Intervention de Pierre Conesa

Réunion du 11 février 2015 à 8h45
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris :

Il n'existe pas d'observatoire français chargé d'étudier les sites salafistes francophones. Or les jeunes quittant notre pays pour la Syrie ne sont ni anglophones ni arabophones. Nos chercheurs travaillent sur les interprétations rédigées en anglais des sites anglophones. Si l'on ne connaît pas le discours, on ne peut pas bâtir de contre-discours. Nous sommes en train de réfléchir avec M. Farhad Khosrokhavar à la création d'un observatoire des radicalisations à la Maison des sciences de l'homme, afin de pallier cette lacune. Pour mon rapport, j'ai utilisé une petite étude réalisée par une normalienne stagiaire au bureau des cultes sur les discours salafistes francophones ; il est étonnant que ces productions soient si peu nombreuses.

Le bureau des cultes fonctionne avec une petite équipe placée au ministère de l'intérieur depuis la loi de 1905 sur la laïcité. Je ne suis pas le premier à proposer son déplacement, mon rapport relevant d'ailleurs l'ensemble de propositions qui n'ont jamais été mises en oeuvre. Ainsi, le rapport de M. Jean-Pierre Obin, commandé à la suite de la publication du livre Les territoires perdus de la République qui décrivait les problèmes posés par la montée des intégrismes religieux pour l'enseignement de certaines disciplines au collège, mettait déjà en lumière ces difficultés, mais le ministre de l'Éducation nationale de l'époque a enterré le rapport pensant que la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics réglerait le problème. Aujourd'hui, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche dresse le même constat qu'il y a plus de dix ans ! Le rapport Obin proposait déjà de détacher le bureau des cultes du ministère de l'intérieur.

De même, Mohammed Arkoun, ancien professeur au Collège de France, défendait la création d'une faculté de théologie musulmane, puisque la pensée musulmane ne peut se régénérer que dans des pays occidentaux, aucun pays arabe ne garantissant une liberté d'expression suffisante pour avancer des idées nouvelles. Certains imams en France sont reconnus internationalement et s'avèrent capables de construire un discours novateur sur l'islam. Cette faculté aurait permis de former des imams et des aumôniers pour les prisons. La faculté de Strasbourg avait accepté d'accueillir ce projet, mais l'administration de l'enseignement supérieur s'y est opposée. Seule une petite cellule de recherche a été créée à la Maison des sciences de l'homme. Les Français de confession musulmane ne comprennent pas que ces idées, qui paraissaient intéressantes, n'aient pas abouti.

Qui doit émettre la politique de contre-radicalisation ? Ce n'est pas le Gouvernement, car on ne ramène pas un transcendant à la raison par des cours d'instruction civique. Nous avons besoin d'un discours théologique construit et de prendre en compte la diversité de la société musulmane ; par ailleurs, il faut éradiquer le discours de la victimisation et critiquer notre politique extérieure. Le service d'information du Gouvernement (SIG) a eu raison de produire une vidéo et d'ouvrir un site « stop djihadisme », mais nous devons faire émerger un discours public qui ne soit pas tenu par les autorités politiques.

Je souhaite offrir aux musulmans français dont j'ai pu constater les efforts de mobilisation une forme de reconnaissance et je suis en train d'organiser un séminaire de lutte contre la radicalisation à l'institut du monde arabe (IMA). L'objectif est de montrer que la France les entend et qu'ils doivent donc apprendre à communiquer. Les élus locaux devraient également les rencontrer pour témoigner de l'attention qu'on leur porte. Nous devons dresser le constat de la non-représentation par les structures officielles de ces musulmans qui se sont intégrés en toute discrétion. Il existe une variété d'opinions comme pour les juifs qui ne sont pas tous représentés par le conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et le consistoire. Il convient également de valoriser les réussites des membres de cette communauté, comme celles de M. Yazid Sabeg ou de M. Mohed Altrad, P-DG du groupe Altrad, leader européen des échafaudages de chantier ; les habitants des banlieues ne connaissent pas ces succès. Les jeunes Turcs qui arrivent en France ne se présentent pas comme des victimes puisqu'ils ne proviennent pas d'une ancienne colonie française et développent une culture entrepreneuriale différente de celle des Maghrébins. Il y a lieu d'écouter ces gens qui vivent ici et agissent contre la radicalisation !

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