Intervention de Amiral Bernard Rogel

Réunion du 27 mai 2015 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine :

e vous remercie de m'avoir invité devant vous, car je crois qu'il est important que les différents chefs d'état-major puissent s'exprimer sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). C'est toujours un moment de solennité pour moi, car nous parlons non seulement du quotidien, mais encore de l'avenir de notre marine, de nos armées, de notre pays. Vous m'avez demandé de vous exposer les implications de l'actualisation de la loi de programmation militaire pour la marine. Je le ferai en vous présentant au passage le plan « Horizon Marine 2025 », inséparable de ce contexte.

L'actualisation était prévue par la LPM. Elle est intervenue, comme vous le savez, un peu plus tôt que prévu, dans le contexte des attentats de janvier 2015, qui ont donné lieu à la mise en place de l'opération Sentinelle.

Pour la marine, le sentiment spontané est que ce projet d'actualisation est dans l'exacte continuité du Livre blanc. Il n'y a donc lieu d'être ni particulièrement enthousiaste, ni particulièrement déçu.

En réalité, pour nous marins, il ne change pas grand-chose, ce qui est déjà en soi une très bonne chose : il comporte quelques nouveautés, il n'atténue pas certaines des incertitudes qui pèsent sur les effectifs, les équipements ou sur l'activité de la marine dans un contexte stratégique pourtant particulièrement durci par rapport au Livre blanc. Pour éviter de vous donner l'impression de noircir le tableau, je voudrais dire au préalable que l'abondement en finances et en effectifs pour la mission Sentinelle est heureux, car la faire sous enveloppe aurait eu des répercussions immédiates sur les capacités et sur les équipements. La budgétisation des ressources exceptionnelles lève également une incertitude importante. Nous ne pouvons que marquer notre satisfaction sur ces deux points.

Je voudrais commencer par replacer ce projet de loi dans son contexte vu de la marine. Le contexte dans lequel intervient ce projet de loi est celui d'une situation stratégique mondiale dont le durcissement est perceptible y compris dans les espaces maritimes. C'est un contexte dans lequel la marine reste très fortement sollicitée sur le plan opérationnel.

C'est également un contexte dans lequel la marine continue à se transformer en profondeur pour s'adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles menaces. C'est aussi, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises depuis quatre ans, un contexte de vieillissement de la flotte dont le renouvellement devient impératif.

C'est tout l'objet du plan stratégique Horizon Marine 2025, qui est pour la marine une révolution bien plus qu'une évolution. Le projet d'actualisation revient relativement peu sur les aspects maritimes de l'évolution du contexte stratégique ; je le regrette, car il y a aujourd'hui des ruptures stratégiques dans ce milieu. On peut citer un certain nombre de tendances nouvelles ou de tendances qui se confirment.

Je pense à la redistribution des puissances maritimes. La Russie continue d'affirmer sa capacité à mettre en oeuvre des outils navals de puissance. La marine chinoise poursuit également son développement spectaculaire, comme j'ai pu m'en rendre compte lors d'un déplacement sur place le mois dernier.

Je n'oublie pas l'Inde, le Brésil, le Japon ou encore l'Australie… et une Europe qui, malheureusement me semble trop absente du débat et de ses enjeux. Je pense également à la tendance à la territorialisation des espaces maritimes que l'on voit à l'oeuvre en mer de Chine, dans le grand Nord, en Méditerranée et qui s'étendra partout, j'en suis certain.

Je pense à certains conflits régionaux, qui ont des répercussions en mer : la crise yéménite fait naître des tensions autour du détroit de Bab-el-Mandeb, qui voit passer 17 000 navires par an, représentant 30 % des approvisionnements européens en hydrocarbures et 90 % des biens manufacturés qui nous arrivent d'Asie sur des porte-conteneurs. Mais aussi à la crise syrienne et à la situation politique dans certains pays d'Afrique, combinées avec la situation qui prévaut en Libye et les changements climatiques, qui poussent un très grand nombre de personnes à tenter le voyage vers l'Europe. Cela se traduit par les flux de migrants que nous connaissons aujourd'hui, exploités par les réseaux de passeurs criminels. Je pense enfin à des phénomènes comme la piraterie, ou aux trafics en mer, qui ne se tarissent pas, et qui, dans la plupart des cas, ont des liens étroits avec les groupes armés terroristes.

Il me faut donc gérer la surchauffe opérationnelle en faisant en permanence des choix entre les différentes missions, en en sacrifiant certaines au profit de la résolution de l'urgence. La marine reste très fortement sollicitée du point de vue opérationnel. Outre les opérations directement liées à la dissuasion et à l'action de l'État en mer, je vous indiquais lors d'une précédente audition que celle-ci opérait en permanence dans quatre à cinq zones au lieu des « une à deux » envisagées par le Livre blanc. À cet égard, la mission Frontex, l'opération européenne liée à l'augmentation du nombre de migrants en Méditerranée centrale, sera un nouveau challenge à relever dans un contexte de réduction des moyens. Il faudra continuer à faire des choix cornéliens entre nos différentes missions.

Parmi ces déploiements, le groupe aéronaval a été déployé dans le golfe arabo-persique pour réaliser des frappes en Irak dans le cadre de l'opération Chammal. Début avril, trois de nos bâtiments ont assuré l'évacuation par voie de mer – la seule qui fût accessible – d'une centaine de ressortissants français et étrangers du Yémen. La marine contribue à une mission de sécurisation du détroit de Bab-el-Mandeb, dans le cadre d'une coalition, avec la présence d'un chasseur de mines.

Elle contribue d'ores et déjà à l'opération Triton de recueil de migrants en Méditerranée, comme à la surveillance de la pêche de thon rouge en Méditerranée, où l'aviso Commandant Ducuing a récemment relevé le Commandant Birot. Elle poursuit sa participation à l'opération Atalante de lutte contre la piraterie en océan Indien. Elle maintient un bâtiment déployé dans le cadre de l'opération Corymbe en Afrique de l'Ouest. Elle poursuit sa participation à Barkhane, au Sahel, aux côtés des autres armées.

La marine contribue aussi en permanence à la protection du territoire national à travers sa posture permanente de sauvegarde maritime, grâce aux sémaphores, aux centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) et à la gendarmerie maritime, et en assurant la protection de ses emprises, dont les emprises nucléaires. Ce sont non moins de 3 000 marins, soit 10 % environ des effectifs de la marine, qui y sont impliqués. Comme l'indique leur nom, il s'agit de postures permanentes, qui n'ont pas attendu le mois de janvier 2015 pour être mises en place. Elles ont été malgré tout renforcées à la suite des attentats de janvier. Il faudra que nous parvenions à faire tenir ces dispositions renforcées dans le temps, exactement au même titre que l'opération Sentinelle.

Dans le même temps, la marine poursuit sa transformation. Ce n'est pas une simple évolution qu'elle traverse, mais une véritable révolution, avec une transformation qu'elle doit opérer simultanément sur tous les fronts pour assurer la transition entre des moyens d'ancienne génération et des moyens de nouvelle génération.

C'est ce que j'appelle le passage d'une marine mécanique à une marine informatique. Elle opère cette transformation à travers son plan stratégique Horizon Marine 2025, qui s'inscrit dans le projet général du CEMA « Cap 2020 ». Pourquoi 2025 alors que les autres armées ont choisi 2020 ? Parce que pour construire une flotte on a besoin de temps et de voir loin. Ce plan est articulé autour de quatre volets, qui constituent les quatre enjeux de la marine : « Agir », « Adapter », « Bâtir » et « Être marin ».

Premier enjeu, la tenue du contrat opérationnel. C'est le volet « Agir ». Ce volet s'appuie sur un maintien en condition opérationnelle (MCO) naval toujours plus performant et sur le plein appui aux efforts interarmées d'amélioration du MCO aéronautique, sur une préparation opérationnelle innovante et adaptée aux nouvelles menaces en mer, sur une organisation du commandement qui s'adapte en permanence au tempo rapide et au contexte des opérations et, enfin, sur une coopération et une interopérabilité renforcées avec nos principaux partenaires, au premier chef les Américains, les Britanniques et les Allemands. Tel est le contenu de ce premier volet, recouvrant une activité se déployant dans un espace qui s'élargit, mais avec des contraintes temporelles qui se resserrent.

Le deuxième volet, que j'ai intitulé « Adapter » vise à faire évoluer les organisations de la marine dans un contexte interarmées pour les rendre toujours plus efficientes. J'y inclus le déménagement à Balard qui constituera pour nous un changement profond. Mais il s'agit aussi de préserver les compétences humaines et technico-opérationnelles, car le passage à des navires à dominante informatique requiert des compétences plus spécialisées et moins nombreuses que l'utilisation de bateaux à dominante mécanique.

Mon troisième volet s'intitule « Bâtir ». Il vise à garantir l'accueil et l'intégration des nouvelles capacités de la marine à travers l'adaptation de nos infrastructures portuaires et nucléaires. Je rappelle qu'il y a quelques années, le choix avait été fait de les mettre à niveau au moment où arrivaient les nouveaux bâtiments, frégates multi-missions (FREMM) et les Barracuda. C'est un impératif malgré les contraintes budgétaires. De par son importance et au vu de l'avancement des nouveaux programmes, cette rénovation des infrastructures ne peut être décalée. Je vous rappelle par exemple que beaucoup de nos installations portuaires datent du plan Marshall. C'est le cas des installations électriques des ports de Brest et Toulon en cours de rénovation.

Sans doute pour moi le plus important, le dernier volet de ce plan, que j'ai intitulé « Être marin », concerne le coeur des ressources humaines. Il touche au maintien et au développement de la performance et de la combativité de nos équipages, à travers une gestion de carrière individualisée. Il comprend aussi ce que j'appelle « l'escalier social ». Car la valorisation des carrières est tout aussi bénéfique aux marins qu'à la marine elle-même.

Ce plan Horizon Marine 2025 n'est pas un simple coup de peinture sur la coque du bateau « Marine ». C'est un carénage de grande ampleur, qui comprend un remplacement intégral des moteurs, un changement du système d'armes, la livraison d'un nouveau système de combat requérant des compétences rares et un resserrement de son équipage… Il ne s'agit pas d'une simple adaptation. La marine change de format et d'organisation.

Je veux maintenant en venir aux implications de l'actualisation de la LPM. Comme je vous l'ai dit en introduction, elle s'inscrit dans un sentiment de continuité, car le modèle Horizon 2025 n'est pas impacté. En revanche, la répartition des risques est modifiée.

L'équilibre de la LPM peut être présenté comme une équation budgétaire à trois variables : effectifs, équipements et activité. C'est ce que qu'organisait le Livre blanc. À partir du moment où l'une de ces variables est figée, à savoir les effectifs, les risques budgétaires pèsent aujourd'hui sur les deux autres variables, c'est-à-dire les équipements et l'activité.

Tous les arbitrages n'ayant pas encore été rendus, à ce stade, il m'est difficile de vous livrer une analyse exhaustive des risques qui pèsent sur les équipements et sur l'activité de la marine. Je pense d'ailleurs non seulement aux arbitrages à venir au sein du ministère de la Défense, mais aussi aux conséquences potentielles des aléas budgétaires annuels dont vous êtes familiers. Il me faut donc à ce stade rester assez prudent.

Je commencerai par vous livrer mon analyse concernant les effectifs, avant de vous parler des équipements et de l'activité de la marine. Dans le domaine des effectifs, l'annonce des moindres déflations répond d'abord au besoin nouveau et nécessaire de renforcement de la protection de nos concitoyens et de nos emprises, mais en revanche, cette LPM ne permettra pas à la marine de regagner des marges de manoeuvre. Malgré les missions nouvelles, l'équation des effectifs que je vous avais présentée en automne dernier ne change pas.

Si on se place dans un premier temps à l'échelle du ministère, la facture des déflations d'effectifs prévues dans ce projet de loi est atténuée de 18 500 postes sur la période de la LPM.

Sur cet effectif, de ce que je comprends, 11 000 sont destinés à la force opérationnelle terrestre, en appui de l'opération Sentinelle et 5 000 postes environ – du moins je l'espère, en l'attente des arbitrages précis – correspondront à l'annulation de déflations qui n'avaient pas pu être identifiées par les armées lors des travaux qui ont suivi la LPM. Cela évitera ainsi pour nous une surcoupe en effectifs. Il reste donc un total de 2 000 à 2 500 moindres déflations à ventiler au sein du ministère de la Défense.

Si l'on se place maintenant à l'échelle de la marine, la manoeuvre en effectifs que je dois conduire comporte deux volets. Je dois d'abord poursuivre les efforts de rationalisation auxquels la marine s'est engagée pour la période de la LPM. Cet effort porte sur 1 800 postes – 1 300 au titre de la LPM actuelle, plus 500 qui restent à mettre en oeuvre de la LPM précédente. Reposant sur une analyse fonctionnelle, ces déflations s'appuient en grande partie sur la réduction, décidée dans le Livre blanc, des moyens, ainsi que sur le remplacement de bâtiments d'ancienne génération, qui ont encore des effectifs nombreux par des bâtiments modernes à équipage optimisé. Dans le cas des frégates anti-sous-marines, les effectifs sont divisés par 2,5 avec l'entrée en service des FREMM, qui ne requièrent plus qu'un équipage d'une centaine d'hommes. Vous mesurez ainsi l'impact sur les effectifs du moindre décalage dans le programme des FREMM.

Une part importante des déflations a déjà été réalisée en 2014 et 2015. Dans cette poursuite des efforts de déflation de la marine, les équilibres sont tenus à mes yeux.

Comme je vous l'ai répété à de nombreuses reprises, je dois veiller à trois impératifs. Premièrement, je dois veiller à ne pas aller au-delà de l'effort actuellement consenti, sous peine de mettre en péril les compétences rares et précieuses de la marine ; je rappelle que la marine s'appuie sur de nombreuses micro-filières de marins hautement qualifiés, et la tendance s'accentue avec l'arrivée des FREMM. Deuxièmement, le cadencement de ces déflations doit impérativement rester en phase avec le calendrier physique des retraits du service actif et d'entrée en service des nouveaux équipements, sinon, on cassera durablement l'outil, pour ne pas avoir attendu un ou deux ans. Troisièmement, je dois veiller à ne pas laisser se développer des objectifs de dépyramidage qui ne correspondraient pas au nouveau modèle de la marine. Je vous l'ai expliqué, la flotte de 2025 sera une flotte aux effectifs resserrés, avec un niveau de technologie accru. Mécaniquement, son taux d'encadrement embarqué devra donc être plus élevé. Je dois être vraiment très vigilant sur ce point de gestion des compétences.

Le deuxième volet de la manoeuvre en effectifs que je dois conduire consiste à renforcer les effectifs de la marine pour prendre en compte les évolutions les plus récentes. En premier lieu, j'ai demandé un renfort définitif justifié par l'évolution du contexte sécuritaire. Comme je vous l'indiquais, la marine a renforcé son dispositif de protection à la suite des attentats du mois de janvier. Ce dispositif est aujourd'hui sous forte contrainte, avec un taux d'emploi extrêmement élevé des marins concernés par cette tâche. Certains marins, tels les fusiliers, sont mobilisés plus de 70 heures par semaine. Ils n'ont pas de relève et ils remplissent toute l'année une tâche parfois ingrate, lorsqu'il s'agit de surveiller des clôtures ou des entrées de base.

Il est donc impératif que la marine puisse disposer d'environ 500 postes de fusiliers marins supplémentaires pour faire baisser la pression et contribuer à la sécurité générale. Par ailleurs, j'ai demandé un autre renforcement, de 320 postes, pour renforcer la sûreté et la sécurité des installations de la marine. Il s'agit par exemple des atomiciens. Les viviers dont ils sont issus ont été fortement réduits depuis dix ans sous l'effet des déflations d'effectif. Leur volume doit aujourd'hui impérativement être réévalué.

La marine a par ailleurs des besoins liés à des circonstances particulières. Ces besoins ont un caractère temporaire. La frégate Normandie, qui devait être livrée à la marine, est finalement vendue à l'Égypte. De manière à tenir le contrat opérationnel malgré le retard induit dans le programme FREMM, il est donc nécessaire de prolonger d'un an la durée de vie de trois frégates F70 d'ancienne génération, avec leur équipage, plus nombreux que celui d'une FREMM. Il s'agit des frégates Jean de Vienne, Montcalm et Primauguet. Dans la lutte anti sous-marine, le contrat opérationnel prévoit en effet une capacité de huit bâtiments, aujourd'hui temporairement réduite de trois.

Il a également été demandé à la marine de contribuer à la formation des marins égyptiens, en mettant à disposition une équipe d'une trentaine de marins. Ces marins sont prélevés sur le vivier encore très réduit de spécialistes FREMM de la marine, ceux-là même qui doivent assurer la montée en puissance du programme FREMM. Bien qu'ils puissent paraître dérisoires, ces chiffres sont donc non négligeables.

La marine a également été désignée, en raison de la qualité de sa gestion, pour être la première armée pour mettre en oeuvre Source solde, le successeur du logiciel Louvois. Pendant la période de transition entre les deux systèmes, qui doit s'étaler sur plusieurs mois, elle devra pouvoir assurer une double comptabilité de la solde, ce qui suppose qu'elle puisse bénéficier de renforts en personnel qualifié, environ une cinquantaine de marins, pour assurer à la fois la gestion des inconvénients du logiciel Louvois et le plein succès du logiciel nouveau.

Le besoin de la marine est donc d'un peu plus de 800 postes à caractère permanent, et de 200 à 300 autres pour une durée limitée dans le temps, pour la plupart dans la durée de la LPM, à savoir ceux qui sont liés à la mise en oeuvre du logiciel Source solde et au décalage dû à l'export.

Je tiens à conclure sur ce volet par un constat très ferme : la marine a épuisé toutes ses marges de manoeuvre en matière d'effectifs. Les moindres déflations permettent de répondre à l'urgence dans le domaine de la protection de nos concitoyens et des emprises. Mais l'actualisation ne change pas l'équation générale. Je continue les déflations telles que prévues.

Je voudrais, à titre d'exemple, vous indiquer que si l'on fait la somme des astreintes à moins de 48 heures, des jours de garde des bateaux à quai à raison d'un tour par semaine, des absences du port-base pour 120 jours par an, on atteint 180 jours de contraintes par an pour les marins embarqués sur des frégates, soit près d'un jour sur deux, ce qui se paye en termes de vie familiale. Il me paraît difficile d'en demander plus. Le moral des marins reste la première de mes priorités.

Dans le domaine des équipements, le plan d'équipement de la marine reste fort heureusement conforme aux prévisions et aux besoins que j'évoque devant vous de longue date, mais force est de constater que certains besoins restent à pourvoir. L'actualisation de la LPM confirme le calendrier de livraison des FREMM. Lorsque la Normandie a été vendue, il y avait une incertitude sur le calendrier de livraison d'une sixième FREMM.

Pour autant, la vente de la Normandie a occasionné un retard d'environ un an dans l'arrivée des nouveaux bateaux, créant le besoin de combler des trous en maintenant en activité des bâtiments très anciens.

Le lancement du programme des frégates de taille intermédiaire (FTI) est confirmé et avancé de deux ans, avec une première livraison prévue en 2023. C'est une bonne nouvelle : ce programme permettra d'atteindre en 2029 le format de 15 frégates de premier rang de nouvelle génération. D'ici là il sera tenu grâce à l'ajout de sonars sur des frégates légères.

Le lancement du programme FLOTLOG au cours de la période de la LPM est également confirmé. Avec trois bâtiments, le format de la flotte logistique prévu par le Livre blanc est atteint, mais les pétroliers ravitailleurs sont vieillissants, ne correspondent plus aux exigences modernes et doivent être remplacés. Leur vieillissement est un risque que l'on prend. Le lancement du programme FLOTLOG est donc vital.

Dans le domaine de la protection, qui inclut l'action de l'État en mer, ce projet de loi confirme la commande du quatrième bâtiment multi-missions (B2M) et de quatre bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH) financés sur les crédits d'équipement. Ce besoin n'est pas nouveau : la marine l'exprime depuis 2008 pour les BSAH. Rappelons que les B2M répondent aux besoins quotidiens de surveillance de la zone économique exclusive outremer, tandis que les BSAH servent à la lutte contre la pollution et au remorquage et à l'assistance. Je ne peux que me féliciter que nous ayons été entendus.

On parle ici de montants d'engagement limités au regard des plus gros programmes de la défense, puisqu'il s'agit d'une trentaine de millions d'euros sur le milliard d'euros supplémentaire prévu pour être consacré aux équipements. Cette nouvelle est donc importante pour la marine, mais reste modeste sur le plan budgétaire.

En revanche, cette actualisation de la LPM ne modifie pas l'échéance de livraison tardive du programme de patrouilleur de haute mer BATSIMAR, toujours annoncé pour 2024. C'est l'un de mes soucis permanents.

La marine bouche les trous occasionnés par le départ des BATRAL, bâtiments légers amphibies, avec l'arrivée des B2M, mais il y aura d'autres trous à boucher avec le départ des patrouilleurs. En 2020, la rupture de capacité outre-mer sera supérieure de 50 % par rapport à la situation actuelle. Je continue à soutenir qu'il est indispensable de voir arriver les BATSIMAR au plus vite dans les forces et je défendrai ce point de vue à l'occasion de la réflexion sur le prochain Livre blanc. Il ne s'agit pas de volumes financiers considérables, mais ces bâtiments sont indispensables à la surveillance de la zone économique exclusive.

Enfin, je voudrais revenir sur le programme des hélicoptères légers. L'âge moyen des Alouette III est aujourd'hui de 42 ans, celui des Lynx de 33 ans. Dans le grand concours du matériel le plus ancien, nous ne sommes sans doute pas loin d'être les meilleurs. Ces hélicoptères rendent encore de bons services, mais leur maintien en condition opérationnelle est délicat. Il faudra y songer aussi au cours de l'élaboration du prochain Livre blanc.

En matière d'activité, je voudrais tout d'abord rappeler que la marine finance 98 % de ses opérations sur son enveloppe budgétaire propre. Bien qu'en opération partout, elle émarge très peu au budget des opérations extérieures, n'ayant été remboursée, par exemple, que de 30 millions d'euros sur 1,1 milliard d'euros alloués en 2014 à ce budget. La marine autofinance donc ses opérations sur ses crédits d'entretien. C'est important de le rappeler quand on parle d'arbitrages financiers, car je les aborde en sachant qu'ils n'amèneront que très peu d'apport nouveau à la marine.

L'activité reste un domaine crucial : sans elle, le nombre de jours de mer s'effondrerait, et les missions également. Le projet d'actualisation de la LPM prévoit d'abonder les crédits d'entretien du ministère de la Défense à hauteur de 500 millions d'euros. Nous verrons quels seront les arbitrages sur la répartition de cet abondement. L'objectif reste bien, conformément à la LPM, de remonter l'activité à partir de 2016.

Pour l'instant, je suis contraint de faire des choix en privilégiant l'activité opérationnelle sur la préparation opérationnelle, en particulier en réduisant les entraînements majeurs ou la participation aux exercices multinationaux. C'est une situation qui devra rester temporaire, sous peine de porter atteinte aux compétences de la marine.

Le projet d'actualisation de la LPM prévoit de porter l'effort sur les équipements en redéployant à leur profit un milliard d'euros. Cet effort est obtenu en tablant sur des gains réalisés grâce à l'amélioration des indices économiques, tels que l'inflation, le coût des carburants ou le coût des matières premières… Il sera important de bien les identifier.

Je ne voudrais pas non plus que soient fragilisés, pour une raison ou pour une autre, les projets d'infrastructures de la marine. Ces projets sont indispensables pour l'accueil des nouveaux bâtiments et pour la remise en état des infrastructures industrielles et portuaires vieillissantes, dont la situation est préoccupante. Aujourd'hui, la ressource programmée pour ces remises à niveau ne couvre que 60 % des besoins.

Or les besoins restent réels. À titre d'exemple, dans le domaine de l'infrastructure, à Toulon, dans la principale zone de stationnement des grands bâtiments, cinq quais sur six font l'objet de mesures restrictives d'emploi en raison de problèmes de corrosion. L'infrastructure est donc vitale, puisqu'il s'agit du stationnement de nos bâtiments.

En conclusion, je voudrais saluer la continuité de l'actualisation vis-à-vis du Livre blanc et de l'absence de remise en cause du plan Horizon Marine 2025. La France a connu au mois de janvier des événements tragiques, à la suite desquels des mesures de protection ont été prises. Pour autant, il me semble important que cette menace ne vienne pas éclipser les autres menaces et les autres enjeux, qui n'ont pas disparu après le 11 janvier 2015. Ce n'est pas parce qu'une nouvelle menace apparaît que les autres disparaissent. Tout nous prouve aujourd'hui le contraire. Nous devons penser à l'avenir, par une réflexion stratégique sur la longue durée, même si nous répondons bien sûr aux sollicitations du moment : opérations Sentinelle, Frontex... Les armées sont sollicitées comme elles ne l'ont jamais été, mais il faut continuer de s'engager à l'horizon 2025-2030 et songer au legs que nous laisserons à la prochaine génération.

Enfin, je voudrais dire combien je suis fier des marins qui servent sous mes ordres, avec une disponibilité extrême et des contraintes familiales lourdes. Je reste très attentif à leur moral, qui est aujourd'hui fragile. Ce qui ressort des rapports sur le moral, que je lis chaque jour, c'est une lassitude devant les réformes conduites depuis 10 ans, qui compliquent la vie au quotidien, lassitude également devant l'empilement des contraintes. Or, si le moral descend, nous connaîtrons un problème de fidélisation des marins, ce qui nous poserait un très en termes de ressources humaines.

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