Intervention de Franck Aletru

Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Franck Aletru :

Pour ma part, j'ai commencé en 1982, alors que le varroa apparaissait et que nous n'avions qu'un seul produit pour le combattre. Je l'ai dit tout à l'heure : les régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes étaient alors le premier bassin de production de miel d'Europe. De façon concomitante et progressive, à mesure de l'implantation des cultures à base de semences traitées au Gaucho, on a vu l'effondrement des populations l'été et au moment de la floraison, puisque les abeilles ne revenaient plus à la ruche, et le phénomène est allé croissant avec le développement de cette production.

La table ronde d'aujourd'hui porte sur les néonicotinoïdes. Nous n'avons donc parlé que de cela. Mais il existe d'autres problèmes avec d'autres produits, et c'est pourquoi la mortalité continue. Reste que retirer du marché les néonicotinoïdes sera déjà un premier pas indispensable.

On ne peut pas jeter la pierre aux agriculteurs : ils utilisent les produits qui sont autorisés. C'est l'évaluateur de ces produits qui a une grande responsabilité. Comment fait-il pour évaluer ? Il le fait à partir des documents qui lui sont remis par les firmes, ce qui veut dire qu'il y a une forme de pré-tri. Des biais inacceptables sont apparus lorsque l'on a fait relire des dossiers d'évaluation par des scientifiques issus des structures publiques et indépendantes. Il faut que les comités d'évaluation, qu'il s'agisse de ceux de l'ANSES ou d'autres organismes, soient composés d'experts ayant de réelles compétences. Lorsque j'ai été invité dans différents comités d'expertise, j'ai demandé le CV des intervenants : il n'y avait aucun apidologue ! Certes il y avait bien des spécialistes des fleurs, mais on peut être spécialiste des fleurs et nul en abeille. Pour ma part, je connais les fleurs puisque c'est la principale nourriture des abeilles, mais je ne me permettrai jamais de dire que je suis botaniste ! C'est la même chose à l'EFSA : il y a des écotoxicologues, mais pas d'apidologues. Les écotoxicologues sont de grands spécialistes du poisson, mais pas de l'abeille...

En 2003, il a fallu faire un énorme travail de présélection pour créer un nouveau groupe d'experts, qui a conclu qu'il ne pouvait plus travailler sur le schéma d'évaluation actuel et a proposé un nouveau schéma d'évaluation. Ce schéma existe donc. Ce qu'il reste à construire, ce sont les tests eux-mêmes. Dire qu'il n'y a pas de tests est faux. Je vous ai parlé du groupe Méthodes-Pesticides-Abeilles, qui est unique en Europe si ce n'est dans le monde. Nous avons déjà développé des protocoles de tests qui répondent justement à la problématique des néonicotinoïdes – tout ce qui concerne les troubles du comportement, du butinage, des glandes hypopharyngiennes, des glandes cirières, la réduction de la longévité, etc. Ce travail existe ; il faut l'imposer aux firmes. À sein de ce groupe de travail, les firmes sont tout à fait au courant des avancées et des progrès qui ont été réalisés en matière d'évaluation et de nouveaux tests. Lors d'un déjeuner, leurs représentants nous ont dit que la « chimie verte durable » était une très belle philosophie et qu'ils y adhéraient. Ils ont même ajouté qu'ils avaient eux-mêmes des spécialistes en la matière, mais qu'ils ne les faisaient pas travailler là-dessus tant qu'on ne les y obligeait pas ! Pour qu'ils s'y résolvent, il n'y a donc pas d'autre alternative que l'interdiction des produits.

L'Allemagne, qui a retiré trois néonicotinoïdes du marché, n'a pas eu de problèmes avec Bruxelles. L'Italie non plus. Pourquoi la France en aurait-elle ? Y aurait-il deux poids, deux mesures ? Je considère qu'aucun élément ne peut entraver l'interdiction de familles de néonicotinoïdes.

Je souhaiterais que la recherche sur les solutions alternatives soit développée, notamment en matière de chimie verte durable. Il en existe déjà, et c'est une fausse excuse que de prétendre le contraire. Il suffit que le monde agricole, qui sait aller de l'avant, se les approprie.

L'arrêté sur les produits bénéficiant de la « mention abeilles » doit évoluer afin d'imposer une utilisation en fin de journée. Certes, ce ne serait pas la panacée, mais ce serait un progrès, car beaucoup de produits ont un effet seulement passager sur l'abeille. Si l'on traite le soir, les fleurs sont fermées, le produit passe plus vite à l'intérieur de la plante, et il y a donc moins d'exposition. Je précise que cela doit concerner aussi les fongicides, et pas seulement les insecticides.

Ce n'est pas l'organisation ou l'inorganisation de la profession qui joue sur la production. Lorsque nous étions leaders européens, nous étions bien moins organisés qu'aujourd'hui, et le nombre de centres de formations était moins élevé.

Il y a encore seulement quelques années, il y avait 1,4 million de ruches, contre 980 000 aujourd'hui. Comment, dans ces conditions, inciter des jeunes à s'engager dans la profession si rien ne change ?

La ressource est de plus en plus élevée. Depuis le remembrement, en Vendée, ce sont 400 kilomètres de haies qui ont été plantées. En haute montagne, la ressource a diminué, alors que c'est justement là qu'il ne le faudrait pas. On voit en effet des prairies remplacées par des zones de ray-grass, ce qui fait que nos collègues installés là-bas ont des pertes.

Aujourd'hui, les cultures intermédiaires dites « pièges à nitrates » (CIPAN) offrent des ressources en fin d'été ; si elles pouvaient être plus précoces, ce serait encore mieux, mais ne demandons pas l'impossible. Les cultures semencières se développent également. On constate donc un progrès au niveau de la ressource. De plus, les villes sont de plus en plus fleuries, et elles réduisent l'utilisation des produits phytosanitaires. Bref, des progrès, il y en a partout. Les apiculteurs et les scientifiques ont fait leur travail au maximum. C'est au niveau politique que des décisions fermes n'ont pas été prises, contrairement à ce qu'ont fait les États voisins. La balle est maintenant dans le camp du monde politique.

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