Intervention de Régis Juanico

Réunion du 7 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico :

Messieurs les présidents, mes chers collègues, mesdames et messieurs les membres du groupe de travail, en effet, Mme Laure de La Raudière, comme présidente, et moi-même, succédant comme rapporteur à M. Thierry Mandon après sa nomination au Gouvernement, avons conduit jusqu'en octobre dernier une mission d'information de la Conférence des présidents sur la simplification législative, créée à votre initiative, monsieur le président de l'Assemblée nationale, en novembre 2013.

Constatant la poursuite de l'inflation normative et de la dégradation de la qualité de la loi, régulièrement dénoncées par maints rapports depuis plus de vingt ans – nous pourrons citer quelques chiffres à l'appui de ce constat dans la suite de la discussion –, nous avons réfléchi aux réformes institutionnelles qui pourraient susciter dans notre pays un changement de culture normative.

Très tôt, nous avons choisi de nourrir nos travaux d'une étude comparative des bonnes pratiques adoptées à l'étranger, notamment chez nos voisins européens. Nous avons ainsi effectué quatre déplacements – en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas –, utilement complétés par les réponses de neuf des dix parlements d'Europe auxquels nous avions adressé un questionnaire sur la procédure législative par l'intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP). L'audition à l'Assemblée nationale de représentants de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a en outre apporté un éclairage sur les diverses initiatives visant à « mieux légiférer » qui ont été prises par le Canada, l'Australie et quinze des pays membres de l'Union européenne.

Après avoir ainsi identifié les bonnes pratiques étrangères, nous avons expertisé les moyens de les transposer dans notre pays, le cas échéant en procédant à des adaptations. À cette fin, nous avons organisé une vingtaine d'auditions à l'Assemblée nationale, en commençant par entendre des universitaires spécialisés en droit privé, public et européen. Nous avons ensuite soumis les pistes de réforme ainsi dégagées à de nombreux acteurs, des élus ayant longuement réfléchi aux enjeux de la rationalisation et de la simplification des normes comme des représentants des institutions et administrations concernées par notre sujet – Conseil d'État, Cour des comptes, secrétariat général du Gouvernement, etc. Enfin, la mission a recueilli l'avis du secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen.

Mme Laure de La Raudière et moi-même avons mené ces travaux en bonne intelligence. Le caractère transpartisan de la mission, dont la composition reflétait la configuration politique de l'Assemblée nationale, a favorisé une approche constructive et consensuelle. J'en veux pour preuve l'unanimité à laquelle ont été adoptées, le 7 octobre 2014, les quinze propositions que formule notre rapport afin d'améliorer la « fabrique de la loi ». J'en veux encore pour preuve le fait que, lors de l'examen, fin novembre 2014, de votre proposition de résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale, monsieur le président, Mme de La Raudière et moi-même avons cosigné des amendements tendant à inscrire dans le règlement deux de ces propositions.

Aux termes de la première, afin de renforcer le contrôle du Parlement sur la qualité des études d'impact, l'intervention liminaire en commission du rapporteur au fond présente systématiquement l'étude d'impact, avant l'examen des articles.

La seconde tend à rendre plus méthodique l'évaluation ex post en systématisant l'élaboration de rapports d'évaluation distincts des rapports d'application actuels et dont la rédaction serait confiée, trois ans après l'entrée en vigueur d'une loi, à un binôme de rapporteurs issus l'un de la majorité, l'autre de l'opposition.

La première proposition a été satisfaite dans une certaine mesure par l'article 19 de la proposition de résolution adoptée par notre Assemblée en novembre dernier : celui-ci a modifié l'article 86 du Règlement pour que les rapports en première lecture sur un projet ou une proposition de loi contiennent obligatoirement une contribution écrite du co-rapporteur d'application du texte, membre de l'opposition, contribution qui « porte, s'il y a lieu, sur l'étude d'impact jointe au projet de loi ».

La seconde a été inscrite à l'article 37 de la proposition de résolution, qui réécrit comme suit l'article 145-7, alinéa 3, de notre Règlement : « A l'issue d'un délai de trois ans suivant l'entrée en vigueur d'une loi, deux députés, dont l'un appartient à un groupe d'opposition, présentent à la commission compétente un rapport d'évaluation sur l'impact de cette loi. Ce rapport fait notamment état des conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la loi, le cas échéant au regard des critères d'évaluation définis dans l'étude d'impact préalable, ainsi que des éventuelles difficultés rencontrées lors de la mise en oeuvre de ladite loi. »

En effet, il nous paraissait important que, pour mener à bien sa tâche d'évaluation ex post, notre Assemblée ne se contente plus des rapports d'application, largement nourris des données transmises par l'exécutif en application de la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004.

Les nouveaux rapports d'évaluation triennaux auront vocation à analyser ex post l'effet concret des mesures, leur opérationnalité et leur pertinence eu égard aux objectifs qui leur étaient assignés, et ce dans le cadre d'un programme annuel d'évaluation défini par le Bureau de la commission compétente – ce qui permettra d'éviter les doublons, en cohérence avec le nouvel article 47-2 inséré dans le Règlement à votre initiative, monsieur le président, en vue de coordonner les travaux d'évaluation conduits par les différentes instances de l'Assemblée nationale.

Une troisième proposition de la mission a été mise en oeuvre : celle qui visait à rendre publique la partie de l'avis du Conseil d'État relative aux études d'impact jointes aux projets – et, le cas échéant, aux propositions – de loi ainsi qu'aux projets d'ordonnance. Allant même au-delà de ce que nous demandions, le Président de la République a ainsi décidé, le 20 janvier dernier, que les avis du Conseil d'État sur les projets de texte seraient désormais rendus publics dans leur intégralité. Au 30 avril dernier, les avis rendus sur cinq projets de loi étaient consultables en ligne sur le site Légifrance.

Cependant, la quasi-totalité des douze autres propositions de la mission nécessiteraient pour être appliquées des réformes relevant au moins d'une loi organique, voire – le plus souvent – de la Constitution. Vous comprendrez donc qu'elles n'aient pu être concrétisées à ce jour.

Une première série vise, en amont de la procédure législative, à améliorer la préparation de la norme, notamment l'évaluation préalable de son impact.

La première proposition tend ainsi à enrichir le contenu des études d'impact. Des progrès ont indéniablement été accomplis en la matière depuis la réforme constitutionnelle de 2008, mais leur caractère insuffisant a été signalé à plusieurs reprises au cours de nos travaux. Nous avons donc préconisé de rendre obligatoire, pour les textes législatifs, la réalisation d'un « test entreprises », aujourd'hui facultatif et circonscrit aux textes réglementaires, ainsi que d'un « test collectivités locales » et d'un « test usagers de l'administration » ; d'améliorer l'évaluation des coûts et bénéfices économiques attendus des mesures envisagées, ainsi que de leurs conséquences sociétales, considérant que les données présentées dans les études d'impact sont aujourd'hui trop imprécises ; de fournir une analyse et une justification approfondies à l'appui des mesures transitoires et des dates d'entrée en vigueur retenues – nous pourrons vous en donner divers exemples. Nous avons en outre proposé d'intégrer obligatoirement aux études d'impact, sur le modèle britannique, la quantification des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur de celles qui sont créées – c'est la règle du « un pour un », ou one in, one out –, actuellement réservée aux textes réglementaires ; enfin, d'y introduire, sur le modèle allemand, les critères sur lesquels se fondera l'évaluation ex post des mesures considérées.

Il apparaît en outre nécessaire de mieux associer nos concitoyens, en amont, à la préparation des textes de loi. Ils peuvent aujourd'hui s'exprimer sur le site Internet de l'Assemblée nationale au stade des études d'impact ; il existe en outre sur le terrain des ateliers législatifs citoyens, c'est-à-dire des échanges avec les citoyens, organisés par les députés en circonscription. Cécile Untermaier, qui faisait partie de notre mission, en dira tout à l'heure un peu plus à ce sujet.

La seconde proposition consiste à soumettre les études d'impact à une contre-expertise externe et impartiale, comme cela se pratique au Royaume-Uni et en Allemagne, deux pays qui se sont dotés l'un d'un Comité de la politique réglementaire – Regulatory Policy Committee – en 2009, l'autre d'un Conseil national de contrôle des normes – Nationaler Normenkontrollrat – en 2006. Nous suggérons ainsi de confier l'évaluation de la qualité des études d'impact à un organisme indépendant, composé de représentants de la société civile et chargé, en s'appuyant sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), des administrations économiques, des corps d'inspection et des contrôles généraux, de rendre un avis public prenant en considération l'évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée. Cet avis devrait être publié lors de la présentation en Conseil des ministres des projets de loi concernés.

Le Président de la République a précisément annoncé la création d'un comité d'évaluation indépendant, chargé de vérifier la fiabilité des études d'impact, le 30 octobre 2014, lors d'une réunion à l'Élysée sur la simplification. M. Thierry Mandon, chargé, au Gouvernement, de la réforme de l'État et de la simplification, a également précisé le 28 novembre ici même, à l'Assemblée nationale, lors du colloque « Mieux légiférer » que vous avez organisé, monsieur le président, que cette autorité indépendante serait créée courant 2015, sans doute le 1er juillet. Elle traiterait dans un premier temps des seuls projets de loi à caractère économique – ceux qui entraînent des charges nouvelles pour les entreprises – avant d'être saisie de toutes les études d'impact, comme nous le demandions dans notre rapport.

L'évaluation ex ante de la norme devrait également être plus systématique. Il serait paradoxal, en effet, que nous voulions approfondir les études d'impact jointes aux projets de loi tout en continuant de nous en passer pour d'autres textes législatifs. Voilà pourquoi, forte des bonnes pratiques adoptées notamment au sujet de la proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance-vie en déshérence, une troisième proposition tend à rendre obligatoire la réalisation d'une étude d'impact sur les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour.

Une quatrième proposition suggère d'étendre cette obligation aux ordonnances, y compris lorsque celles-ci ne concernent ni les entreprises ni les collectivités territoriales. La dispense dont bénéficient aujourd'hui les projets de loi de ratification d'ordonnances pourrait en conséquence être subordonnée, à l'avenir, à la condition suivante : qu'une étude d'impact ait été produite à l'occasion de l'examen par le Conseil d'État du projet d'ordonnance. Par ailleurs, les projets de loi d'habilitation devraient être assortis d'une étude d'impact plus complète que ne l'exige actuellement la loi organique du 15 avril 2009.

Enfin, l'évaluation ex ante de la norme gagnerait à être fiabilisée par un recours accru à l'expérimentation. C'est l'objet de la cinquième proposition de la mission : développer le recours à l'expérimentation avant la généralisation de certains dispositifs législatifs et en consolider les effets juridiques, à l'exemple – entre autres – de ce qui s'est fait lorsqu'ont été expérimentés des jurys citoyens au sein des juridictions correctionnelles.

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