Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 2 juin 2015 à 16h45
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Bien que le texte issu du Sénat ait permis de progresser, par exemple en matière de blocage par l'autorité administrative des sites internet de prostitution, il nous mène dans une impasse en ce qui concerne deux points essentiels : la pénalisation du client et le délit de racolage.

Privé de toutes les mesures sur la responsabilisation du client, pourtant réclamées dans la résolution adoptée à l'unanimité en 2011 et par le Parlement européen en février 2014, le texte perd son caractère novateur, ambitieux et utile. D'ailleurs, il aurait davantage sa place dans le projet de loi sur le droit des étrangers, étant donné qu'il facilite l'accès au titre de séjour plus qu'autre chose.

Pour ma part, je pense que la responsabilisation du client est tout à fait indispensable. Je m'étais abstenu lors du vote du texte en première lecture, considérant que les sanctions n'allaient pas assez loin : l'infraction de recours à la prostitution était considérée comme une contravention de cinquième classe, passible d'une amende de 1 500 euros maximum ; seule la récidive aurait constitué un délit. Il eût été préférable de considérer cette infraction comme un délit à part entière, autorisant le placement en garde à vue du client, un meilleur suivi de la récidive grâce à l'inscription au casier judiciaire et des poursuites dans le cas où les faits sont commis à l'étranger.

Il est aussi regrettable que le Sénat ait supprimé le stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution, tant il est vrai que l'efficacité de ce type de dispositifs a été prouvée dans d'autres domaines tels que la toxicomanie, les discriminations raciales ou même les délits routiers. Un dispositif alliant pénalisation et responsabilité du client, sur le modèle suédois, serait de nature à dissuader le recours à la prostitution et à rendre notre pays moins attractif pour les réseaux criminels. Malgré tout, il ne suffira pas à régler définitivement le problème.

Par ailleurs, après en avoir maintenu la suppression en commission, le Sénat a réintroduit en séance le délit de racolage public qui avait été supprimé lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale. La directive européenne du 5 juin 2011, comme l'a confirmé Mme Michèle-Laure Rassat, professeure émérite des facultés de droit spécialiste du droit pénal, n'impose pas à la France l'abrogation de ce délit, les conditions qu'elle pose étant déjà remplies par le pouvoir d'appréciation du ministère public quant à l'opportunité des poursuites et la possibilité pour les juridictions pénales de dispenser de peine.

Je pense que ce délit de racolage n'est pas principalement un instrument de répression des prostituées. Consultés lors de nos auditions, les enquêteurs nous avaient expliqué que ce délit n'était pas utilisé à l'égard des très rares prostituées indépendantes françaises, mais qu'il permettait surtout d'entrer en contact avec les victimes de réseaux, de leur permettre d'accéder à un médecin – souvent pour la première fois depuis leur arrivée en France – et de leur proposer de coopérer avec les autorités judiciaires, avec toutes les difficultés que l'on connaît et sur lesquelles je ne vais pas m'étendre.

La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure avait transformé l'ancienne contravention de cinquième classe en délit de racolage. Ce faisant, elle avait permis de rétablir la tranquillité dans des quartiers qui connaissaient des troubles à l'ordre public considérables, ce qui n'est pas négligeable. En fait, la mesure s'est révélée efficace tant que les tribunaux l'appliquaient. Signalons d'ailleurs que même le Syndicat du travail sexuel (STRASS) a fait part de sa crainte de voir ce délit supprimé, le jugeant préférable aux arrêtés municipaux ou préfectoraux qui sont plus discriminants. Sa réintroduction par le Sénat, pour opportune qu'elle soit, ne saurait permettre à nos deux chambres de s'accorder sur de nouvelles mesures permettant de lutter contre la prostitution.

Dans le cadre de nos travaux, un dialogue s'est engagé. Pour ma part, je n'ai pas déposé d'amendement alors que la matière ne manque pas – facilités migratoires, attribution d'aides financières non budgétisées, nécessité de réintroduire un véritable délit de recours à la prostitution et un stage de sensibilisation – pour permettre à un consensus de se dégager. Comme vous l'avez compris, je suis à la fois pour la pénalisation du client et pour le délit de racolage. Mais je pourrais être favorable à une proposition équilibrée prévoyant la pénalisation du client tout en supprimant le délit de racolage public, à condition qu'elle permette aux enquêteurs de continuer à entrer en contact avec les prostituées victimes des réseaux, voire de les interroger. On pourrait, par exemple, doter ces dernières d'une sorte de statut de témoin protégé afin de recueillir des informations nécessaires au démantèlement des réseaux. Je serais assez favorable à ce genre de propositions, qui pourraient peut-être satisfaire une majorité de membres de cette assemblée sans priver les enquêteurs de moyens d'action.

Lors de son audition, M. Yves Charpenel, président de la fondation Scelles, a considéré qu'il serait toujours possible de recourir aux articles du code de procédure pénale qui autorisent les contrôles d'identité sur instruction écrite du procureur, dans des lieux et pour une période déterminés, y compris dans des établissements comme les hôtels et autres salons de massages qui se multiplient, afin d'éviter le retour de troubles à l'ordre public. Cette solution a d'ailleurs été préconisée par la garde des Sceaux lors de son audition au Sénat. Peut-être recueillera-t-elle l'approbation d'un certain nombre d'entre nous ?

Sur un tel texte, il serait bon de parvenir à nous rassembler autour de mesures équilibrées et efficaces. Cela pourrait permettre de faire avancer la cause de ces femmes victimes plus rapidement que ne le ferait une navette parlementaire avec des positions d'assemblées antithétiques.

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