Intervention de Razzy Hammadi

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRazzy Hammadi, rapporteur :

Je me félicite de pouvoir défendre, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC), un texte important pour les victimes de discrimination dans notre pays. La proposition de loi vise à apporter une réponse au paradoxe de Mancur Olson, qui veut que plus un groupe s'élargit, moins il est efficace dans la défense de ses intérêts, car chacun s'en remet à l'autre et personne n'agit. C'est ainsi que des comportements fautifs ne sont pas sanctionnés, faute de demande de réparation individuelle : dans notre pays, la moitié des personnes victimes de discrimination n'entament aucune procédure.

Notre majorité s'est attaquée à ce problème. On parle des actions de groupe, ou class actions, depuis trente-cinq ans, la gauche comme la droite ayant proposé de mettre une telle réforme en oeuvre. Cependant, on disait aussi de cette procédure qu'elle était impossible à insérer dans notre système juridique. Aujourd'hui, avec la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, au projet de loi de modernisation de notre santé et à la présente proposition de loi, tout a changé.

La construction juridique repose désormais sur des éléments concrets. En 2014, le Conseil constitutionnel a intégralement validé la démarche de l'action de groupe en droit de la consommation, y compris dans sa version simplifiée. La procédure est sûre, stable et constitutionnelle ; le nombre d'actions de groupe initiées montre sa popularité et son efficacité. Cette proposition de loi la reprend, puisqu'elle ne subit plus la moindre critique juridique.

Deux phases structurent l'action de groupe, la première déterminant la responsabilité de l'auteur et la seconde l'indemnisation des dommages. Elle peut être diligentée par une association reconnue dans la lutte contre les discriminations ou, dans le monde du travail, par une organisation syndicale – sur cette question, je souhaite que le débat se déroule en séance publique. Les victimes sont représentées par cette entité requérante qui agit en leur nom au cours du procès, mais elles gardent le droit, à tout moment, de faire valoir leurs droits dans une procédure individuelle classique. Nul n'entre dans l'action de groupe contre son gré, ainsi que l'exige le Conseil constitutionnel depuis la décision 89-257 DC du 25 juillet 1989.

Aujourd'hui, après les consommateurs et les patients, il s'agit de donner les moyens de se défendre aux victimes de discriminations prohibées. Souvenons-nous de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». L'utilité commune, c'est le mérite, qui constitue le seul discriminant acceptable dans la République française. Les autres critères altèrent le pacte social. Ils sont d'ailleurs interdits par le code pénal, par le code du travail et par plusieurs autres textes de loi. Les discriminations raciales, sexistes, homophobes sont prohibées, mais aussi celles fondées sur l'apparence, l'origine, l'adresse de résidence ou encore l'état de santé. Elles sont sanctionnées en correctionnelle au nom de la société et au civil pour l'indemnisation des personnes. Mais pour une victime qui se plaint, combien se murent dans un silence qui assure l'impunité du fautif ? Comment tolérer que l'écart de salaire entre les hommes et les femmes atteigne encore 25 % ? Comment imaginer qu'existent encore des fichiers qui classent par ethnie ou par religion ? Comment concevoir qu'il faille encore dissimuler une grossesse de peur d'encourir un licenciement ?

Il ne faut pas seulement réprimer les pratiques discriminatoires. Il faut les dissuader. L'expérience des dix-sept pays de l'Union européenne ayant déjà déployé l'action de groupe nous enseigne qu'au-delà de la sanction, ce mécanisme favorise une puissante prévention qui engendre des évolutions sans précédent.

Cette procédure permettra le prononcé de sanctions jusque-là inappliquées, c'est-à-dire inexistantes. C'est aussi pour cette raison que la proposition de loi crée de droit un mécanisme de médiation. Il importe de souligner qu'il s'agit d'un texte de procédure, qui ne comporte aucun objet pénal, qui ne redéfinit pas la discrimination et qui ne durcit pas les peines. Les actes qui pourront faire l'objet d'une action de groupe sont déjà tous répréhensibles. Il y a déjà des gens qui agissent mal, qui le savent et qui continuent parce qu'ils passent entre les mailles du filet. Le bailleur, le chef d'entreprise, le prestataire de services et même le particulier doivent être mis en face de leurs responsabilités. C'est sur la réparation que porte ce texte.

La question de l'action de groupe contre les collectivités territoriales, l'État et les personnes publiques doit nécessairement être traitée – elle fait l'objet d'un amendement. À la suite des remarques de Mme Colette Capdevielle, le tribunal administratif sera compétent en la matière et non les prud'hommes. La réflexion reste en cours au sujet de la discrimination dans l'entreprise, afin de prévoir un délai de mise en place laissant toute sa chance au dialogue social. Je vous propose de ne trancher cette question que lors de la séance publique. Un autre point en débat porte sur les mesures de publicité. Enfin, la perspective d'une action de groupe simplifiée centrée sur les situations les plus caractérisées fera l'objet d'un amendement.

La lutte contre les discriminations constitue un très fort enjeu pour la cohésion du pacte social. Le droit les interdit déjà, mais elles doivent maintenant disparaître dans les faits comme le réclame la population. Cette proposition de loi est une opportunité pour notre Parlement d'inscrire encore davantage son action dans un mouvement vers l'égalité ; elle offre aux républicains, sur tous les bancs, l'occasion de montrer leur refus des préjugés et des logiques d'exclusion.

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