Intervention de Sandrine Mazetier

Réunion du 19 mai 2015 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier, rapporteure :

Mes chères collègues, depuis 2012, le gouvernement a fait de l'emploi son objectif, et du dialogue social, sa méthode.

Présenté en Conseil des ministres le 22 avril 2015, le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi comporte plusieurs avancées majeures, porteuses de progrès social, en particulier pour faire en sorte que les 4,6 millions de salariés des très petites entreprises (TPE) et du particulier employeur aient, eux aussi, droit à une représentation, mais aussi pour valoriser et favoriser l'engagement des salariées et des salariés dans l'entreprise.

Il s'agit également de simplifier les règles du dialogue social pour le rendre plus efficace et stratégique, au travers notamment du regroupement des consultations annuelles et des négociations obligatoires, et de prévoir une clarification des rôles et un fonctionnement plus fluide des institutions représentatives du personnel (IRP) dans les entreprises.

Le projet de loi vise également à améliorer les dispositifs de soutien financier aux travailleuses et aux travailleurs modestes, avec la création d'une prime d'activité, qui sera aussi ouverte aux jeunes actifs.

Il prévoit, en outre, de sécuriser les parcours professionnels, au travers notamment de la création du compte personnel d'activité, qui sera l'une des grandes réformes sociales de cette législature. De nombreux droits individuels, mobilisables à l'initiative du salarié, ont été mis en place grâce à des gouvernements de gauche, tels que le compte épargne temps, le compte personnel de formation et le compte pénibilité, et il s'agit à présent de les réunir pour donner plus de lisibilité à ces dispositifs, et de les décloisonner pour permettre à chacune et à chacun d'être acteur de son parcours professionnel.

La Délégation aux droits des femmes a souhaité se saisir de cette réforme importante du dialogue social et de l'emploi, car 48 % des personnes en emploi dans ce pays sont des femmes et 70 % des travailleurs modestes sont des travailleuses. Il était donc légitime, dans le droit fil de nos travaux précédents, de nous pencher sur ce projet de loi.

Nous nous sommes concentrées sur les dispositions relatives à l'objectif de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP (article 5), à la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles dans les TPE (article 1er), ainsi qu'à la protection contre les discriminations salariales et la valorisation des parcours des représentantes et représentants du personnel (articles 2 à 4).

La délégation a également examiné attentivement les articles 13 et 14, qui portent sur le regroupement des consultations annuelles et des négociations obligatoires, et s'est efforcée d'en mesurer l'impact sur la négociation collective sur l'égalité professionnelle et les informations relatives à la situation comparée des femmes et des hommes sur lesquelles elle s'appuie.

Nous nous sommes également penchées sur la création d'une prime d'activité (articles 24 à 27), sachant que les femmes représentent la majorité des travailleurs pauvres dans notre pays. Enfin, d'autres mesures ont été examinées sous l'angle de l'égalité entre les femmes et les hommes, concernant les intermittentes et intermittents du spectacle (article 20), l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et le compte personnel d'activité (articles 21 et 22).

Plusieurs auditions ont été organisées sur ce texte, et nos travaux ont également pu s'appuyer sur l'avis rendu par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle.

Dans un calendrier extraordinairement contraint, ce rapport d'information, et les recommandations qui en sont issues n'auraient pu exister sans les nombreux travaux précédents de la Délégation aux droits des femmes sur la précarité, la fiscalité et l'emploi.

La première partie de ce rapport est consacrée aux IRP. L'article 1er du projet de loi institue les commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les entreprises de moins de onze salariés. Dans le cadre des nouvelles régions, ces dispositions pourraient être complétées concernant la représentation des femmes.

L'article 5 institue une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes. Ce n'est pas la parité, mais l'application de la théorie du miroir : les listes des candidats pour les élections aux postes de délégués du personnel et de membres du comité d'entreprise doivent refléter le poids respectif de chacun des collèges électoraux. Si le corps électoral est composé de 70 % d'hommes et de 30 % de femmes, par exemple, les listes devront comporter 70 % de candidats et 30 % de candidates.

En cas de listes irrégulières, le juge judiciaire peut réformer les élections en rayant un ou plusieurs noms sur les listes, ceux du sexe surreprésenté. Même chose en cas de listes incomplètes : le juge peut réformer les élections. Il peut aussi déclarer les listes irrégulières s'il est saisi avant les élections, en référé. Il existe une incertitude sur le point de savoir si, dans ce contexte, les noms radiés par le juge sont pris en tête de liste, auquel cas on pénalise des élus susceptibles de devenir des titulaires, ou en fin de liste, auquel cas on pénalise des élus susceptibles de devenir des suppléants. Logiquement, il vaudrait mieux que ce soit en tête de liste.

Tel qu'il est rédigé, l'article 5 constitue une avancée pour les femmes. Bien sûr, il est possible d'aller plus loin, d'une part, dans le cadre du texte, en instituant une représentation alternée femmes-hommes, afin que les femmes soient en position éligible, et, d'autre part, en modifiant la logique du texte et en prévoyant, à terme, la parité intégrale.

Les articles 2, 3 et 4 prévoient une validation des acquis professionnels des salariés en tant que délégués aux IRP. En particulier, l'article 3 prévoit un système de certification professionnelle à l'échelle nationale. Ici, l'obstacle majeur pour les femmes est la clause prévue par le texte des 30 % du temps de travail exercé pour le, ou plutôt les mandats, clause qui sert de fait générateur pour la reconnaissance des parcours professionnels. Cette clause favorise plutôt les hommes qui détiennent généralement plusieurs mandats. Nous pourrions préconiser d'abaisser ce taux uniformément à 10 %, ce qui correspond à un seul mandat exercé au sein des IRP et davantage à la situation des femmes.

La première recommandation vise à compléter l'article 5 du projet de loi relatif à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP, en indiquant qu'il est nécessaire de prévoir des listes de candidats alternées. Il s'agit d'avoir la certitude que la composition des listes assure la présence de femmes en position éligible.

La deuxième recommandation vise à organiser, à partir du 1er janvier 2017, un système progressif permettant d'aboutir, à terme, à la parité entre les hommes et les femmes dans la composition des institutions représentatives du personnel. C'est ainsi que l'on pourrait prévoir une représentation proportionnelle des femmes et des hommes lors des premières élections ; puis, la réalisation de listes électorales comportant 40 % de femmes lors des élections suivantes ; et enfin, la parité intégrale lors des élections ultérieures.

Dit autrement, on pourrait prévoir l'application de l'article 5 corrigé par la première recommandation, puis la réalisation de listes électorales comportant 40 % de femmes, ou 40 % d'hommes dans les secteurs hyper féminisés, lors des élections suivantes, et enfin la parité intégrale lors des élections ultérieures.

La troisième recommandation vise, aux articles 2 et 4 du projet de loi, à abaisser la condition minimale de durée du mandat de représentant du personnel – condition nécessaire pour la reconnaissance du parcours professionnel – à 10 % du temps de travail. Il s'agirait donc de ramener cette condition nécessaire pour la reconnaissance du parcours professionnel de 30 % à 10 %.

La quatrième recommandation vise à prévoir, dans les articles L. 2141-5 et L. 2242-20 du code du travail, que les entreprises doivent favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions syndicales et électives en veillant à une bonne prise en compte de la nécessaire articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Je sais que cette recommandation peut sembler un voeu pieux, mais l'article 5 est modérément bien accueilli, les organisations représentatives des salariés nous ayant expliqué que des mesures devraient être prises pour l'accompagnement des mandats, mais que le texte ne prévoit aucune contrainte pour les employeurs. Cette recommandation est donc une manière de rappeler que les employeurs, en se souciant de l'articulation entre vie personnelle et vie professionnelle et de l'engagement syndical ou dans les IRP de leurs salariés, peuvent contribuer à l'application de la disposition que nous préconisons, à savoir la parité dans l'ensemble des institutions représentatives du personnel.

La cinquième recommandation est rédigée de la façon suivante : les listes des candidats élaborées en vue de la désignation des membres des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doivent tendre progressivement à la parité. Dans ce but, à partir du 1er janvier 2017, il est procédé de la manière suivante : pour la première élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent refléter le pourcentage d'hommes et de femmes existant au sein du corps électoral concernant les élections des délégués du personnel et celle des membres des comités d'entreprise ; pour la seconde élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent représenter 40 % de femmes ; pour la troisième élection, ces listes sont établies en respectant la parité entre les femmes et les hommes.

La sixième recommandation a pour objet de préciser les attributions des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, dont l'article 1er du projet de loi prévoit la création, pour représenter les entreprises de moins de onze salariés, afin d'inclure dans leur champ de compétence les questions relatives à l'égalité professionnelle et au temps partiel. La septième recommandation prévoit par ailleurs que les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs pourvoient les sièges qui leur sont attribués, au sein de ces commissions, en respectant la parité entre les femmes et les hommes. Lorsque le nombre de sièges à pourvoir est impair, l'écart entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes ne peut être supérieur à un. En clair, nous proposons qu'elles soient créées d'emblée selon une composition paritaire, dans le collège employeur comme dans le collège salarié.

La huitième recommandation vise à inciter les organisations syndicales et les organisations professionnelles d'employeurs à réfléchir à leurs pratiques afin de faire progresser la mixité et viser la parité dans leurs instances de décision, tant au niveau national qu'au niveau départemental.

Nous envisageons cette recommandation du fait des réactions suscitées par l'article 5, mais aussi des observations, que nous avons entendues lors de nos auditions, sur la difficulté de la tâche en raison de l'absence de « vivier ». L'audition des représentants des organisations patronales, à laquelle étaient représentées la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l'Union professionnelle artisanale (UPA), mais pas le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), a montré que des progrès restent à faire dans les pratiques mêmes de ces organisations.

Enfin, la neuvième recommandation vise à compléter le projet de loi en vue de prévoir la parité femmes-hommes dans les instances prud'homales. En effet, suite à la réforme des prud'hommes, ce sont les organisations qui désigneront leurs conseillers prud'homaux. Dans ces conditions, nous pensons que la parité dans les conseils de prud'hommes pourrait être possible dès les prochaines désignations.

La deuxième partie du projet de rapport s'intitule : « La négociation collective en entreprise : rationaliser sans négliger l'impératif d'égalité entre les femmes et les hommes ». Elle présente la situation actuelle avec l'ensemble des négociations annuelles obligatoires, qui incluent l'obligation de négociation en matière d'égalité professionnelle, dont le cadre juridique est rappelé, ainsi que les apports de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Afin de répondre aux craintes qui se sont exprimées concernant notamment la disparition du rapport de situation comparé (RSC) et du rapport sur la situation économique (RSE), nous avons préparé un certain nombre d'amendements. Je vais donc vous présenter les recommandations qui visent à s'assurer que l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sera bien un aspect important de ce projet de loi.

La dixième recommandation propose de modifier le titre de la négociation sur la qualité de vie au travail pour faire référence également à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Pour plus de lisibilité, la onzième recommandation vise à clarifier la rédaction du nouvel article L. 2242-9 du code du travail relatif à la pénalité financière concernant l'application de celle-ci aux entreprises qui n'ont pas conclu d'accord collectif sur l'égalité professionnelle ou, à défaut de plan d'action. Des inquiétudes se sont en effet exprimées sur la base juridique de cette pénalité ; clarifier la rédaction de ce nouvel article permettra donc de la rendre plus lisible. Néanmoins, en raison d'un problème de légistique, cet objectif de lisibilité ne sera pas totalement atteint à la mesure de notre ambition.

La douzième recommandation vise à préciser dans la loi que la base de données unique reprend l'intégralité des informations tant quantitatives que qualitatives figurant antérieurement dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (RSC) et le rapport sur la situation économique de l'entreprise (RSE). Ainsi, la base de données unique ne se réduira pas à des tableaux Excel avec des chiffres, elle inclura aussi la dimension diagnostic et analyse qui est, à nos yeux, au moins aussi importante que les données elles-mêmes.

La treizième recommandation a pour objectif de rétablir explicitement le lien entre les outils de diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise et la négociation sur l'égalité professionnelle.

La quatorzième recommandation vise à ne pas permettre le caractère facultatif de la transmission des informations récurrentes au comité d'entreprise sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise. En effet, le projet de loi prévoit que, par accord d'entreprise, les partenaires sociaux peuvent déterminer la liste et le contenu des informations récurrentes transmises au comité d'enteprise. Je propose cette recommandation très claire, afin que l'information sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise n'ait pas un caractère facultatif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion