Intervention de Dominique Baert

Séance en hémicycle du 1er juin 2015 à 16h00
Octroi de mer — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Baert, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos collectivités ultramarines, réparties sur tous les océans, contribuent au rayonnement de notre pays à travers le monde et disposent d’un potentiel de développement formidable, en particulier sur le plan touristique, mais aussi des productions propres. Elles sont aussi soumises à des contraintes géographiques et présentent des fragilités économiques et sociales. Il convient de le prendre en compte, y compris en termes de fiscalité, pour leur permettre de réussir.

Outil original, l’octroi de mer s’inscrit dans une démarche de soutien à ces économies ultramarines. Là où elle s’applique – en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte – cette taxe fournit des ressources importantes aux collectivités, mais elle permet aussi, vous le rappeliez, madame la ministre, par un jeu subtil de taxations différenciées, de dégrèvements et d’exonérations, de taxer certaines productions locales moins lourdement que les importations. L’octroi de mer est ainsi un pilier de l’équilibre du tissu économique local. Il nous faut donc le préserver – le Parlement est d’accord avec vous, madame la ministre, sur ce point. Et c’est bien ce que nous propose le Gouvernement, à l’issue de négociations européennes réussies, ce dont nous pouvons tous ensemble nous réjouir.

Ainsi, le projet de loi adopté par le Sénat le 7 mai dernier proroge l’octroi de mer au-delà du 1er juillet 2015, tout en le réformant pour tenir compte de nos obligations communautaires. Notre commission des finances a examiné ce texte, qui réforme la loi du 2 juillet 2004. Même si les délais ont été contraints par l’urgence, nous avons été attentifs à la prise en compte des situations diverses et des aspirations locales, comme l’ont aussi été nos collègues sénateurs, dont nous avons apprécié les ajouts et le travail globalement consensuel.

Dans nos territoires ultramarins, l’octroi de mer est une ressource essentielle pour les communes et les régions, ou les collectivités uniques qui tiennent lieu à la fois de département et de région. Il leur fournit de 30 % à 50 % de leurs recettes fiscales, vous le rappeliez. Consistante, cette taxe a rapporté en 2014 près de 1,15 milliard d’euros. L’octroi de mer, je le disais, protège aussi les productions locales, dans des économies qui font face à des contraintes structurelles et spécifiques. Je pense notamment à la taille limitée des marchés locaux, qui ne facilite pas toujours les économies d’échelle, à l’insularité ou, pour la Guyane, aux difficultés d’accès à une partie du territoire, ou encore au niveau de vie de la population. Voilà pourquoi il est juste de traiter l’outre-mer différemment de la métropole, y compris fiscalement.

L’Union européenne a d’ailleurs reconnu, pour l’octroi de mer, que cette démarche était fondée et pouvait conduire à accepter quelques exceptions au célèbre principe de non-discrimination, inscrit à l’article 110 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Parce qu’il déroge en partie à ce principe, le régime de l’octroi de mer reste transitoire et doit régulièrement être prorogé et adapté. Ainsi, son extension aux productions locales, prévue par une loi du 17 juillet 1992, faisait suite à une décision du Conseil des Communautés européennes rendue en 1989. Depuis cette époque, les conseils régionaux ou assemblées similaires sont autorisés à moduler les taux d’octroi pour taxer moins lourdement les entreprises qui livrent les biens qu’elles ont fabriqués dans la collectivité, et les plus petites entreprises ultramarines peuvent bénéficier d’une exonération complète d’octroi de mer.

Le régime actuel de l’octroi de mer résulte de la loi du 2 juillet 2004, adoptée à la suite d’une décision rendue par le Conseil de l’Union européenne le 10 février 2004, qui a prorogé le régime transitoire de l’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014. La France a ensuite obtenu, le 17 décembre dernier, que cette date soit repoussée jusqu’au 30 juin 2015.

C’est le délai, bientôt expiré, qui nous est laissé pour adapter la loi du 2 juillet 2004 aux nouvelles exigences européennes, en contrepartie de la prorogation de l’octroi de mer jusqu’en 2020. Si nous faisons le nécessaire à temps, nous aurons donc préservé cet outil fondamental pour plus de cinq années supplémentaires.

Quelles sont ces exigences qui nous conduisent à modifier la loi du 2 juillet 2004 ? En premier lieu, ne seront plus assujetties à l’octroi de mer les entreprises locales dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros par an, alors qu’actuellement toutes y sont assujetties. Cela permettra de libérer plus de 3 500 petites entreprises de leurs actuelles obligations déclaratives et comptables dans ce domaine. En revanche, les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros seront désormais redevables de l’octroi de mer. Cela ne devrait concerner qu’un peu plus de 650 entreprises, qui subiraient au total, d’après les estimations fournies, un surcoût évalué à 800 000 euros la première année.

En contrepartie toutefois de cette extension du champ d’application réel de l’octroi de mer, les entreprises redevables pourront, comme cela se fait pour la TVA, déduire du montant d’octroi qu’elles doivent payer celui qu’elles ont supporté sur leurs propres achats, en amont de la production. Par ailleurs, les assemblées territoriales disposeront de possibilités d’exonération accrues. Cela concernera l’importation et la livraison des biens à consommer sur place dans les avions et les bateaux, ainsi que le carburant à usage professionnel, grâce à un élargissement décidé par le Sénat, puisque cette possibilité était initialement réservée aux seuls biens destinés à être utilisés dans l’agriculture, la sylviculture et la pêche. Cela concernera aussi l’importation de biens destinés aux entreprises, à des établissements sanitaires, scientifiques, de recherche ou d’enseignement, ainsi qu’à des organismes exerçant sans but lucratif, vous le rappeliez, madame la ministre, certaines activités d’intérêt général.

En outre, le projet de loi a soumis les taux d’octroi de mer à un plafond, légitime au demeurant, en vertu du rôle d’encadrement que l’article 72-2 de la Constitution confie au législateur en matière de fiscalité locale. Pour tenir compte des taux actuellement pratiqués, ces plafonds seront fixés à 60 % de la valeur en douane ou du prix hors taxes des produits – à 90 % de cette valeur s’il s’agit d’alcool ou de tabac. Ces taux, majorés de moitié à Mayotte, étaient, dans le texte initial, de dix points moins élevés. Le léger relèvement des plafonds décidé par les sénateurs nous a paru réaliste et permettra de bien préserver la liberté des assemblées territoriales, qui sauront fixer, j’en suis certain, les taux au niveau approprié pour chaque type de produit.

Le Sénat n’a pas remis en cause l’équilibre général du projet de loi, et la plupart des modifications apportées ont un caractère technique destiné à clarifier ou préciser certaines rédactions en veillant à préserver la cohérence juridique de la loi du 2 juillet 2004. Il a cependant décidé quelques changements notables.

D’abord, il a décidé, comme je l’ai déjà dit, de permettre aux conseils régionaux d’exonérer d’octroi de mer les importations de biens destinées aux centres de santé et aux établissements ou services sociaux et médico-sociaux. C’est un point important.

Il a également prévu certaines adaptations des règles de territorialité applicables aux échanges entre la Guyane, d’une part, et la Guadeloupe et la Martinique, d’autre part, afin de remédier aux déséquilibres commerciaux que l’on peut constater actuellement. Issues d’un accord conclu entre les élus des collectivités concernées, le 28 avril dernier si je me souviens bien, les nouvelles règles conduiront, comme cela se fait pour les autres collectivités, à taxer dans la collectivité de destination certains biens limitativement énumérés. Il s’agit essentiellement d’alcool, de peintures et vernis, de papier hygiénique et de certaines barres métalliques.

Le Sénat a également introduit des dispositions dont l’objet est de créer une commission composée de représentants des élus territoriaux. Cette commission, qui devra suivre et analyser l’évolution des échanges de biens entre ces collectivités, constituera un forum de discussion et de réflexion très utile. Si nécessaire, elle pourra proposer d’adapter les modalités locales de taxation de certains produits. Enfin, il est légitime de prévoir, comme le propose le Sénat, que le Parlement sera destinataire du rapport transmis par le Gouvernement à la Commission européenne avant la fin de l’année 2017 pour que nous évaluions ensemble les effets économiques du nouveau régime d’octroi de mer.

Lorsqu’elle a examiné ce texte mercredi dernier, notre commission des finances a estimé que les changements proposés étaient globalement consensuels et allaient dans le bon sens, tout en tenant compte de nos engagements européens. Soucieux, avant tout, de respecter les délais européens, nous avons voulu adopter à l’unanimité et sans amendement – aucun n’avait été déposé – le projet de loi dans la rédaction proposée par le Sénat.

Sans doute, madame la ministre, notre commission et son rapporteur auraient-ils pu déposer et faire adopter quelques amendements d’esthétique textuelle, pour reprendre l’expression que j’ai employée en commission pour désigner des amendements qui viseraient à préciser ou à améliorer la rédaction de tel ou tel article. Mais, en responsabilité, nous avons, à l’unanimité, choisi de ne pas le faire…

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