Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 4 juin 2015 à 9h30
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 — Présentation

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la défense nationale, mesdames et messieurs les députés, au seuil d’une nouvelle échéance majeure pour notre défense, j’ai l’honneur de vous présenter au nom du Gouvernement le projet de loi portant actualisation de la loi de programmation militaire – LPM. Dans les circonstances où nous nous trouvons, ce texte revêt une importance de premier ordre pour la sécurité de la France.

Certes, cette échéance était prévue par l’article 6 de la loi de programmation militaire : il était convenu que nous nous retrouvions avant la fin de l’année 2015 pour faire le point sur l’avancement de la programmation. Cependant, l’évolution de la situation internationale et le très grand engagement de nos forces depuis le début de l’année 2013 ont motivé l’accélération de notre calendrier. Si le Gouvernement a jugé nécessaire de déclarer l’urgence sur ce texte, c’est avant tout parce que nos armées ont besoin de disposer sans attendre d’un cadre et d’une perspective à moyen terme rénovés.

Le projet de loi de finances pour 2016 est en pleine préparation. Depuis les attentats de janvier 2015 et la décision du Président de la République de déployer sur la longue durée 7 000 à 10 000 hommes sur notre territoire, décision que je crois très largement consensuelle, les missions combinées à l’intérieur et à l’extérieur du pays se déroulent selon un rythme qui pourrait menacer la qualité de l’entraînement et de la préparation des hommes. Ce risque doit être écarté le plus rapidement possible, car les tensions actuelles ne peuvent être maintenues plus longtemps sans mettre en péril la qualité et la sécurité dans l’action de notre armée professionnelle. Il fallait donc agir très vite.

J’ajoute que la démarche qui nous rassemble aujourd’hui n’a pas pour objet de redéfinir entièrement une nouvelle programmation ; il s’agit bien d’une actualisation. Aucun des fondements stratégiques de la loi de programmation militaire votée en 2013 n’est donc remis en cause.

Cette actualisation se traduit par un accroissement de nos moyens et de nos ressources par rapport à la prévision initiale. C’est sans précédent dans notre histoire militaire récente, mais c’était indispensable. Ce projet de loi est donc crucial pour adapter au mieux notre défense aux défis de sécurité présents et à venir.

J’aborderai en premier lieu les évolutions de notre environnement stratégique depuis le vote de la loi de programmation militaire en décembre 2013. Les crises récentes concourent toutes à une dégradation notable de la situation internationale et à l’augmentation durable des risques et des menaces qui pèsent sur l’Europe et sur la France.

Les attaques terroristes perpétrées en janvier 2015 à Paris ont ainsi montré que la France, comme les autres États européens, est directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent. Cette menace se joue des frontières. L’imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l’extérieur de ses frontières, que j’ai souvent évoquée à cette tribune, s’est brutalement matérialisée.

Face à des groupes terroristes d’inspiration djihadiste qui sont militairement armés, qui conquièrent des territoires et qui disposent de ressources puissantes, nos forces sont engagées à grande échelle depuis 2013 dans des opérations militaires de contre-terrorisme particulièrement exigeantes, sur terre, dans les airs et sur mer. À dire vrai, c’est une bonne part de notre appareil de défense qui s’est mobilisé autour de cet enjeu, et c’est aussi une nouveauté importante dans notre histoire militaire.

Au même moment, la crise ukrainienne a reposé, d’une façon inédite depuis de nombreuses années, la question de la sécurité internationale et de la stabilité des frontières sur le continent européen lui-même. Elle ravive le spectre de conflits interétatiques en Europe. C’est pourquoi les forces françaises doivent maintenir à un haut niveau leurs capacités à faire face à la résurgence de menaces de la force, quelles qu’en soient les formes, y compris en Europe même. C’est aussi pourquoi les choix fondamentaux qui ont été faits dans la loi de programmation militaire 2014-2019 doivent être confortés.

Par leur soudaineté, par leur simultanéité et enfin par leur gravité, ces évolutions ont mobilisé à un degré très élevé les moyens de connaissance, d’anticipation et d’action de la France. Elles ont mis sous tension son système de forces, souvent au-delà même des contrats opérationnels retenus en 2013. Nous avons régulièrement plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures, un engagement sur le territoire national allant bien au-delà de 10 000 hommes pour un temps court prévus par le contrat de protection de 2013 comme d’ailleurs celui de 2008, des avions de combat engagés, en gestion de crise, en nombre une fois et demie supérieur et d’autres mobilisations très importantes.

Des ajustements sont donc indispensables. C’est tout le sens de la clause de rendez-vous qui avait été très sagement fixée par la loi. J’observe d’ailleurs que ces transformations ne concernent pas seulement la France mais aussi l’Europe. Douze autres pays de l’Union européenne ont engagé une révision et une augmentation de leurs budgets de défense. Il me semble bien que nous sommes à un tournant de nos politiques de sécurité. La France demeure en la matière au premier rang en Europe.

Pour importantes qu’elles soient, ces évolutions ne remettent pas en cause les grands principes de la stratégie de défense et de sécurité nationale énoncés dans le Livre blanc. L’analyse stratégique est globalement confirmée. Par voie de conséquence, les grands équilibres définis par la loi de programmation militaire sont confortés par le présent projet de loi. Il est impératif que le triptyque protection-dissuasion-intervention continue à structurer notre stratégie de défense et les missions des forces armées. Il ne peut être question d’abandonner l’un de ses éléments, comme certains le suggèrent parfois. Cette exigence, à laquelle souscrit une grande majorité d’entre nous, a bien un coût. Le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de l’assumer pleinement malgré le contexte extraordinairement contraint de nos finances publiques car la défense du pays doit prendre le pas lorsque sa sécurité est clairement en jeu. L’analyse de notre situation de sécurité implique un accroissement de notre dépense de défense et c’est ce qui a été décidé.

La présentation du projet de loi fera ressortir les neuf orientations majeures caractérisant cette actualisation. Premièrement, dans le contexte que je viens de rappeler, le Président de la République, chef des armées, a choisi de définir un nouveau contrat de protection du territoire dont l’objectif est désormais que nos armées disposent de la capacité de déployer durablement 7 000 soldats sur le territoire national et de la faculté d’atteindre presque instantanément 10 000 hommes pour un mois, comme nous l’avons fait en trois jours lors des attentats de janvier. À cet effet, les effectifs de la force opérationnelle terrestre, la FOT, seront portés à 77 000 hommes au lieu des 66 000 initialement prévus par la loi de programmation militaire. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue.

Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente un tournant majeur dans notre histoire militaire récente.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion