Intervention de Pierre Conesa

Réunion du 11 février 2015 à 8h45
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris :

Je ne suis certainement pas désabusé sur notre pays. À la direction des affaires stratégiques du ministère de la défense, on avait commandé une étude sur le processus de poussée de l'islam politique en Algérie, en Libye, en Tunisie, en Syrie et en Irak, et on avait oublié l'Arabie saoudite ! On ne considérait pas l'Arabie saoudite comme un problème et je fais mon autocritique sur ce point.

Les juges du parquet antiterroriste m'ont dit que 70 à 80 % des gens qui revenaient de Syrie n'étaient passés ni par la mosquée ni par la prison. Un observatoire de la radicalisation permettrait d'étudier les processus de recrutement. La radicalisation en prison est déjà très étudiée – par M. Fahrad Khosrokhavar et Mme Ouisa Kies notamment – et il convient d'examiner d'autres lieux moins connus.

La FAVT finance une étude sur l'écho dans la communauté française musulmane des crises qui déchirent le monde arabo-musulman, dont il sera intéressant d'analyser les conclusions. De mon point de vue, cette partie du monde est déchirée par une guerre de religion : les luttes entre chiites et sunnites concernent neuf États de cette région. Dans ce cadre, ce ne sont pas les Occidentaux sur leurs blancs chevaux qui sépareront les belligérants car ils représentent l'ennemi commun de ceux qui se battent entre eux. Nos interventions militaires – en Somalie ou en Libye – sont motivées par des considérations de politique intérieure depuis 1991 et l'effondrement du bloc communiste, et non par des analyses locales. Les musulmans pourraient arguer que l'objectif de protéger la population libyenne pourrait s'étendre aux Palestiniens. En Afghanistan, les Occidentaux ont lancé une guerre pour tuer ben Laden puis pour libérer les femmes et instaurer la démocratie, très beaux principes qui ne séduisent que ceux qui ne se sont jamais rendus dans ce pays ; en effet, ce sont les chefs de tribus qui assurent la sécurité et l'idée de monopole de la force n'y a aucune pertinence. Au total, les Occidentaux y sont restés plus longtemps que les Soviétiques, y ont consacré le même effort de défense – sans parler des sociétés militaires privées –, ont étendu le conflit au Pakistan et ont installé un gouvernement très fragile. Les Afghans avaient déjà repoussé les Britanniques à l'époque de leur puissance impériale, puis les Soviétiques forts de leur complexe militaro-industriel et les Occidentaux y retournent en commettant les mêmes erreurs. Si ce sont des chrétiens qui vont libérer la femme afghane dans un esprit de croisade, ils échoueront immanquablement. Pour nous faire plaisir, les dictatures du monde arabe illustraient leur modernité par le respect des droits de la femme, si bien que, lorsqu'elles furent renversées, les nouveaux régimes comme celui de Libye ont immédiatement rétabli la polygamie pour marquer la rupture.

Il y a des guerres dans lesquelles nous ne pouvons pas intervenir. La crise la plus grave depuis la fin de la seconde guerre mondiale s'est déroulée au Congo : elle a entraîné la mort de 2,5 millions de personnes et jamais nous avons ressenti la nécessité d'y envoyer des troupes. La moitié de l'Europe considère que sa sécurité ne se joue pas en Irak. Je n'insiste pas sur le rôle dramatique de certains intellectuels médiatiques adeptes du « Nous sommes tous des Libyens », « Nous sommes tous des Ukrainiens », « Nous sommes tous des je-ne-sais-pas-quoi ». Tout le monde sait que la moitié des Ukrainiens sont russophones et on n'aurait pas agi autrement si on avait voulu alimenter la crise. L'interpellation du politique par le médiatique est devenue un critère de décision. Après les attentats, le véritable défi, une fois que l'on a augmenté les moyens de la police et des services de renseignement, réside dans la parole politique, c'est-à-dire dans la désignation de l'ennemi contre lequel se battre.

Des villes comme Amsterdam conduisent elles-mêmes la politique de contre-radicalisation. M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, fut le premier à imposer la loi républicaine ; sa maison a été caillassée après qu'il a décrété le couvre-feu et sa fille a été menacée. Lorsqu'il a refusé la construction d'une mosquée en l'absence d'un permis de construire, il fut vivement critiqué, mais les associations ont demandé et obtenu un permis et la mosquée verra le jour. L'État doit soutenir ces maires et doit pouvoir les mettre en relation avec des théologiens ou des psychiatres formés pour les zones où les problèmes se concentrent.

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