Intervention de médecin général Jean-Marc Debonne

Réunion du 13 mai 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

médecin général Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées :

C'est certainement ce qui est prévu.

La création des CMA – intervenue à une époque où je n'étais pas encore en fonctions – a été vécue par les armées et par certains membres du SSA comme un risque de séparation et d'éloignement. Faut-il craindre que les CMA-NG ravivent ces inquiétudes ? Je ne le crois pas : depuis 2012, les armées – notamment l'armée de terre – ont constaté que la qualité du service rendu par le SSA ne s'est dégradée ni sur le territoire national ni surtout en OPEX, et je ne reçois plus de retours négatifs de leur part. Comment préserver aujourd'hui la performance technique de la médecine militaire de premier recours sans sacrifier la proximité ? Pour combiner préparation – continue et opérationnelle – et activités quotidiennes, les équipes de premier recours doivent être renforcées. En effet, la petite taille entraîne d'importantes difficultés : comment récupérer après une garde dans un service d'urgences si votre seul collègue à assurer la même tâche est parti en OPEX ? La réforme actuelle introduit de la fluidité dans les structures, d'autant que toutes les fonctions de direction, d'administration et de gestion qui pesaient sur les antennes médicales seront centralisées sur une partie du CMA-NG, permettant aux antennes qui restent en proximité des forces de se concentrer sur le soin, l'expertise et la préparation opérationnelle. Nous sommes donc favorables à ce volet de la réforme, même s'il faut adapter la répartition des antennes à l'évolution de l'implantation des forces armées. Nous n'avons pas renoncé à la proximité, mais celle-ci ne doit pas compromettre la qualité des services. En mutualisant toutes les fonctions de soutien au sein d'une portion centrale et en concentrant les moyens au profit d'une dizaine ou d'une douzaine d'antennes, les CMA-NG permettront de préserver à la fois qualité et proximité.

Ne mettra-t-on pas en difficulté certains établissements ? La position de l'hôpital Desgenettes est particulière car Lyon réunit tout le pôle pédagogique du service, mais son sort se rapproche de celui des trois autres hôpitaux hors plateforme. La transformation de ces quatre entités individualisées constitue la partie la plus délicate de la réforme. Il est aujourd'hui difficile de préserver les structures de petite taille qui n'ont pas leur place dans un territoire de santé reconnu ; en même temps la LPM exige du SSA une forte déflation de ses effectifs. Seuls les hôpitaux peuvent contribuer à la fois à la déflation et au renforcement des autres composantes, dont la médecine des forces ; tous les neuf établissements étant en difficulté, on a fait le choix d'en renforcer deux en Île-de-France et deux en PACA, pour faire jouer la complémentarité. Ce système est résilient : si aucun des deux hôpitaux de chaque paire ne peut armer seul une chaîne santé opérationnelle complète, chaque plateforme composée de deux structures est bien capable de prendre en charge la plupart des blessés de guerre et de traiter la grande majorité des pathologies.

Les quatre établissements restants ne seront pas fermés car les hôpitaux de plateforme ne pourront pas garantir la réponse au contrat opérationnel et parce que les forces armées connaissent également des besoins en régions. Bordeaux par exemple – mais le raisonnement vaut pour les trois autres sites – reste important pour l'armée de l'air et les forces spéciales, qui se concentrent dans le Sud-Ouest, et peut répondre aux besoins d'expertise et de prise en charge de blessés, notamment psychiques, ou de patients en rééducation. Pour autant, nous ne pouvons pas doter ces structures du même statut que les hôpitaux de plateforme : ces sites, qui emploient aujourd'hui entre 750 et 800 personnes, devront réduire de façon significative leur personnel et diminuer leurs activités. Cette opération ne peut réussir que s'ils développent des partenariats étroits avec d'autres établissements ; or, si la réforme n'a certainement pas été anticipée, le monde hospitalier civil – en particulier public – est aujourd'hui en pleine restructuration. À Brest par exemple – où je me rendrai au mois de juin –, le projet de partenariat continue à se développer. De même, à Metz, des équipes civiles travaillent à Legouest, et des équipes militaires, au centre hospitalier régional (CHR). Dans la région lyonnaise, on prévoit de se rapprocher des hôpitaux civils – notamment Edouard Herriot –, mais également d'héberger à Desgenettes une partie importante d'une structure hospitalière civile. Les projets ne manquent pas ; en revanche, les hôpitaux civils publics subissent eux aussi une forte contrainte économique et le fait que chaque partenaire privilégie son propre équilibre financier ne simplifie pas le rapprochement. Au total, l'évolution des hôpitaux hors plateforme représente l'aspect le plus sensible de la réforme hospitalière militaire et la réduction des effectifs ne permettra de les maintenir que s'ils sont étroitement associés à d'autres établissements, peut-être dans le cadre des futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT) – nouvelles structures de collaboration qui réuniront demain tous les hôpitaux publics. Nous réfléchissons, en collaboration avec la DGOS, à la place qu'il convient de donner aux hôpitaux militaires au sein de ces GHT, qui sera précisée le cas échéant via l'article d'habilitation de la loi de santé publique.

Le SSA est peu impliqué dans les sas de décompression de Chypre ou du Sénégal, pris en charge par les armées elles-mêmes. Nous leur apportons évidemment notre concours, et notre personnel revenant d'opérations bénéficie également de ces structures, mais nous ne sommes pas au premier rang. En effet, le sas – dont la création représente une excellente mesure – n'a pas vocation à être médicalisé ; malgré la présence de psychologues – qui proposent une prise en charge plus collective qu'individuelle –, il constitue une étape normale et non pathologique de la décompression.

Les 108 ETP auxquels vous faites allusion sont destinés à la médecine des forces et de premier recours. Ils seront recrutés sur la durée de cette LPM, mais même s'il est urgent de renforcer la médecine des forces, le calendrier dépendra de la façon dont se passera la déflation des postes dans les hôpitaux – que l'on ne peut accélérer, sauf à compromettre la réforme. Les deux mesures sont donc liées. Soulignons que ce renfort est en dessous du minimum nécessaire, il est donc tout à fait impératif.

Sur les 2 000 postes touchés par la déflation, quelque 1 500 concernent des militaires et 500 des civils. Nous essayerons de préserver au maximum la production de soins. Dans les hôpitaux militaires, la partie de soutien – plus importante qu'ailleurs – représente de l'ordre de 25 à 30 % ; il faut donc veiller à épargner le potentiel soignant de nos établissements. La déflation ne touchera pas les secteurs essentiels au soutien des forces – la médecine des forces et les spécialités hospitalières utiles à la projection et à la prise en charge des malades et des blessés rapatriés –, qui seront renforcés. Certaines disciplines, notamment quelques activités pratiquées au Val-de-Grâce, disparaîtront complètement alors que d'autres seront exercées autrement, peut-être au travers de partenariats plus forts. Néanmoins, ces spécialités qui font la cohérence d'un hôpital seront préservées à un niveau de qualité optimal.

S'agissant des critiques de la Cour des comptes, je considère qu'un hôpital militaire ne peut pas être géré à partir des mêmes critères qu'un hôpital civil. Projeté quasiment tous les ans sur les théâtres d'opérations, le personnel du SSA – que certains d'entre vous ont vu à l'oeuvre sur le terrain – ne peut pas, en revenant en France, retrouver immédiatement une logique de tarification à l'activité. On ne peut pas attendre d'un hôpital militaire la même performance économique que d'un hôpital civil, public ou privé, la disponibilité opérationnelle et la préparation du personnel projetable – qui absorbe 30 % du temps – lui interdisant d'offrir le même rendement. La dimension psychologique est également importante, les professionnels de santé projetables devant en permanence être prêts à partir. Je compte l'affirmer dans le cadre du développement des partenariats : si la rentabilité est au premier rang des préoccupations de nos homologues civils, le SSA, bien que sensibilisé à la question de la performance, constitue avant tout un outil de défense. Cette différence de cultures – qu'il s'agira de rendre compatibles – risque de représenter la principale difficulté. En même temps, s'associer aux hôpitaux militaires permettra aux établissements civils de santé de prendre part à la mission de défense. C'est à la représentation nationale – davantage qu'au SSA ou aux armées – d'insister sur ce point, comme je l'ai souligné devant la commission des Affaires sociales lors de la préparation de la loi de santé publique. Au bout de quarante ans de service, je suis convaincu que les armées françaises ne garderont un SSA doté de toutes ses capacités que si le système national de santé, et le service public en particulier, se mobilise à ses côtés. À défaut, comme d'autres pays occidentaux porteurs des mêmes ambitions de défense que nous – la Grande-Bretagne ou le Canada –, nous devrons renoncer à nos hôpitaux militaires. Cette affaire relève donc du niveau interministériel. Heureusement, les retours sont très positifs et nous avons développé d'excellentes relations avec le ministère de la Santé, notamment la DGOS et la DGS, qu'il faut désormais décliner sur le terrain jusqu'au niveau des équipes hospitalières – un travail de longue haleine.

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