Intervention de Rémi Pauvros

Réunion du 3 juin 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Pauvros, rapporteur :

Je le regrette aussi.

…l'eurovignette ou la taxe proposée ne viendraient que donner des moyens supplémentaires à la société de projet pour accompagner la réalisation du projet. Il est indispensable, selon moi, que cette structure soit adossée à une fiscalité propre. On ne peut pas imaginer un chantier aussi important dans la durée, qui doit être maîtrisée, sans permettre à la société de projet d'avoir au moins une recette spécifique. C'est simplement de la sagesse que de la prévoir, mais ce n'est pas cette taxe qui va permettre effectivement de financer l'opération.

J'en viens à la société de projet elle-même.

Plusieurs d'entre vous ont appelé à une composition permettant d'accueillir des représentants de l'État et des collectivités territoriales au sein du conseil de surveillance. Les ordonnances, en cours de rédaction, permettront la création la structure dès la promulgation de la loi. On peut penser que, début 2016, après les élections régionales, la société de projet sera créée pour permettre le portage en 2017 de la maîtrise d'ouvrage, sachant qu'entre-temps, VNF continue le boulot : ils viennent de désigner l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Par conséquent, nous devrions garder le calendrier tel qu'il est proposé. Il n'y a pas de difficulté en la matière. D'autant que l'ensemble de la procédure a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Donc, le débat public a déjà eu lieu. Il n'y a qu'une modification de la DUP sur les propositions que j'ai formulées lors du rapport de reconfiguration, qui porte sur la récupération de dix kilomètres du canal du Nord. La procédure est en cours, pilotée par Mme le préfet de Picardie. ; elle devrait logiquement aboutir dans le courant de l'année 2016, et donc, réunir par là même les conditions administratives et légales pour la réalisation et la maîtrise d'ouvrage de l'opération.

À cela, j'ajouterai la réunion des partenaires, qui devront, à travers la structure que j'ai proposée, être totalement liés à la proposition. Quant à la création d'un observatoire, ce n'est pas un gadget. J'ai vécu cette expérience à l'occasion de créations de routes dans le Nord. C'est indispensable. On ne peut pas imaginer aujourd'hui une maîtrise d'ouvrage pour un projet de cette ampleur sans pouvoir s'assurer en permanence auprès d'une instance autonome et compétente si les engagements pris en matière d'impact environnemental, notamment, sont respectés. C'est une proposition supplémentaire par rapport aux procédures existantes. Il est évident que cet observatoire aura à valider l'ensemble de la proposition.

J'en arrive à la question des ports, notamment ceux du Havre et de Rouen.

Je partage totalement votre point de vue. Contrairement à plusieurs d'entre vous ici, je n'ai aucune compétence dans le domaine de la problématique portuaire. Mais ce qui me frappe dans les études que j'ai menées, c'est l'absence de lisibilité dans le temps du développement de nos ports. C'est pourtant indispensable. Nous ne pouvons pas nous passer du Havre et de Rouen. Le directeur du port du Havre m'a dit que s'ils n'avaient pas plusieurs millions de conteneurs supplémentaires dans les années à venir, ils allaient disparaître. Ce genre de discours m'impressionne : je lui ai répondu qu'on ne pouvait pas aborder le sujet de cette façon sans poser le problème sur le plan politique. Autrement dit, quelle est notre responsabilité concernant l'avenir de ce port ? Ces conteneurs passent-ils uniquement par le ferroviaire ? Voilà la question qu'il faut se poser.

S'agissant du fluvial, la distance entre Le Havre et Gennevilliers est de 320 kilomètres. La durée estimée de navigation est de vingt-huit heures pour, aujourd'hui, des barges de 180 mètres, c'est-à-dire sept mètres de tirant d'air maximum. Dunkerque, c'est 400 kilomètres, soit quarante heures de navigation. C'est, demain, la possibilité de barges de 135 mètres. Anvers est à 500 kilomètres de Gennevilliers et quarante-huit heures de navigation pour des barges de 180 mètres lorsque le grand gabarit sera réalisé. Vous voyez la différence. Et en plus, il faut ajouter une journée, celle que peuvent prendre l'ensemble des bateaux en provenance d'Asie notamment, s'ils déchargent au Havre plutôt qu'à Anvers.

Cela veut dire que, par rapport à Paris, un conteneur peut arriver quarante-huit heures avant à Gennevilliers, extraordinaire plateforme au nord de Paris, appelée à se développer de plus en plus : j'ai vu aujourd'hui la barge créée par HAROPA pour un essai de transport hebdomadaire entre Le Havre et le nord de Paris. On veut vérifier si ce marché peut se développer, car c'est cela qui est fondamental : aborder le nord de Paris. HAROPA est en train de développer une stratégie qui me paraît très intéressante. Pourquoi avoir une position défensive par rapport à cette situation ? Je partage tout à fait votre point de vue, mais je pose la question : quelle stratégie faut-il mettre en place pour permettre le développement du Havre et de Rouen ?

Rouen a un marché considérable à redévelopper sur le plan du céréalier. Pas moins de 65 millions de tonnes de céréales produites en France passent par Rouen, dont 90 % par camion. Or j'ai fait la démonstration dans mon introduction qu'on pouvait gagner 4 euros par tonne en passant par le grand gabarit du nord de Paris vers Rouen. Mettez-vous à la place d'un gros céréalier. S'il a cette possibilité, il n'utilisera plus que la barge, car 4 millions d'économies, cela le rendra encore plus compétitif sur le plan international.

Ce ne sont que les raisonnements que j'ai entendus ; je n'ai aucune prétention en ce qui concerne ma capacité à porter l'avenir du port du Havre. Je dis simplement qu'il ne faut pas se fermer à l'analyse de ces données.

Je vous propose d'abord d'organiser une table ronde. J'ai sollicité Peter Balazs, qui est le coordonnateur de l'interconnexion pour le grand corridor Nord, « de l'Ecosse à Marseille », comme il aime à le dire. Peter Balazs, ancien ministre des affaires étrangères hongroises et ex-commissaire européen, est prêt à venir, à votre invitation, pour rencontrer les acteurs et porter la parole de l'Europe, évoquer l'avenir du port et intégrer dans les financements possibles les aménagements du port de Rouen. HAROPA m'a sollicité pour défendre des projets de financement auprès de la Commission européenne, ce que j'ai fait. Il est possible d'obtenir un financement à hauteur de 30 % pour l'ensemble des aménagements. La connexion du fluvial et du maritime au Havre peut être financée par la Commission européenne. Ce sont autant d'éléments que Peter Balazs pourra aborder sereinement avec vous.

Je pense, et j'en ferai part au ministre, qu'il conviendrait d'avoir un grand débat sur l'avenir des ports du Havre et de Rouen. Le canal Seine Nord ne doit pas servir de cache-sexe en la matière : ce n'est pas lui qui doit amener à avoir un débat national qui nous concerne tous. Je vous propose, au contraire, de saisir cette opportunité pour parler des investissements nécessaires et possibles sur Le Havre et Rouen afin de tirer ces ports par le haut et arrêter une démarche prospective en la matière. HAROPA a fait sur ce plan un travail remarquable ; je suis, pour ma part, prêt à toute rencontre qui permettra d'aller dans ce sens.

Enfin, comme Barbara Pompili, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le papier de Jacques Attali, qui est un grand penseur. Mais sa tribune m'a sidéré par ses contre-vérités, ses affirmations péremptoires et ses jugements – je pense notamment à la métaphore des clous que l'on poserait sur le cercueil du Havre. Tout cela me paraît quelque peu excessif ! Ce que je reproche en particulier à Jacques Attali, c'est d'écrire que la décision de création du Canal Seine Nord se fait en catimini. Je comprends qu'il n'ait pas le temps de tout lire, mais sincèrement, depuis le temps qu'on parle de ce canal, il devrait avoir eu le temps de se renseigner ! Sa position me surprend d'autant plus qu'il s'agit d'un grand projet de développement et de relance de la croissance au niveau européen : je le croyais pourtant très sensible à la nécessité d'une relance économique au plan européen. Comprenez mon envie de lui « tailler un short » car son papier n'est pas digne de la hauteur de vue qui le caractérise habituellement !

S'agissant de Rouen et du Havre, je vous invite à avoir ce débat essentiel. Je vous proposerai une date dès que M. Balazs me fera le plaisir de me contacter. Je pense que cela ne tardera pas parce qu'il souhaiterait vous rencontrer avant la réunion de Riga, qui aura lieu les 20 et 21 juin prochains.

Pour répondre à Jean-Jacques Cottel sur l'impact sur les emplois et les PME-PMI, la démarche « grand chantier » répond en grande partie à la problématique. Cette démarche, que nous avons utilisée pour le tunnel sous la Manche, consiste à préparer en amont nos entreprises aux appels d'offres. La préfète de la Picardie est en train de la mettre en oeuvre. Cette procédure est nécessaire, car il faudra trouver des accords entre les différentes entreprises pour répondre à l'importance des appels d'offres, y compris avec les majors. Cela se prépare donc en amont. Ensuite, la concurrence jouera évidemment, dans le respect du droit européen.

À quand l'eurovignette ? C'est la société de projet qui devra lancer la démarche. Il est nécessaire d'avoir une discussion, que j'ai déjà engagée avec les transporteurs routiers. Il faut aussi dédramatiser cette question. J'ai donné des chiffres : l'eurovignette ne représente que quelques centimes par camion, mais cela peut rapporter gros.

En ce qui concerne les terres agricoles, j'ai demandé un certain nombre de préconisations pour améliorer la concertation. J'ai rencontré notamment les chambres d'agriculture du Pas-de-Calais pour qu'elles soient associées en amont aux problèmes non seulement de récupération, mais aussi de reconstitution des terres, y compris par les dépôts. C'est une procédure tout à fait faisable et nous sommes aujourd'hui en liaison constante.

Vous m'avez demandé ce que je savais de l'engagement européen. Le dossier est en cours d'instruction. L'Europe a des procédures extrêmement strictes, avec une expertise externe, puis interne, avant de prendre une décision. Je puis vous dire, sans trahir de secret, que le dossier est considéré comme étant correct au plan technique. Nous en saurons plus cet été, mais je n'ai pas de raison de douter du résultat.

S'agissant de Pôle emploi, monsieur Sermier, le problème, c'est aussi la procédure « grand chantier ». Vous l'avez dit, le processus avait été abandonné, mais il est repris sous l'autorité de la préfète, qui est la coordinatrice du projet au nom de l'État. Nous associons Pôle emploi au comité des partenaires, qui a remis en oeuvre la procédure que vous connaissez pour préparer notre public à la création de ces emplois.

S'agissant de l'avenir du fret ferroviaire et du canal Rhin-Rhône, je vais vous faire part de mon sentiment : on a depuis longtemps abandonné le fluvial en France. Qui est ce « on » ? Nous tous. Nous avons fait du tout-camion et du tout-TGV, mais nous n'avons pas donné la dimension qu'il fallait au fluvial. Je vous rappelle qu'aujourd'hui, en France, on utilise le fluvial pour à peu près 6 % de notre fret, contre 20 % en Belgique et de 20 à 40 % aux Pays-Bas. Aujourd'hui, nous ne sommes pas compétitifs en matière de transport fluvial. Nous avons hérité des décisions stratégiques prises dans le passé, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. Peut-être rouvrira-t-on un jour des dossiers abandonnés… Je suis persuadé en tout cas que le fluvial a un véritable avenir, compte tenu de son impact écologique.

La vraie question posée par l'intervention de Barbara Pompili, c'est la conception que l'on peut avoir du développement durable. Je suis un social-démocrate et je l'assume. C'est un social-démocrate a inventé le concept même du développement durable, ce que les Anglais appellent le « développement soutenable ». Qu'est-ce que le développement durable ? Cela consiste à dire que le progrès doit être au service des hommes, non de l'argent. Voilà la grande idée, qui a pris une dimension nouvelle avec l'impact de Tchernobyl. Le développement durable, ce n'est pas ne plus rien faire ; c'est faire en sorte que ce que l'on fait serve effectivement l'avenir. Créer un outil comme le canal Seine Nord, qui permettra le transfert modal et de mieux maîtriser l'impact sur l'environnement, c'est un cadeau que nous faisons aux nouvelles générations. Ce sont elles qui l'utiliseront, beaucoup plus que nous. C'est la conception du développement durable que je défends. Sur ce plan, je suis en désaccord avec Barbara Pompili, et c'est un désaccord de fond, car sinon, je le répète, on ne fait plus rien. Un projet, c'est vrai, pose des problèmes, c'est compliqué, il faut y passer du temps, trouver des solutions – et j'ai pu intégrer plusieurs de ses remarques qu'elle avait présentées à juste raison –, mais on ne peut pas tout arrêter. Sa conclusion était : c'est le canal Seine Nord qui est en cause. Non. La question est : comment fait-on pour que le canal Seine Nord soit le plus respectueux de l'environnement ?

S'agissant des ports, j'insiste sur une dimension nécessaire. Quand le canal fonctionnera en 2023, Edouard Philippe se demandait ce que deviendrait Le Havre. Je lui retourne sa question : que fait-on pour qu'en 2023, Le Havre et les autres ports tirent parti au maximum du canal Seine Nord ?

Je ne crois pas à l'effet négatif « Anvers et Rotterdam », parce que ces ports ont deux problèmes. D'abord, ils sont chers ; ensuite, ils n'ont plus de foncier. Nous avons une grande chance, c'est que nous pouvons maîtriser les péages et, dans les préconisations que je formule, il y a des propositions concrètes sur le péage pour qu'il soit au même niveau qu'eux. Car en Belgique, il n'y a pas de péage ; ce sont les gouvernements wallon ou flamand qui le prennent en charge.

Qui plus est, nous avons du foncier, y compris dans nos ports, donc de grandes perspectives de développement – un peu moins à Rouen qu'au Havre, mais c'est encore possible, ainsi qu'à Dunkerque. Les plateformes de Marquion, Noyon, Nesles, et probablement de Compiègne et Péronne seront d'initiative locale. Ce sont les collectivités qui prendront en charge l'avenir de ces plateformes et qui fixeront ou pas des taxes sur le foncier, en fonction de ce qu'elles souhaitent. Car ce sont les intercommunalités et la région qui auront la main. Je peux vous dire qu'aujourd'hui, des Belges s'intéressent beaucoup au foncier sur le bord du canal. C'est à nous de bouger.

Cette semaine, nous avons réuni à Marquion l'ensemble des partenaires pour annoncer que nous allons aménager le site.

S'agissant du traitement des boues, j'ai peu de choses à dire, si ce n'est que les procédures sont appliquées pour la récupération des dépôts et le traitement des boues s'il y a pollution.

Le financement des pays voisins me paraît un peu difficile. Frédéric Cuvillier tenait à ce que les Flamands et les Wallons participent au financement. Je les ai rencontrés, mais ils ont un argument : l'Europe va financer le projet à hauteur de 40 %. Ils considèrent que l'Europe, c'est aussi eux. Doivent-ils payer en plus ? La question est difficile et je crois que nous n'arriverons à rien. Inutile, donc, de partir sur une proposition qui ne verra pas le jour.

Jean-Louis Bricout a posé le problème de la réouverture du canal de la Sambre à l'Oise. Je vous propose, cher collègue, de lire attentivement le contrat de plan État région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, désormais finalisé et qui doit être signé prochainement. Il prévoit le financement, à hauteur de 6 millions d'euros, de l'aménagement de la Sambre à l'Oise, ce qui permettra la remise en circulation des bateaux sur la Sambre à l'Oise. C'est un combat que nous avons mené ensemble. Cela permet aujourd'hui d'assurer le cofinancement État région à 5050, les intercommunalités s'engageant progressivement sur le fonctionnement. Vous pouvez être satisfait d'avoir contribué à la réouverture de cet outil intéressant sur le plan économique, mais aussi sur le plan touristique, car il permettra d'accueillir notamment beaucoup plus de Hollandais.

Enfin, vous m'avez demandé, monsieur le président Chanteguet, si l'on pouvait imaginer que le projet s'arrête. Toutes les conditions sont, à mon avis, réunies pour que le dossier avance. Je répète ce que le ministre Vidalies a dit lors de la conférence de presse pour la présentation de mon rapport : sitôt que la Commission européenne fera connaître sa décision, le processus sera irréversible. Dès lors que l'on vous donne 40 %, vous ne pouvez arguer de quelque raison que ce soit pour ne rien faire. Le mois de juillet sera décisif pour l'avenir du projet.

Pour conclure, j'ai beaucoup travaillé sur ce dossier, avec un grand plaisir. Dans un premier temps, je me devais de respecter un engagement, puisque Frédéric Cuvillier me l'avait demandé et que ma région était concernée. Mais plus je travaille sur ce dossier, plus je pense que c'est le dossier qui peut nous faire avancer dans ce début de XXIe siècle vers une autre conception du transport dans notre pays, notamment dans le domaine du fret. Nous avons tout intérêt à réaliser ce projet. C'est en tout cas mon souhait le plus cher.

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