Intervention de Joël Limouzin

Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA et de sa commission apiculture :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, M. Julien Delaunay, président de la commission apiculture de la FNSEA, m'a chargé de vous transmettre ses excuses : retenu par un impératif de dernière minute sur son exploitation, il a dû renoncer à venir s'exprimer devant vous ce matin.

En tant que vice-président de la commission apiculture de la FNSEA, je vais procéder à un tour d'horizon de la situation de l'apiculture en France, en faisant parfois le lien avec l'agriculture. Je commencerai par observer que les chiffres relatifs à la baisse de la production de miel sont à envisager de façon large. Il faut tenir compte, comme dans tout le secteur agricole, de la problématique de la formation professionnelle et de celle du renouvellement des apiculteurs. D'autres problématiques, d'ordre sanitaire, ne doivent pas non plus être négligées. Ainsi le varroa, un acarien parasite des abeilles, constitue-t-il un véritable fléau contre lequel nous devons continuer à chercher des solutions afin d'éviter la décimation des colonies.

De même, la perte de la richesse florale actuellement constatée doit nous interpeller : cette perte porte atteinte de manière significative aux apports en nourriture sur lesquels les abeilles doivent pouvoir compter tout au long de la saison pour assurer la production de miel, mais aussi, tout simplement, pour que les colonies soient en bonne forme à la sortie de l'hiver. Au-delà de l'agriculture, les collectivités locales doivent être impliquées dans la recherche de moyens destinés à assurer une masse florale suffisante, notamment par la mise en oeuvre de fleurissements – en privilégiant évidemment les espèces végétales mellifères –, ainsi que par l'adoption de pratiques raisonnées de fauche des herbes en bordure de chemin, par exemple.

Pour ce qui est du dossier phytosanitaire, il est important de maintenir et de renforcer le dialogue qui a fini par s'engager entre le monde apicole et le monde agricole – après des années marquées par une certaine étanchéité entre les deux. Aujourd'hui, les informations pratiques circulent de manière satisfaisante, comme vous pouvez le voir avec cette douzaine de fiches de bonnes pratiques que je tiens à votre disposition. Récemment diffusées par la presse agricole départementale auprès des agriculteurs de toutes les filières – céréales à paille, légumes d'industrie, tournesol, etc. –, ces fiches indiquent les bonnes méthodes pour protéger les plantes tout en satisfaisant aux exigences des apiculteurs. Je souligne que les agriculteurs sont demandeurs d'informations de nature à leur permettre de progresser dans leurs pratiques. Certes, les choses pourraient aller plus vite, mais nous avons commencé à avancer dans la bonne direction.

Si les produits phytosanitaires sont soumis à une homologation de l'EFSA, c'est qu'ils ont forcément des effets sur leurs utilisateurs et sur les milieux. Les homologations et préconisations doivent évoluer en même temps que les connaissances scientifiques, et l'EFSA doit veiller à être beaucoup plus en pointe qu'elle ne l'est dans ce domaine, afin d'évaluer de façon réaliste les risques chroniques pour le comportement des colonies d'abeilles et surtout les dysfonctionnements pouvant les affecter.

Les lignes directrices de l'EFSA en matière d'évaluation des risques présentés par les produits de protection des plantes sur les pollinisateurs sont en train d'évoluer. Les apiculteurs estiment que le changement doit s'opérer plus rapidement, et nous avons tous à coeur qu'il se fasse en cohérence avec l'ensemble des États membres. Lorsque l'EFSA donne des orientations, nous pouvons nous féliciter que la France soit parmi les premières à les appliquer, mais nous ne pouvons faire abstraction de la dimension européenne et mondiale du commerce des produits agricoles. En septembre 2015, l'EFSA rendra de nouvelles conclusions, très attendues, qui devraient permettre à la Commission européenne de prendre des mesures plus adaptées aux risques. Le monde agricole est à l'écoute, et tout à fait disposé à prendre en compte les résultats scientifiques qui seront validés par l'Agence européenne, comme il l'a montré en 2013 en mettant en oeuvre le moratoire décidé suite aux recommandations de l'EFSA.

Nous devons procéder à une évaluation réaliste des risques d'impact écologique. Même s'il est constaté que certains pays font une utilisation trop prophylactique des néonicotinoïdes, je rappelle que ce n'est pas le cas en France, où une vraie prise de conscience a eu lieu, aboutissant à une plus grande transparence des pratiques. Les traitements de semences effectués aujourd'hui dans notre pays représentent 30 % des surfaces en céréales d'automne, dont 70 % pour les orges, et un tiers des surfaces en maïs, que les semences soient fermières ou non – je précise que ces chiffres proviennent d'Arvalis-Institut du Végétal et du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). Certes, on peut toujours faire mieux ; j'insiste cependant sur le fait que ces traitements ne sont pas systématiques, mais appliqués de façon raisonnée en fonction des risques.

Je reprendrai l'expression évoquée tout à l'heure par le docteur Jean-Marc Bonmatin, « les antibiotiques, c'est pas automatique », pour souligner que le secteur agricole a fait une large application de ce slogan en diminuant très fortement la quantité d'antibiotiques administrée aux animaux depuis quelques années, tandis que la consommation humaine, elle, peine à diminuer. Cela dit, on peut espérer que le dialogue engagé avec les agriculteurs au sujet de l'utilisation des produits phytosanitaires, qu'il faut continuer à renforcer, aboutira à ce que nous trouvions des solutions en vue de diminuer encore les traitements.

Le monde agricole est bien conscient de la nécessité de préserver les abeilles, non seulement pour la production de miel, mais aussi en raison de leur rôle de pollinisateurs, essentiel à l'agriculture, notamment dans le cadre des schémas de sélection mis en oeuvre pour la production de semences certifiées, réutilisables par les agriculteurs d'une année sur l'autre. Dans certaines régions de France, il n'est pas simple d'obtenir l'autorisation de mettre en oeuvre des produits phytosanitaires en plein champ, que ce soit en raison des pluies, des vents, ou de la portance des sols. C'est ce qui avait conduit à mener les recherches ayant abouti à la technique des semences enrobées, qui ont effectivement eu des conséquences sanitaires, y compris des cas de mortalité, qui nous ont tous choqués.

Cela dit, je rappelle que le monde agricole n'utilise que des produits homologués. Il faut donc que chacun prenne ses responsabilités : si les homologations doivent évoluer, le monde agricole tiendra compte des nouvelles recommandations de l'EFSA – mais il faudra bien trouver des alternatives aux produits dont l'utilisation pourrait être proscrite. Ainsi, dans le secteur de la viticulture, il n'existe à ce jour aucun autre produit que le Diametoxan pour combattre la cicadelle, vecteur de la flavescence dorée – contre laquelle un plan de lutte obligatoire et collectif a été mis en oeuvre. J'insiste sur ce point : si la décision politique consistant à retirer un produit est prise, le monde agricole en prend acte, mais il est en droit d'exiger qu'on lui fournisse une solution de rechange pour protéger les plantes. À défaut, il ne faudrait pas s'étonner que les agriculteurs soient contraints de mettre fin à telle ou telle production, ce qui nécessiterait ensuite de l'importer pour pouvoir continuer à fournir les consommateurs français.

Pour ce qui est des pistes de travail, j'estime qu'il faut aller plus loin dans le domaine de la recherche scientifique afin de permettre à l'EFSA de développer de nouvelles recommandations si nécessaire. Par ailleurs, le dialogue entre les apiculteurs et les agriculteurs doit être amplifié, afin que chacun prenne conscience des bénéfices mutuels procurés par la préservation des abeilles. Il faut poursuivre la diffusion à l'intention des agriculteurs des outils de conseil et d'aide à la décision portant sur l'opportunité de mettre en oeuvre des semences traitées à la parcelle, notamment sous la forme des fiches de bonnes pratiques que j'ai évoquées tout à l'heure.

Chacun doit prendre ses responsabilités, et il ne saurait être question de chercher des boucs émissaires au sein du monde agricole, qui n'utilise que des produits autorisés et pour qui la santé humaine – celle des consommateurs comme celle des exploitants – est une priorité.

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