Intervention de Pascale Boistard

Séance en hémicycle du 11 juin 2015 à 9h30
Signalement de la maltraitance par les professionnels de santé — Présentation

Pascale Boistard, secrétaire d’état chargée des droits des femmes :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, voilà deux fois en moins d’un mois que cette assemblée se réunit pour parler de protection de l’enfance. Nous devons nous réjouir de chaque opportunité qui permet de sortir cette politique de l’angle mort du débat public. Nous devons particulièrement nous réjouir de chaque occasion qui permet à la représentation nationale de se saisir de ces sujets, d’en débattre et de proposer, bien souvent dans le consensus, des réponses qui nous permettent collectivement de mieux protéger les enfants. La preuve en a d’ailleurs été apportée avec la proposition de loi visant à modifier l’article 11 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, que nous allons examiner aujourd’hui, que le Gouvernement a soutenue, et qui a été adoptée à l’unanimité au Sénat.

Ce texte prévoit de rendre plus lisibles pour les médecins les garanties que leur donne aujourd’hui le droit de ne pas être poursuivis lorsqu’ils signalent une situation de maltraitance. Au vu des statistiques indiquant que 2 à 5 % des signalements émanent du corps médical, ce texte partage totalement l’un des objectifs de la réforme de la protection de l’enfance défendue depuis plusieurs mois par Mme Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie : l’amélioration du repérage des situations de danger et de risque de danger.

Avant d’aborder très concrètement le sujet du signalement et de l’information préoccupante, je voudrais rappeler que la protection de l’enfance ne consiste pas uniquement à protéger des enfants de parents dangereux et maltraitants. La protection de l’enfance est une politique complexe, par la diversité des acteurs qu’elle implique et la singularité de chacune des situations. Les violences infligées à un enfant peuvent être physiques ou psychologiques ; elles peuvent être négligence ou indifférence ; elles peuvent aussi être involontairement la conséquence d’un accident de la vie ou d’une tragédie personnelle. À chacune de ces situations, l’aide sociale doit répondre en plaçant un enfant, parfois dans l’urgence, mais aussi en accompagnant les enfants et leurs parents parce que ces derniers en ont besoin à un moment de leur vie.

C’est pourquoi la réponse publique et politique de protection de l’enfance doit être inscrite dans une réflexion globale et toujours centrée sur le meilleur intérêt de l’enfant. La réflexion doit être globale parce que l’enjeu ne consiste pas uniquement à mettre l’enfant à l’abri mais il est aussi de lui garantir toutes les conditions nécessaires à son développement et à son épanouissement. Il faut protéger l’enfant du monde et lui en donner l’accès, pour paraphraser Hannah Arendt. La bientraitance et la prise en compte des besoins de l’enfant doivent guider chaque politique publique de l’enfance, et donc la protection de l’enfance.

C’est dans cette perspective que Laurence Rossignol a souhaité engager, avec chaque acteur de la protection de l’enfance, une grande concertation qui a permis de poser les bases d’une véritable réforme de la protection de l’enfance. Cette réforme doit se traduire dans la loi – c’est l’objet de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant qui a été adoptée à l’Assemblée nationale le 12 mai dernier – et dans les pratiques professionnelles qui, culturellement, accordent une grande place au curatif au détriment du préventif et qui, surtout, demeurent encore trop cloisonnées. Ces deux aspects – la loi et l’évolution des pratiques – donneront lieu à un programme d’actions concret pour mettre en oeuvre cette réforme. Il sera présenté ce lundi à l’occasion des assises nationales de la protection de l’enfance.

Dans le cadre de cette feuille de route, trois objectifs ont d’ores et déjà été fixés : mieux prendre en compte les besoins des enfants en protection de l’enfance et prévenir les ruptures ; améliorer le repérage des situations de danger et de risque de danger ; développer la prévention à tous les âges de l’enfance. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit très clairement dans le deuxième objectif de la réforme. Pour y répondre, nous pouvons nous appuyer sur les fondations posées par la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, qui est considérée comme une bonne loi par l’ensemble des acteurs et pour laquelle je tiens à rendre hommage au travail de M. Philippe Bas, alors ministre. La loi de 2007 introduit la notion d’information préoccupante et crée les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les CRIP. Les départements, chefs de file de cette politique publique, se sont en très grande majorité approprié ces dispositions.

Pour autant, nous savons que de nombreux enfants ne sont pas, ou pas assez vite, repérés, identifiés par les services de l’Aide sociale à l’enfance – l’ASE – et que, parfois, les réponses apportées aux enfants ne permettent pas de répondre au danger ou aux risques identifiés. Par ailleurs, nous pouvons sincèrement présumer que les chiffres portés à notre connaissance sont en deçà de la réalité. La question du repérage est donc primordiale et nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui, par leur profession, leur activité, sont au contact des enfants, notamment dès leur plus jeune âge, car nous savons aujourd’hui que les violences commencent souvent très tôt dans la vie de l’enfant.

Alors, spontanément, on pense au pédiatre, au médecin de famille, qui suit l’évolution de l’enfant, son développement et sa santé. Comment expliquer que ces professionnels transmettent si peu d’informations préoccupantes et de signalements ? Sans doute les réponses sont-elles multiples et concernent-elles aussi d’autres métiers : je pense notamment au manque de formation au repérage de ces situations ou à une vision idéalisée de la famille. Mais il y a aussi des explications liées à l’exercice médical à proprement parler.

Dans le champ de la protection de l’enfance, les médecins ont la possibilité d’échanger des informations soumises au secret. Or ils en sont très peu informés. Le fait qu’ils nouent, au fil des années, des liens personnels avec leur patient et le fait qu’ils soient souvent très seuls dans l’exercice professionnel, participent aussi, sans doute, de cette difficulté pour le médecin à faire part de ses préoccupations ou à faire un signalement.

Certains médecins craignent aussi d’éventuelles poursuites s’ils révèlent une situation de maltraitance. C’est d’ailleurs en réponse à ces craintes que Mme la sénatrice Colette Giudicelli a souhaité proposer ce texte, qui vise à rassurer les médecins en rendant plus lisibles les dispositions de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui permettent les échanges d’informations à caractère secret pour protéger les enfants. Ces objectifs, le Gouvernement les partage.

Il les partage d’autant plus qu’il met en place, dans le cadre de sa réforme de la protection de l’enfance, plusieurs dispositions visant à améliorer le repérage des situations de danger : elles concernent également les médecins. Il s’agit, d’abord, de la désignation d’un médecin référent dans chaque département chargé d’organiser les relations entre les services du département, la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP, et les médecins. Le fait de confier ces coordinations à un médecin, un pair, est, je le crois, plus facile.

Il s’agit, ensuite, du renforcement du caractère interdisciplinaire des équipes en charge de l’information préoccupante ainsi que de la formation des acteurs. Enfin, un référentiel de l’information préoccupante, qui fait aujourd’hui défaut, devra être construit avec l’ensemble des acteurs.

Parmi ces mesures, deux ont été adoptées dans le cadre de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. J’en profite pour rappeler, comme la secrétaire d’État à la famille, aux personnes âgées et à l’autonomie l’a déjà souligné lors des débats au Sénat, que nous regrettons que le texte dont nous débattons aujourd’hui n’ait pu trouver sa place, par voie d’amendement, dans la proposition de loi des sénatrices Michèle Meunier et Muguette Dini.

Dans le cadre de la réforme de la protection de l’enfance, la loi issue du travail de concertation des sénatrices Meunier et Dini porte une vision et affirme des principes. Elle clarifie et ainsi favorise l’appropriation des outils existants. Elle pose également un cadre ad hoc pour les dispositions que nous examinons aujourd’hui, qui s’inscrivent dans la réflexion globale que j’évoquais précédemment.

Ces regrets formulés, je veux néanmoins confirmer le soutien du Gouvernement aux objectifs de ce texte, et plus largement à toutes les démarches menées par différentes institutions. Je pense à celles engagées par le Conseil national de l’ordre des médecins, ou par certains départements, pour faciliter et améliorer le repérage des situations dangereuses pour les enfants.

Je souhaite également souligner la qualité des recommandations de la Haute Autorité de santé, formulées le 17 novembre dernier, et les outils nouveaux qu’elle a mis en place pour les médecins : je pense notamment au modèle-type de signalement.

Ces recommandations permettent au médecin de trouver plus facilement les réponses et l’aide dont il a besoin pour trouver le bon équilibre entre la responsabilité de signaler une situation de danger et le respect du secret professionnel. Dans la réalité, les outils proposés répondent très concrètement aux questions que se posent les praticiens.

La maltraitance des enfants est un problème de société et de santé publique, et la protection de l’enfance une obligation déontologique qui ne concerne, d’ailleurs, pas uniquement les médecins, mais l’ensemble des professionnels de santé.

Pour mieux protéger nos enfants et pour les accompagner au mieux sur le difficile chemin de leur croissance, la mobilisation de tous est nécessaire. Par l’autorité qu’ils incarnent, par la légitimité qui leur est conférée, les professionnels de santé sont, je le crois, des vecteurs essentiels de la promotion de la bientraitance et du changement de regard sur nos enfants.

Parce qu’il est profondément engagé en faveur d’une société bientraitante, le Gouvernement soutiendra ce texte, et je suis sûre que, partageant ce même engagement, les députés sauront affirmer le même consensus que celui trouvé au Sénat.

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