Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 2 juin 2015 à 16h45
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, président :

Nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces points lors de l'examen des amendements. Avant de donner la parole à notre rapporteure, je voudrais, en écho à certaines interventions, formuler quelques observations.

Il ne s'agit pas de priver notre rapporteure de sa responsabilité. Si j'interviens, c'est en ma qualité de président, mais aussi en raison de mon engagement connu et ancien dans ce domaine. À partir du texte du Sénat et de l'entretien que j'ai eu avec le président de la commission spéciale de la haute assemblée, j'ai essayé de trouver la piste qui nous permettrait de ne renoncer à aucune de nos ambitions, sans créer de difficulté majeure pour des questions de symboles ou de tabous.

J'en profite pour revenir sans animosité sur les propos de notre collègue Sergio Coronado, qui pourraient être mal interprétés. Il ne faut pas faire un amalgame entre les notions de traite des êtres humains, de proxénétisme, et de prostitution. Rappelons toutefois ce passage du préambule de la Convention des Nations unies de 1949, déjà cité par la rapporteure : « La prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté. » Je ne crois pas qu'il ait été criminel, de la part des Nations unies, de déclarer qu'il fallait absolument lutter pour l'abolition de la traite des êtres humains et de la prostitution qui en est une partie importante. Il faut se souvenir que cette notion est inscrite dans les textes fondateurs de notre organisation mondiale depuis plus de soixante-cinq ans.

Mon état d'esprit est, je crois, largement partagé au sein de cette commission, de notre assemblée et même de la Nation tout entière : nous devons combattre de toutes nos forces ceux qui pratiquent la traite des êtres humains, qui organisent les réseaux de prostitution et qui en profitent. Cette loi, telle que nous allons la finaliser, doit permettre d'accentuer la lutte que nous devons mener à tous les niveaux contre ce phénomène criminel.

Dans cette affaire, il y a aussi un personnage essentiel, bien que dépourvu de statut : le client. La loi doit aussi contribuer à responsabiliser ce client, sans lequel il n'y aurait pas de prostitution et qui ne risque pour l'instant aucune interpellation de la part de la société. Nous proposerons donc de rétablir les dispositions adoptées en première lecture. La loi prévoira alors que le client d'une prostituée contrevient à la loi et que, en cas de récidive, il devient un délinquant.

À côté des criminels et des délinquants que j'ai décrits, il y a une personne considérée comme délinquante par notre législation actuelle : la personne prostituée. Le racolage actif est une infraction qui existe depuis fort longtemps dans notre droit et qui, jusqu'en 2003, était poursuivie au titre des contraventions de cinquième classe. En 2003, cette infraction a intégré le racolage passif et elle est devenue un délit. Je pense que nous serons tous d'accord pour considérer que le statut de la personne prostituée doit changer, que celle-ci ne doit plus être considérée comme une délinquante, même si l'intention n'était pas de la stigmatiser.

Soutenu par notre rapporteure, j'ai donc pris l'initiative de lier deux éléments : la responsabilisation du client et le changement de statut de la personne prostituée. Pour être effective, la responsabilisation du client doit comporter un aspect pénal : la pénalisation est vue comme un moyen et non comme un objectif. Quant au changement de statut de la personne prostituée, il pourrait être prévu à l'article 1er ter du texte. Il faudrait compléter et préciser cet article de manière à faire de la personne prostituée une victime protégée par la loi qui, si elle le souhaite, peut témoigner et apporter ainsi des informations utiles au démantèlement d'un réseau.

Cet accès à des informations était d'ailleurs l'objectif que nous poursuivions lorsque nous avons étendu le délit de racolage dans le cadre de la loi pour la sécurité intérieure adoptée en 2003. Lorsque Manuel Valls était ministre de l'intérieur, je lui avais fait part des propos que j'avais échangés avec le ministre de l'intérieur de 2003, Nicolas Sarkozy. Ce dernier ne considérait pas l'extension du délit de racolage comme un moyen de montrer du doigt la personne prostituée, en la déclarant coupable et en la punissant. En réponse à une demande des forces de l'ordre, il souhaitait créer un point d'entrée dans les réseaux, et nous avons fait l'erreur de penser que la personne prostituée pouvait jouer ce rôle. Le point d'entrée doit être le client, responsable de ses actes, la victime bénéficiant, quant à elle, d'une protection.

Voilà ce que nous comptons proposer pour répondre à des aspirations qui peuvent paraître contradictoires mais qui ne le sont plus : renforcer la protection de la victime pour mieux l'aider à sortir de la prostitution ; indiquer au client que le recours à la prostitution, c'est-à-dire à la marchandisation du corps humain, constitue une infraction considérée d'abord comme une contravention de cinquième classe, puis comme un délit en cas de récidive.

Les amendements qui nous permettent d'atteindre cet objectif sont cosignés par la rapporteure et votre serviteur. Ces éléments permettront de mieux comprendre le reste du dispositif qui résulte des amendements proposés par notre rapporteure. Nous devrions ainsi aboutir au texte équilibré auquel chacun aspire. Et tout cela me permet d'espérer un accord sur des bases responsables, équilibrées et raisonnables avec nos collègues du Sénat.

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