité rapprocher la génétique – science de l'hérédité des caractères, créée à la suite de la redécouverte des lois de Mendel sur l'hérédité à l'aube du XXe siècle – de l'épigénèse, théorie élaborée par Aristote. Pour ce dernier, la complexité des organismes émerge progressivement au cours du développement, ce qui l'avait opposé à la théorie de la préformation selon laquelle l'embryon est un individu miniature – l'homonculus – possédant déjà tous ses organes.

C'est ainsi que Waddington vit l'épigénétique comme la possibilité de comprendre comment un même jeu de gènes – le génotype –, en interagissant avec l'environnement, conduit à des phénotypes, différents dans chaque cellule.

Si, postérieurement à Waddington, la notion de régulation des gènes s'est substituée au terme d'épigénétique, celui-ci est toutefois revenu en force sur la scène scientifique depuis une vingtaine d'années, du fait de l'essor considérable des travaux de recherche intervenus en ce domaine.

Les auditions que nous avons conduites jusqu'à présent nous ont certes permis de constater – comme le rappelle la lettre de saisine – que ces travaux de recherche ont contribué à renouveler la compréhension, le diagnostic et le traitement de nombreuses maladies et pouvaient être porteurs d'importantes innovations thérapeutiques.

Toutefois, nos auditions ont également fait apparaître que cet essor des recherches s'accompagnait de controverses soulevant d'importants enjeux scientifiques et sociétaux.

Dans ce contexte, notre étude de faisabilité, après avoir examiné les liens qui existaient entre la génétique classique et l'épigénétique, a abordé les enjeux scientifiques et technologiques, d'une part, et les enjeux sociétaux, d'autre part.

La question des liens entre la génétique et l'épigénétique est loin d'être négligeable, car elle pose celle de savoir si l'épigénétique peut être considérée comme une nouvelle discipline. À cet égard, nos auditions nous ont permis de constater que la génétique a produit des connaissances considérables sur le vivant, tout en n'étant toutefois pas parvenue à répondre à certaines questions.

Dans l'étude, nous rappelons les étapes principales du progrès continu de ces connaissances, progrès auquel ont également contribué différentes technologies. Celles-ci ont, en effet, permis de revisiter le dogme central de la biologie moléculaire.

Ces innovations technologiques ont reposé notamment sur le séquençage du génome humain.

Jean-Sébastien Vialatte et moi-même avons évoqué, dans le rapport sur la médecine de précision que nous avons présenté l'an dernier, l'ampleur des évolutions issues du séquençage et la baisse drastique des coûts qu'elles ont permis.

Ces progrès ont été poursuivis à travers le projet ENCODE. La revue Nature a publié en 2012 les résultats de ce projet, qui avait été lancé en 2003 par les États-Unis.

Les principaux résultats concernent notamment la notion d'ADN poubelle (en anglais, Junk DNA). Celle-ci désignait jusqu'alors essentiellement la portion d'ADN dont la fonction était encore inconnue, et restait à découvrir.

En effet, le séquençage du génome humain effectué au début des années 2000 avait montré que la fraction d'ADN codant pour des protéines n'excédait pas 1,5 % à 2 % selon les estimations.

Or, ce sont ces estimations que les équipes du projet ENCODE ont très fortement corrigé, puisqu'elles sont parvenues à déterminer une fonction pour 80 % de l'ADN.

Comme l'a rappelé une récente étude, deux questions fondamentales touchant à la fonction des gènes et aux modalités de leur régulation demeurent sans réponse, malgré les avancées issues du projet de séquençage du génome humain :

- la fonction des gènes est d'autant plus mal élucidée que, comme je l'avais déjà indiqué dans un précédent rapport de l'OPECST, la fonction de plusieurs milliers d'entre eux est peu ou pas connue aujourd'hui. Il y a là un enjeu d'autant plus essentiel que la génétique n'est pas parvenue à expliquer la diversité des phénotypes cellulaires. Car, alors que toutes nos cellules sont porteuses de la même information génétique, il existe toutefois plusieurs centaines de types cellulaires aux fonctions et propriétés différentes ;

- pour ce qui est de la régulation des gènes, celle-ci repose, depuis l'avènement de la biologie moléculaire, sur la régulation de la transcription des gènes en ARN messagers et la traduction de ces derniers en protéines, ces processus étant au coeur de la différenciation cellulaire. Or, il apparaît que cette théorie ne rend pas compte de la complexité du système cellulaire, en raison de la diversité du processus de régulation des gènes et de leurs modes d'action.

S'agissant de la compréhension et du traitement des maladies, là encore, la génétique rencontre des limites. Il existe, à l'heure actuelle, beaucoup de maladies présentant une composante héréditaire, dont les anomalies génétiques causales n'ont pas été identifiées. Il s'agit de pathologies appartenant à la catégorie des maladies à déterminisme génétique complexe ou multifactoriel. Au regard de ces limites rencontrées par la génétique classique, l'épigénétique apporte, en premier lieu, trois catégories d'informations supplémentaires sur la régulation de l'expression des gènes, lesquelles ont trait respectivement :

- à la modulation de l'expression des gènes n'entraînant pas de modification de la séquence d'ADN ;

- à la réversibilité des modifications épigénétiques ;

- au caractère transmissible des modifications épigénétiques.

La notion de réversibilité est sans doute ce qui caractérise le plus intrinsèquement une modification épigénétique, et la différencie conceptuellement d'une modification génétique. Cette propriété ouvre de grands espoirs de thérapie, pour une restauration ciblée de profils de méthylation normaux, notamment dans le cas du cancer. Mais il s'agit surtout d'une notion essentielle au développement. Cette flexibilité permet, en effet, le retour d'un état différencié à un état pluripotent et d'accomplir un cycle de vie et l'enchaînement des générations. C'est pourquoi, au cours de nos auditions, nous avons fréquemment évoqué les travaux du généticien japonais Shinya Yamanaka, qui lui valurent le prix Nobel de médecine en 2012. Ces travaux ont montré qu'il est possible de « reprogrammer » des cellules différenciées en cellules souches pluripotentes et, cela, en recourant à la combinaison de seulement quatre facteurs de transcription.

S'agissant de la question du caractère transmissible des modifications épigénétiques, les réponses qui nous ont été apportées lors de nos auditions sont plutôt contrastées. M. Vincent Colot, directeur de l'institut de biologie de l'École normale supérieure, se référant à ses travaux, nous a cité un exemple intéressant de transmission héréditaire de caractères complexes chez la plante.

C'est à propos de l'homme que les analyses sur la possibilité d'une hérédité épigénétique sont les plus contrastées. Car certains déclarent que, jusqu'à présent, il n'existe aucun cas prouvé chez l'homme de transmission de caractères acquis à la descendance. En revanche, d'autres se réfèrent à l'étude sur la famine intervenue aux Pays-Bas durant l'hiver 1944. Les femmes enceintes touchées par cette famine ont ensuite accouché d'enfants de taille inférieure à la moyenne, lesquels, tout au long de leur vie, ont vécu les séquelles de ce manque de nutrition in utero et, malheureusement, l'ont ensuite transmis à leurs enfants. Cette étude – dont les résultats ont été néanmoins contestés – a ainsi suggéré que la nutrition pouvait induire des modifications épigénétiques importantes, celles-ci pouvant, dans certains cas, se transmettre d'une génération à l'autre.

En ce qui concerne l'apport clinique de l'épigénétique, l'étude examine l'identification du rôle des mécanismes épigénétiques dans plusieurs maladies, ainsi que le développement des thérapies épigénétiques. S'agissant tout particulièrement du cancer, il est maintenant admis que les mécanismes épigénétiques y jouent un rôle aussi important que les mécanismes génétiques.

Pour ce qui est du traitement des cancers ou des maladies neurodégénératives, le caractère réversible des mécanismes épigénétiques permet d'envisager la possibilité de corriger certains effets délétères de perturbations antérieures.

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