Intervention de Barbara Pompili

Réunion du 3 juin 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili, groupe écologiste :

Monsieur le président, je vous remercie de m'accueillir dans votre commission.

Monsieur Pauvros, si le projet de canal Seine Nord réunit des soutiens, il soulève aussi des interrogations, voire des inquiétudes chez bon nombre d'acteurs du territoire.

Votre premier rapport de reconfiguration avait eu le mérite de retrouver un peu de bon sens, notamment en abandonnant le montage financier en partenariat public-privé. À l'époque, lors de votre audition, je vous avais fait part des nombreuses réserves qui demeuraient et, à mon sens, ce nouveau rapport n'apporte que très peu de réponses concrètes sur les points que j'avais soulevés.

Votre première proposition concerne la création d'un observatoire des objectifs du projet. Au-delà du rôle de suivi, je ne vois pas quelle sera sa capacité d'action pour remplir ces fameux objectifs quand on se rendra compte qu'ils ne seront pas atteints.

S'agissant de la création d'emplois, j'ai pris note de l'attention portée aux clauses d'insertion et à l'implication des entreprises locales. Ces mesures me paraissent néanmoins bien faibles au regard de l'ampleur du projet, qui passera nécessairement par des appels d'offres à l'échelle européenne. Quand bien même, investir 4,5 à 5 milliards d'euros au bas mot, sans tenir compte des innombrables aménagements annexes, pour créer quelques milliers d'emplois le temps d'un chantier, ne me paraît toujours pas opportun. Il existe des moyens bien plus efficaces pour créer des emplois locaux, durables et non délocalisables, par exemple dans les transports ou la rénovation thermique de l'habitat.

Plus globalement, la question du financement, on l'a dit, n'est toujours pas réglée. Ce projet repose sur l'engagement de l'Union européenne. Disposez-vous d'une confirmation sur la hauteur de cet engagement ? Existe-t-il un plan B dans l'hypothèse où il serait inférieur à vos prévisions ?

De même, les collectivités territoriales sont toujours aussi sollicitées pour l'infrastructure elle-même, comme pour les aménagements tels que les plateformes. À l'heure où les dotations de l'État se réduisent, il paraît périlleux de tabler sur un tel engagement sans envisager les sacrifices qui seront nécessaires pour y parvenir et qui risquent d'avoir un impact bien plus concret sur le quotidien des habitants. Dans ma région, par exemple, en Picardie, alors que le contrat de plan État région (CPER) est en train d'être signé, l'État étale les financements dans le temps et n'a même pas 100 millions pour cofinancer l'électrification de la ligne Amiens-Boulogne !

Quant à l'emprunt de 700 millions d'euros minimum, vous comptez le rembourser grâce à un péage dont le tarif n'est pas fixé – on se demande à quel stade nous pourrons disposer d'une visibilité sur cet élément clé –, à une redevance de la directive Eurovignette et à une contribution environnementale des entrepôts logistiques dont nous regrettons qu'elle ne puisse pas être utilisée pour financer des infrastructures de transport de marchandises plus efficaces : je pense évidemment au fret ferroviaire.

Le rapport Duron propose, lui aussi, de recourir à l'écotaxe pour les trains d'équilibre du territoire (TET). Combien allons-nous en créer si chaque rapport se base sur cette solution ? Nous atteignons la limite du saucissonnage des projets de transport, là où il faudrait avoir une vision globale, fluviale évidemment, mais aussi ferroviaire, routière, portuaire. La complémentarité avec le rail tient, certes, une place de choix dans votre rapport, mais sans que soient précisées les conditions de son développement en termes d'aménagement comme de financement, surtout quand on considère l'effet d'éviction du canal sur les autres besoins de financement public dans le Nord comme dans le reste du pays. Si l'on met tous ses oeufs dans le panier du canal, on ne pourra pas payer grand-chose d'autre.

Par ailleurs, alors que nous devrions développer nos ports, et notamment le port du Havre, le Canal Seine Nord Europe reste un développement de l'hinterland des ports d'Anvers et de Rotterdam. La chambre de commerce et d'industrie (CCI) du Havre et de Rouen et les élus de Normandie ont d'ailleurs exprimé leurs craintes sur la menace que ce projet fait peser sur leurs 20 000 emplois portuaires. Une fois n'est pas coutume, je vous recommande l'excellente tribune de Jacques Attali sur le sujet, qu'il a publiée avant-hier.

Le développement sur les rives du canal, qui est vendu aux régions traversées, n'a pas fonctionné pour le Canal Rhin-Main-Danube, comparable au Canal Seine Nord par ses limites de gabarit et son éloignement des ports, et qui, finalement, transporte moins de 1 % de conteneurs se substituant réellement aux camions.

Enfin, la simple ambition d'obtenir une certification « canal durable » n'est pas de nature à apporter des garanties indispensables sur le plan environnemental, en premier lieu sur la ressource en eau. Tout juste peut-on lire qu'il faut y veiller et que le dialogue doit se poursuivre, tout en reconnaissant qu'il faudra créer des bassins de réserve pour pallier la faiblesse du débit à certains moments.

De même, les mesures en faveur de l'agriculture restent à préciser, notamment sur l'enjeu du foncier. Vous affirmez dans votre rapport : « le canal Seine Nord Europe ne peut pas être un canal qui traverse, mais doit être un canal qui irrigue ». Au regard du dossier dans son ensemble, ce ne sont pas les propositions que vous formulez qui sont en cause, mais l'opportunité même de mener à bien un projet de cette envergure pour un coût exorbitant et des effets attendus plus qu'incertains.

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