Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg, rapporteur :

La proposition de loi relative à l'accueil des gens du voyage est à la fois ambitieuse, modeste et consensuelle.

Ambitieuse, parce qu'elle s'attaque à la très vieille histoire de la cohabitation entre la façon de vivre de la majorité et la façon de vivre d'une minorité. Déjà dans la Bible, entre les fils d'Ève, Abel le pasteur nomade et Caïn l'agriculteur sédentaire, l'affaire a mal tourné puisque Caïn a fini par tuer Abel. Cette tragédie s'est répétée tout au long de l'histoire, et notre sol porte les traces des vingt-sept camps dans lesquels furent internés les gens du voyage pendant la Deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui, nous sommes là pour que les choses s'arrangent et que l'histoire se termine bien.

Modeste, cette proposition de loi l'est, car elle n'aborde pas tous les aspects de la question, tels que la caravane comme mode d'habitation et la scolarité des enfants. Elle comporte seulement deux volets, l'un visant à réintégrer les gens du voyage dans le droit commun de la République, l'autre fixant de manière équilibrée les droits et les devoirs de tout un chacun.

Consensuelle, cette proposition de loi opère un rapprochement entre différents bancs de notre hémicycle et différentes façons de concevoir la vie publique. Les deux projets de lois défendus par Louis Besson ont été votés par la gauche ; la droite les a approfondis, en les amendant, sans jamais revenir sur les principes qu'ils posaient. Tous les rapports sur le sujet, que ce soit ceux du sénateur Pierre Hérisson et de la mission d'information conduite par le député Didier Quentin, tous deux du groupe UMP de leur assemblée, ou celui du préfet Hubert Derache remis au Premier ministre socialiste Manuel Valls, vont dans le même sens aujourd'hui retenu dans cette proposition de loi.

Le premier volet du texte, concernant la réintégration des gens du voyage dans le droit commun de la République consiste à abroger la loi de 1969. Prise pour améliorer une législation antérieure datant de 1912, cette loi limitait la liberté de circulation des gens du voyage : ils avaient obligation de posséder un carnet ou un livret de circulation selon qu'ils étaient indigents ou pas, et un livret spécial pour les commerçants ; ils devaient se rattacher à une commune, sans que leur nombre puisse excéder 3 % de la population totale ; ils n'obtenaient le droit de vote qu'après trois ans de rattachement à cette commune.

Cette législation a été critiquée de toutes parts. Qu'il s'agisse de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) en 2007, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) en 2008, du Comité des droits de l'homme de l'ONU en mars 2014, du Défenseur des droits en novembre 2014 ou du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe en février 2015, tous l'ont condamnée comme une législation discriminante, traitant une catégorie de citoyens de façon différente des autres sans que cette rupture d'égalité soit justifiée par une quelconque différence de situation.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 5 octobre 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé certaines dispositions de la loi de 1969 en supprimant le carnet de circulation et en rétablissant le droit de vote dans les règles du droit commun – un rattachement depuis six mois est désormais suffisant pour l'obtenir. Les dispositions de la présente proposition de loi se situent dans le droit-fil de ces analyses.

Tout d'abord, je vous propose d'abroger la loi de 1969 dans toutes ses dispositions encore en vigueur, en mettant fin aux titres de circulation et en faisant en sorte que le droit commun s'applique aux gens du voyage. Pour justifier de leur identité, les gens du voyage pourront, comme les autres citoyens français, produire une carte nationale d'identité ou un passeport. Suivant le rapport du préfet Derache, je propose également de supprimer le mécanisme des communes de rattachement qui n'a plus de sens. Les craintes que l'on pouvait avoir à propos d'un rassemblement de populations non résidentes qui aurait pu fausser les élections sont fantasmatiques. Une telle fraude est totalement impossible à organiser. Enfin, je propose de réintégrer les gens du voyage dans le droit commun de la domiciliation, en leur permettant si nécessaire d'élire domicile dans leur centre communal ou intercommunal d'action sociale, dans une association agréée, sur un terrain qui leur appartient ou chez un tiers.

Le deuxième volet, qui concerne les droits et devoirs, vise à équilibrer la situation.

Les droits, c'est l'application pleine et entière des deux « lois Besson » de 1990 et 2000. Ces lois avaient prévu, pour l'accueil des gens du voyage, la mise en place, dans chaque département, d'un schéma départemental prévoyant des aires d'accueil et les autres terrains nécessaires à l'accueil, sans donner beaucoup de précisions. La seule obligation précise était celle pesant sur les communes de plus de 5 000 habitants, qui devaient aménager une aire d'accueil. À partir de 2000, partant du constat que cette obligation n'était que peu remplie, un pouvoir de substitution au préfet a été rajouté. Aujourd'hui, quinze ans après, n'ont été construites que 65 % des aires prévues par les schémas départementaux, offrant une disponibilité d'environ 30 000 places au lieu des 41 000 prévues en application de la loi ; seulement 49 % des terrains de grand passage ont été aménagés.

Il faut mettre fin à cette non-application de la loi tout en tenant compte de l'évolution des modes de vie des gens du voyage. Cette appellation est quelque peu démentie par certains d'entre eux qui voyagent de moins en moins. Sur les 350 000 à 400 000 personnes recensées sous cette appellation, 40 000 environ sont des commerçants forains, des industriels forains ou du cirque qui voyagent, 40 000 autres sont des commerçants qui voyagent également ; les autres, finalement, se déplacent assez peu, certaines étant devenus quasiment sédentaires. La proposition de loi vise à donner au préfet le pouvoir d'imposer l'application du schéma départemental dans toutes ses dispositions, qu'elles concernent les aires d'accueil ou les aires de grand passage – définies par une circulaire comme un terrain de quatre hectares pour 200 caravanes –, sachant qu'il existe des grands rassemblements, généralement religieux, réunissant plusieurs milliers de caravanes.

Pour que le préfet puisse exécuter le schéma départemental élaboré en lien avec les élus locaux et les représentants départementaux des gens du voyage, le mécanisme retenu est plus qu'un pouvoir de substitution, l'autorisant à réaliser les aires « en lieu et place » des communes, qui s'est avéré difficile à exercer, mais le pouvoir de consigner les sommes nécessaires à la construction des aires dans le budget communal.

Le texte prévoit le nécessaire transfert de la compétence « accueil des gens du voyage » aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Mais ce n'est désormais que pour mémoire, car, entre-temps, la loi de modernisation de l'action et d'affirmation des métropoles et le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ont prévu ce transfert.

Parce que la proposition est équilibrée, les gens du voyage se voient également assigner des devoirs. Dès lors que les communes sur lesquelles ils entendent stationner se sont conformées à la « loi Besson » de 2000 et ont construit les terrains nécessaires à leur accueil, ils doivent respecter les règles de stationnement.

En cas de non-respect, la loi de 2000 avait prévu une procédure d'évacuation devant le juge civil. En 2007 a été introduite une procédure administrative particulière par laquelle le préfet peut faire procéder à l'évacuation vingt-quatre heures après avoir pris un arrêté de mise en demeure, ce dernier pouvant faire l'objet d'une contestation devant le tribunal administratif par les contrevenants. Cette procédure s'est avérée efficace, les tribunaux administratifs considérant de façon assez large le trouble à l'ordre public nécessaire à son déclenchement. Je vous propose de prolonger son efficacité et d'abandonner le système prévu initialement à l'article 3 de la proposition de loi : un dernier entretien avec le ministère de l'Intérieur m'a absolument convaincu du caractère douteux de sa constitutionnalité. À la place, je vous propose de conserver à l'arrêté préfectoral de mise en demeure son applicabilité si une nouvelle installation est constatée sur le territoire de la même commune ou du même EPCI sept jours après sa notification.

Je le répète, le texte ne vise pas à régler toutes les questions. Il tend à appliquer aux gens du voyage le droit commun de la République, à mettre fin à un contrôle devenu obsolète et à donner son plein effet à la loi d'équilibre qu'est la « loi Besson ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion