Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 3 juin 2015 à 15h00
Débat sur l'évaluation du soutien public aux exportations

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

J’ai le redoutable honneur d’avoir été à votre poste, monsieur le secrétaire d’État, au cours des années 2011-2012, juste avant les élections présidentielles. Malheureusement, la France a alors battu tous les records de déficit, à 67,2 milliards en 2012 – tel est le chiffre exact, monsieur Prat.

J’avais aggravé mon cas – si j’ose dire – au grand dam de mes amis, en rendant ces chiffres publics sans essayer de les masquer ou de les expliquer par la facture pétrolière, tout simplement parce que j’espérai que l’échéance présidentielle permettrait d’ouvrir un débat sur les vraies raisons de cette détérioration profonde de notre performance à l’export, liées aux dérives de notre modèle économique et social.

C’était naïf, je le reconnais, puisque ce chiffre de 67 milliards d’euros – qui contrastait avec les 160 milliards d’excédents allemands – couplé aux 600 milliards de déficits supplémentaires dus à la crise, ont été les deux massues avec lesquelles la gauche n’a cessé de nous matraquer pendant toute la campagne.

Voilà pour le passé. Trois ans après, comme le révèle l’excellent travail de nos collègues Fromantin et Prat, réactualisé l’année dernière, la situation n’a malheureusement pas évolué. Le commerce extérieur de la France a continué de se dégrader. Si, optiquement, les chiffres sont moins mauvais, nous savons tous que cela est dû à une facture pétrolière beaucoup moins importante. Mais la part des exportations n’a pas progressé, elle continue même de se dégrader, et c’est inquiétant.

Il s’agit bien d’un problème spécifiquement français, M. Fromantin disait tout à l’heure que la dégradation de 46 % depuis vingt ans ne se retrouve pas chez nos voisins. Il y a un problème spécifiquement français, dû à la détérioration de notre appareil productif, M. Chassaigne le disait tout à l’heure.

Dans cette matière, l’accompagnement dont vous êtes responsable, monsieur le secrétaire d’État, ne joue qu’un rôle marginal. Les problèmes de structure sont les plus fondamentaux.

Passons-les rapidement en revue. Le dispositif Ubifrance a été remanié à tort en direction de l’AFII. Si vous vouliez fusionner, il fallait le faire avec Sopexa, car il y a vraiment des doublons, et des économies à réaliser. Ubifrance ne fonctionne pas si mal, ainsi que nos réseaux de conseillers du commerce extérieur et nos chambres de commerce. Inégalement d’un pays à l’autre, c’est vrai, mais cela fonctionne plutôt bien.

En revanche, le gadget institutionnel qui a consisté à rattacher votre secrétariat d’État au Quai d’Orsay me paraît complètement baroque, sauf à satisfaire l’ego de l’actuel locataire du Quai d’Orsay, qui s’intéresse à plein de sujets, du tourisme à la gastronomie, voire à la réforme de l’Eurovision. Mais en quoi le commerce extérieur est plus fort en étant rattaché au Quai d’Orsay, alors que ses services relèvent de la direction du Trésor et sont toujours à Bercy ? Je ne vois pas l’intérêt. J’ajoute que s’il fallait une victoire bureaucratique au Quai d’Orsay, j’aurais préféré que l’on ampute moins son budget et ainsi ne pas voir notre ministère des affaires étrangères obligé de vendre les immeubles publics de la République à l’étranger pour payer le tout-venant.

Le coeur du sujet, monsieur le secrétaire d’État, tient donc à l’appareil productif, aux capacités de création d’un tissu de PME suffisant et à l’innovation. Tout cela est affaire de financement – donc du rôle de la BPI – de code du travail, de législation sur le code du travail, sur l’apprentissage, généralement sur tous les facteurs qui permettent de fabriquer de la production en France.

C’est là-dessus qu’il nous faut travailler, et je dois constater, sans faire de mauvaise polémique, que toute votre politique, malgré les annonces, va malheureusement à l’inverse de ce qu’il faudrait faire.

J’ajoute une autre spécificité française : nous ne savons pas travailler en équipe. Tandis que les Allemands, les Japonais, les Coréens travaillent en meute, nous ne savons pas le faire. Le portage est insuffisant, et les régions travaillent mal pour accompagner les PME à l’export. C’est la raison pour laquelle j’avais beaucoup travaillé pour faire en sorte que chaque région se dote d’un guichet unique à l’export pour renforcer le tissu PME, et que l’on organise des filières fortes à l’exportation, notamment dans l’agriculture, qui est un domaine dans lequel nous excellons et qui est extrêmement porteur pour l’avenir. Je souhaite d’ailleurs vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur la suite du travail qui a été mené dans les régions.

Troisième point clé : le financement. C’est un des problèmes majeurs que nous avons, notamment avec les Asiatiques et les Chinois. Ils arrivent avec des financements clé en main, tandis que nous avons beaucoup de mal. La Coface est menacée depuis toujours, à cause de l’attitude de Natixis, et j’aimerais avoir votre position là-dessus.

Enfin, la part de l’industrie – 10 % – est trop faible, M. Fromantin le disait. Il faut une politique industrielle, et le bradage récents de grands groupes nationaux tels qu’Alstom ou Alcatel est problématique.

Je termine par un dernier point, sur lequel je souhaite avoir votre point de vue, monsieur le secrétaire d’État. J’avais essayé d’ouvrir le débat au niveau interministériel sur l’aide liée. Comme vous le savez, nous avons en France de très bonnes sociétés d’ingénierie, nos compétiteurs ne s’embarrassent pas des règles de l’OCDE, et bien souvent nous voyons des sociétés chinoises, coréennes ou d’autres bénéficier de crédits français, issu d’argent public français, pour obtenir des marchés publics à l’export, dont souvent l’ingénierie a été française. Il serait peut-être temps de faire en sorte que, lorsque nous sommes généreux en matière d’aide au développement, cela bénéficie aussi aux travailleurs français qui travaillent dans des entreprises françaises. Je fais le souhait de voir cet effort repris et amplifié par ce Gouvernement.

Voilà les remarques que je voulais faire cet après-midi, en étant conscient de l’extrême difficulté de votre tâche, parce que vous accompagnez un appareil productif dont vous n’êtes pas le maître. Et c’est sur ces questions fondamentales d’organisation de l’appareil productif que doit porter l’effort de ce Gouvernement. Je dirai que ce que vous faites en accompagnement est utile, mais n’est malheureusement pas au coeur de la compétitivité française.

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